Nous republions des bonnes feuilles du livre Recyclage le grand enfumage Comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable (éditions rue de l’échiquier) dans lequel Flore Berlingen, présidente du mouvement Zero Waste France, interroge la pertinence du recyclage des déchets. En effet, insister sur la nécessité du recyclage, et il l’est, élude dans le même temps d’autres questions en rapport avec nos modes de vie et la manière dont nous produisons ou consommons. Miser sur le recyclage ne suffira pas à résoudre le problème de la surproduction de déchets, surtout si les filières ne parviennent pas à être pleinement efficaces dans ce domaine.
Tri et collecte des recyclables : décryptage d’un bilan en demi-teinte
En France comme en Europe, le tri et la collecte des objets et emballages recyclables jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement du système. Rappelons que le mot « tri » est un raccourci utilisé pour désigner aussi bien le geste des usagers que les étapes de sélection automatisées et manuelles qui se déroulent au sein des centres de tri pour séparer les différents types d’emballages issus de la poubelle des recyclables. Il s’agit donc d’appréhender le tri dans ces deux temps, celui de l’acte individuel, puis celui de la collecte prise en charge par un opérateur public ou privé.
Comment évaluer leur efficacité, près de trois décennies après le début de leur mise en place en France ? L’exercice peut se révéler compliqué : entre les statistiques des collectivités locales, celles communiquées par les éco-organismes, celles compilées par l’Ademe (Agence de la transition écologique) au niveau national, ou par Eurostat pour faciliter les comparaisons européennes, il est facile de se perdre ! L’assiette des taux n’est pas toujours la même, et il peut exister une certaine confusion entre taux de tri ou de collecte (ce qui est récupéré, qui rejoint la « bonne filière ») et taux de recyclage (ce qui est recyclé in fine). Il faut en outre décrypter l’interprétation souvent enthousiaste des statistiques, chaque acteur ayant tendance à vouloir présenter les résultats de manière positive pour valoriser son travail, un biais que l’on retrouve aussi bien au niveau des collectivités locales que des opérateurs privés.
Pour analyser la progression filière par filière, les statistiques fournies par les éco-organismes sont incontournables – bien que souvent difficiles à interpréter, les bases de données, sources des calculs, n’étant pas accessibles au public. Elles révèlent un bilan en demi-teinte. Prenons l’exemple de la filière des déchets d’équipements électriques et électroniques, créée en 2006. En un peu plus d’une décennie, la collecte des équipements usagés auprès des ménages a bondi de zéro à 50 % du total jeté, mais cela ne signifie malheureusement pas que l’on envoie moitié moins de ces appareils dans les décharges françaises ou étrangères, en valeur absolue. La quantité d’équipements mis sur le marché a en effet continué à progresser en parallèle, à la fois en tonnage (+ 20 %) et en nombre d’unités (+ 45 %). Dans la filière textile, la collecte a atteint 38 % du gisement de 2,6 milliards de vêtements, chaussures et pièces de linge de maison mis sur le marché français en 2018, alors que l’objectif fixé par les pouvoirs publics était de 50 % pour 2019, soit un retard impossible à combler en l’espace d’une année. Du côté des emballages, la progression de la collecte ralentit depuis le milieu des années 2000, et peine désormais à dépasser les 65 %. Cette moyenne, calculée sur l’ensemble des tonnages d’emballages, cache en outre de grandes disparités parmi les matériaux. Le verre est à la fois mieux trié et plus lourd, il améliore donc considérablement les résultats de la filière, calculés au poids, alors qu’il est minoritaire en termes de nombre d’unités d’emballage. Autrement dit, si l’on mesurait l’efficacité du tri sur la base du nombre d’emballages mis sur le marché et non sur la base de leur poids, le taux serait ridiculement bas.
Une autre manière d’évaluer, plus globalement, les performances de tri à l’échelle française consiste à analyser le contenu de la poubelle « tout-venant » (non triée) et à comptabiliser la part de ce qui aurait dû être trié. C’est ce que l’Ademe mesure grâce à des campagnes de caractérisation des ordures ménagères. Elle estime ainsi que 40 % du contenu des poubelles ménagères françaises aurait sa place dans l’une des filières de tri existantes. Cela représente plus de 100 kg de déchets par habitant et par an qui, faute d’être placés dans la bonne poubelle, seront envoyés vers les quelque 124 incinérateurs et 232 décharges que l’on compte sur le territoire français.
Incivilité, désintérêt, défiance, difficulté à adopter de nouvelles habitudes expliquent sans doute en partie ces résultats insatisfaisants. Mais les citoyens ont bon dos. Les choix d’organisation et de communication concernant le tri et la collecte des déchets ont une influence considérable en rendant plus ou moins facile, pour les usagers, la démarche de trier. La nonharmonisation des couleurs des poubelles de tri à travers la France est souvent mise en cause, mais elle nous semble être plutôt l’arbre qui cache la forêt. Les modalités et la fréquence de la collecte, lorsqu’elle est réalisée en porte-à-porte, l’implantation des points d’apport volontaire, la diffusion de l’information sur le tri, les choix de signalétique ou même tout simplement la présence de poubelles de tri adaptées dans l’espace public sont autant de facteurs qui vont encourager – ou pas – le geste de tri. Les arbitrages sont réalisés compte tenu des retours d’expérience, mais aussi en fonction de contraintes budgétaires, chacun de ces choix n’ayant pas les mêmes implications financières. Les citoyens-usagers identifient généralement les collectivités locales comme responsables de l’ensemble de ces choix qui ont des répercussions sur leur vie quotidienne. C’est en partie exact, puisque les collectivités locales pilotent la collecte des déchets ménagers, mais d’autres acteurs sont concernés et leurs responsabilités sont imbriquées.
