Flore Berlingen explique les contradictions de l’économie du recyclage en France dans son livre Recyclage, le grand enfumage dont nous avons déjà republié des bonnes feuiilles. Elle milite pour la réduction des déchets. Alors qu’elle s’apprête à quitter ses fonctions au sein de l’association Zero Waste France après une dizaine d’années, Flore Berlingen appelle à nouveau à réformer le fonctionnement des filières de recyclage et des éco-organismes, dont les intérêts économiques ne vont pas de pair avec l’intérêt général.
La gestion des déchets représente un coût d’environ 20 milliards d’euros par an en France, partagé entre les collectivités locales et les filières de « Responsabilité élargie du producteur » (REP), les producteurs étant les industriels de chaque secteur. Expliquez-nous le fonctionnement de ce partenariat ?
Les collectivités locales supportent environ 14 milliards d’euros, qui intègrent des dépenses de fonctionnement (collecte des ordures, mais aussi nettoyage des rues) et d’investissements dans toutes les installations de traitement des déchets (incinérateurs, centre de tri, de recyclage…). Les entreprises contribuent à ces coûts via les filières REP qui collectent 1,2 milliards d’euros et les redistribuent soit aux collectivités locales, soit directement aux opérateurs de recyclage, par exemple dans la filière textile. Il existe plusieurs filières selon le type de produits : emballage, mobilier, médicaments, textile… Et de nouvelles vont être bientôt créées, dont une pour les jouets.
Les opérateurs de traitement, eux, que ce soient les exploitants d’incinérateurs, les centres d’enfouissement ou de tri, sont rémunérés au tonnage. Plus il y a de déchets, plus le chiffre d’affaires augmente. C’est en contradiction avec la nécessité de faire baisser notre production de déchets. L’Ademe travaille d’ailleurs pour imaginer un autre modèle économique, où le profit serait en corrélation avec des quantités moindres.
Le grand public connaît certaines de ces filières REP grâce aux éco-organismes agréés par l’État qui les représentent, comme Citeo pour les emballages. Dans votre livre, vous expliquez que le rôle de ces éco-organismes ne se limite pas à collecter et redistribuer l’argent mais qu’ils se voient également confier une mission de prévention…
En effet, cela fait partie des missions confiées par l’État. Sur le papier, leur rôle est d’accompagner leurs adhérents vers une réduction des déchets. Dans les faits on constate ici un premier dysfonctionnement : les industriels qui sont les administrateurs des éco-organismes n’ont pas intérêt à lancer des campagnes de communication qui impactent l’image de leurs produits. Leur intérêt économique peut aller à l’encontre de l’intérêt général qui serait de réduire les déchets et la consommation des ressources. De la même manière que le PIB mesure la croissance mais n’est pas un bon indicateur de la santé d’un État car cet indicateur intègre également ce qui génère de la pollution, des accidents ou des maladies, les éco-organismes ne sont pas bien placés pour lutter contre des déchets qui sont partie intégrante de leur production. Dans la filière emballage par exemple, la « réduction » reste cantonnée à quelques initiatives d’éco-conception qui se limitent souvent à des recherches d’allégement, comme fabriquer des pots de yaourt avec moins de plastique. Il n’y a pas de réelle remise en question des emballages à usage unique.
De fait, en ce qui concerne les emballages, vous écrivez que l’éco-organisme Citeo s’est même associé aux industriels de la plasturgie et de l’agroalimentaire dans leurs opérations de lobbying pour défendre le plastique à usage unique en 2018, auprès de députés européens…
C’est vrai. Et c’est une action qui va totalement à l’encontre de son cahier des charges et de sa mission de prévention. Comme lorsque cet éco-organisme, dans les visuels de la campagne « Vous triez, nous recyclons », aligne les bouteilles et les marques de ses adhérents. J’y vois plutôt une publicité pour les sodas qu’une information sur le tri. Mais les éco-organismes ne sont jamais sanctionnés, ni pour cela, ni lorsqu’ils n’atteignent pas leurs objectifs en termes de progression du recyclage. Certains sont en position de monopole, ce qui crée un rapport de force qui n’est pas en faveur de l’Etat. C’est pourquoi celui-ci devrait reprendre la main. La mission confiée aux éco-organismes est trop importante et les contrôles bien trop limités, par manque de moyens des services de l’Etat.
En plus de la prévention, les éco-organismes sont censés valoriser les innovations « vertes », vers des matériaux biosourcés qui se dégraderont naturellement par exemple, ou vers des emballages faciles à recycler. Expliquez-nous le système de « bonus-malus » qui devraient favoriser les bonnes pratiques ?
Ce sont les « éco modulations » des contributions versées par les entreprises. En théorie, celles-ci bénéficient d’un bonus si elles mettent sur le marché un objet ou un emballage avec un meilleur degré de recyclabilité. Et elles risquent un malus si elles font un choix qui limite les possibilités de recyclage. L’efficacité de ce système est très limitée par la faiblesse des montants en jeu, et parce que Citeo rechigne à appliquer des malus dans des cas où ce serait pourtant nécessaire. Ensuite, il y a un autre problème qui vient du fait que la question de la disponibilité d’une technologie de recyclage est posée après coup, une fois l’emballage mis sur le marché.
C’est-à-dire ?
Par exemple, en 2015-2016 a été lancée la bouteille de lait en PET opaque. Le matériau traditionnellement utilisé et recyclable a été abandonné au profit de celui-là, 20 à 30 % moins cher, plus léger mais non recyclable et qui, en plus, a perturbé les chaînes de tri. L’éco-organisme a laissé faire les industriels. Il y a eu un malus imposé par le ministère de l’environnement, mais qui ne les a pas arrêtés. Il aurait fallu, au contraire, évaluer ce matériau avant sa mise sur le marché et l’interdire.
Les consommateurs sont peu informés de tout cela. Beaucoup pensent que tous les emballages qu’ils déposent dans les bacs de tri sont recyclés et que le problème s’arrête là…
Les pictogrammes dessinés sur les emballages ne sont pas de nature à les aider. Sur le même emballage, vous pouvez trouver le Point vert, que beaucoup prennent pour le symbole du produit recyclable alors qu’il signifie seulement que l’entreprise a payé sa contribution. Celle-ci est depuis longtemps obligatoire, alors pourquoi continuer apposer ce logo ? À côté vous pouvez trouver la mention « Pensez au tri » qui suggère donc de séparer l’emballage des ordures ménagères mais qui peut être complétée par une autre mention, comme « Emballage à jeter ». Effectivement, il y a de quoi se perdre dans ces injonctions contradictoires…
Quels changements seraient nécessaires à votre avis pour que le système fonctionne mieux ?
Il faut créer une gouvernance publique pour la gestion des déchets. Tout est à revoir. Les filières REP ont été créées pour faire face à l’explosion des coûts de gestion des déchets par les collectivités locales. Or, leur fonctionnement, on l’a vu, est très imparfait. Il faut lancer un débat et créer une nouvelle gouvernance, publique. La nouvelle règlementation qui limite les plastiques à usage unique, c’est l’Etat qui en est à l’origine. Sans lui, elle n’aurait pas vu le jour. On ne peut plus tout confier aux filières et aux éco-organismes. Il faut lever les contradictions et mettre en place des règlementations et une fiscalité qui incitent à aller dans le bon sens.
Propos recueillis par Sophie Noucher
2 commentaires
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Michel CERF
Le recyclage est loin d’être satisfaisant , et surtout le grand problème reste la surproduction , la surconsommation et la surpopulation .
Méryl Pinque
Complètement d’accord avec Michel.