Les filières REP sont, en France, un maillon essentiel de la chaîne de tri et de collecte puisqu’elles sont chargées de la financer, voire de l’organiser. Selon les filières, les choix d’organisation de la collecte reposent sur les collectivités locales (pour les emballages et les papiers par exemple) ou sur des acteurs privés, parfois issus de l’économie sociale et solidaire (pour les vêtements, le linge de maison et les chaussures, notamment). Pour une minorité de filières dites opérationnelles (piles et accumulateurs, par exemple), ce sont les éco-organismes qui gèrent directement le système de collecte. Qu’ils soient publics ou privés, les opérateurs de la collecte sont dépendants des financements issus des filières REP et les jugent insuffisants. À chaque renouvellement d’agrément des éco-organismes et révision de leur cahier des charges, d’âpres négociations opposent les metteurs sur le marché aux collectivités locales. Ces dernières, chiffres à l’appui, répètent inlassablement que le compte n’y est pas : les montants qui leur sont reversés par les éco-organismes ne suffisent pas à couvrir les coûts de collecte et traitement des déchets concernés. Comment, dans ce contexte, envisager une amélioration du service aux habitants, sauf à leur faire payer directement la facture ? La confiance des collectivités locales vis-à-vis des éco-organismes a en outre été ébranlée par plusieurs scandales et désaccords relatifs à leur gestion financière. L’éco-organisme de la filière emballages, Citeo (anciennement
Éco-Emballages), a par exemple été épinglé en 2014 puis en 2016 par la Cour des comptes pour la rémunération élevée de ses dirigeants. L’éco-organisme avait été condamné auparavant pour ses placements dans des paradis fiscaux dans les années 2000, qui avaient provoqué la perte de plus de 20 millions d’euros.
Au-delà des soubresauts de la filière emballages se pose la question des réserves (provisions pour charges futures) dans l’ensemble des éco-organismes. Un rapport remis au gouvernement en mars 201847 souligne en effet que la nonlucrativité de ces sociétés, prévue par la loi, n’est toutefois pas inscrite dans leurs statuts. Les modalités de dévolution de leurs actifs, en cas de dissolution, restent donc très floues. Il ne s’agit pas d’un point anecdotique, car le montant des réserves accumulées par certains des éco-organismes peut atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros. Ces aspects financiers, très techniques de prime abord, ne sont relayés que par la presse spécialisée. Les montants en jeu sont pourtant colossaux : la gestion des déchets coûte environ 20 milliards d’euros par an, dont plus de 14 milliards pèsent sur le budget des collectivités locales, un montant qui dépasse le budget alloué au ministère de la Transition écologique et solidaire ! La contribution des entreprises à ce coût, via les filières REP, s’élève à 1,2 milliard d’euros. Autrement dit, comme de nombreuses autres « externalités environnementales » des activités économiques, le coût du traitement des déchets reste assumé par la société dans son ensemble. Il est le résultat d’activités économiques dont les choix (par exemple en termes de recyclabilité) sont arbitrés par une minorité au sein des entreprises et dont la rentabilité profite à un nombre limité de personnes. C’est le deuxième grand écueil d’une « responsabilité du producteur » qui, plutôt qu’« élargie », semble restreinte à portion congrue.
Enfin, si l’on considère un périmètre plus large que celui des déchets ménagers, rappelons que le tri est loin d’être complètement mise en œuvre par les entreprises. Elles sont pourtant très largement concernées par une obligation de tri de cinq flux de déchets : papier, métal, plastique, verre et bois. Cette obligation entrée en vigueur en 2016 concerne tous les secteurs, aussi bien les activités de bureau que des services au contact du public comme la restauration rapide, les centres commerciaux, etc. Les entreprises découvrent souvent, à l’occasion de leur confrontation à cette obligation de tri, le coût réel de leurs déchets. Le non-respect de cette réglementation, y compris par des groupes qui communiquent par ailleurs sur l’exemplarité de leur démarche environnementale, est évidemment lié aux dépenses que cela représente lorsque la prise en charge n’est pas assurée ou subventionnée par les pouvoirs publics. Non seulement il faut souvent souscrire un contrat de collecte supplémentaire, mais aussi assumer le surcoût fréquent du traitement des déchets recyclables par rapport à l’incinération ou à la mise en décharge, dont le prix trop faible ne reflète pas le coût environnemental.
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3 commentaires
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Michel CERF
Recycler fait partie des solutions à condition de produire moins et de consommer intelligemment .
Jean Grossmann
à moitié d’accord avec vous michel sur le fond et comme je l’ai écrit dans mon livre sur l’énergie le recyclage, au moins pour ce qui concerne la combustion des ordures, dépend de la qualité du tri en amont
La preuve de ce que j’avance est le fait que les centrales de combustion des ordures en Suisse générent de l’électricité sans qu’il soit besoin l’entretien la combustion avec du gaz comme cela se pratique en France mais seulement de l’air comprimé
Cela prouve bien que nous avons encore des progrès à faire
Jean Grossmann
Merci de lire
Les centrales de combustion des ordures en Suisse générent de l’électricité sans qu’il soit besoin d’ENTRETENIR la combustion avec du gaz comme cela se pratique en France mais seulement de l’air comprimé