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Rencontre avec Igor Louboff et Hélène Vuong, acteurs de la transformation de la campagne normande : « pour agir, inspirons-nous des systèmes complexes de la nature »


Igor Louboff à la ferme El Capitan, Orne, Normandie. © El Capitan

Igor Louboff et Hélène Vuong, 34 et 35 ans, font vivre avec toute une équipe l’éco-lieu El Capitan dans l’Orne, en Normandie. Là-bas, ils attirent et accueillent des citadins souhaitant s’installer et montent des projets sur ce territoire qui manque d’agriculteurs comme de médecins. Nous avons posé 3 questions à ces deux anciens urbains sur-diplômés, convaincus que l’échelon local est le plus pertinent pour évoluer vers la résilience et le bonheur.

Vos parcours sont étonnants : Igor, vous êtes titulaire de 2 masters en économie et vous avez travaillé au sein de l’ONU et du ministère des Affaires étrangères. Hélène, vous êtes diplômée de l’université Paris Dauphine et vous avez été consultante puis commerciale pour des marques de textiles en Asie et en Australie. Pourquoi met-on un terme, à 35 ans à peine, à des carrières internationales prometteuses pour s’installer dans un village de l’Orne ?

Igor Louboff : Je suis passionné par les questions d’économie internationale depuis mon adolescence. Le développement des pays du Sud m’intéressait particulièrement mais je me suis rendu compte que les organisations comme l’ONU sont des machines administratives et politiques peu adaptées pour apporter des réponses efficaces aux enjeux du XXIe siècle. Tout d’abord une partie de l’aide au développement repose sur la logique de l’endettement, qui revient à poser un pansement sur une plaie ouverte. Ensuite, l’échelon international souffre d’une force d’inertie considérable due à la fois à la taille des structures, à un système de pensée souvent monolithique et aux contraintes administratives et politiques liés aux grands centres de pouvoir. Tout changement de cap nécessite une énergie collective considérable. J’avais le sentiment que je ne plaçais pas ma contribution individuelle au bon endroit pour participer à ce changement. J’ai même tendance à penser qu’elle était négative au vu de l’argent public que mon poste coûtait au contribuable (salaire, missions à l’étranger, etc). Au final, mon action n’améliorait en rien les conditions de vie des personnes que ces institutions visent à servir.

Hélène Vuong : J’ai ressenti moi aussi cette impression de ne pas être au bon endroit. Après avoir été au service de l’industrie textile et du conseil, j’ai décidé en 2018 de changer de vie. L’environnement de travail que j’avais choisi, l’illusion d’une ascension sociale, d’un poste à responsabilité reconnu par mes pairs et d’un bon salaire me permettant de payer le mode de vie dont je rêvais, tourné vers la consommation et mon plaisir personnel, ne me rendaient pas heureuse. Je prenais connaissance de la réalité du dérèglement climatique, des inégalités sociales qui continuent à se creuser et des conséquences irréversibles de nos choix de vie sur l’avenir des futures générations. Je ressentais une dissonance entre mon quotidien et mes convictions grandissantes d’œuvrer pour un monde plus durable et sobre. Convaincre les gens de toujours consommer plus de produits dont ils n’ont pas besoin ne faisait plus sens, mon travail n’avait plus de sens. Je suis alors partie à la recherche de ce que je pouvais faire pour être utile aux autres.

Bien qu’il y ait besoin d’acteurs engagés à tous les niveaux, du global au local, l’ancrage et le travail à l’échelon territorial se sont imposés comme une évidence pour moi. C’est un échelon où le contact humain est privilégié et omniprésent. Apprendre à se connaître et à s’écouter soi-même prend du temps. Il est nécessaire d’en faire autant avec les autres car c’est ce qui permet de mettre à plat les problèmes, de comprendre les besoins de tous et de trouver des solutions pour faire et construire ensemble.

El Capitan
Hélène Vuong à la ferme El Capitan, Orne, Normandie.
© El Capitan

Igor Louboff : Le déséquilibre de population entre les villes et les campagnes a également été pour moi un axe de réflexion. L’ONU prévoit que plus des deux tiers de l’humanité vivra en ville d’ici 2050 et qu’une personne sur trois habitera un bidonville… En France, les urbains parlent de stress, des prix prohibitifs de l’immobilier, des problèmes de transport ou de pollution alors que les campagnes regorgent de maisons vides et sont en manque de médecins ou d’agriculteurs. Ici, dans le bocage ornais où nous sommes implantés, vivent 80 000 habitants. C’est un territoire suffisamment large pour apporter des propositions structurantes et imaginer ensemble un nouveau modèle de société. Les citoyens ont des attentes importantes vis-à-vis des dirigeants, et voudraient que tout change tout de suite. Ce n’est pas réaliste. Ici, nous essayons de mettre sur pied des projets pragmatiques, à petite échelle mais en misant sur l’idée que des changements profonds mettent du temps à se matérialiser. Notre démarche s’inscrit donc à l’échelle d’un territoire et à l’horizon d’une dizaine d’années.

Pour cela, vous parlez de créer un « archipel citoyen » en faisant émerger des potentiels, avec beaucoup plus de responsabilités confiées à chacun…

Igor Louboff : Notre modèle démocratique souffre d’une crise d’identité. Les structures pyramidales, hiérarchiques, freinées par des goulots d’étranglement, ne permettent pas d’avancer de façon pertinente et suffisamment rapide face à un monde qui change de plus en plus vite. Pour agir, nous pouvons nous inspirer des systèmes complexes observés dans le monde naturel : dans une ruche ou une fourmilière, aucun animal ne dirige. La reine d’une fourmilière n’ordonne rien, elle joue principalement un rôle de reproduction. Le reste des fourmis échange des informations directement et adapte ses actions au contexte, de façon à permettre au collectif de s’adapter et de se développer. Notre projet repose sur ce modèle : il s’agit de créer un contexte permettant au citoyen de se sentir légitime à proposer des idées, à demander de l’aide ou à agir directement.

Hélène Vuong : La première étape, c’est que chacun se sente à l’aise. Le co-living El Capitan, une maison localisée dans la Suisse normande, a pour vocation d’accueillir toute personne souhaitant se ressourcer et travailler au plus proche de la nature. Les gens viennent pour prendre l’air de la campagne et vivre le temps de quelques jours une vie partagée. Les moments informels font émerger des envies, des interrogations et participent à révéler les potentiels de chacun : c’est le partage avec l’autre qui permet de s’inspirer et de peut-être trouver des réponses sur des réflexions personnelles et professionnelles. Les moments individuels et collectifs participent à trouver sa propre voie et comprendre où se trouve sa juste place.

Par exemple, nous avons accueilli Elsa qui a quitté son poste dans l’entreprenariat social pour se réorienter vers une formation de maraîchère. Elle cherchait sa prochaine étape. Elle a rencontré ici des gens qui l’ont inspirée et avec lesquels elle a développé une relation de confiance et d’amitié. On a visité ensemble La Barberie, une ferme expérimentale près de Saint Lô où elle travaille aujourd’hui. Elle y a trouvé sa place : ses compétences et sa légitimité à travailler la terre y sont reconnus par ses pairs. C’est tout un processus que la vision du parcours d’études et le monde de l’emploi ne retranscrit pas. Il est pourtant essentiel à notre construction personnelle.

Expliquez-nous comment vous structurez les projets personnels comme collectifs (une filière légumière, un plan alimentaire territorial, l’accueil de jeunes médecins, la co-construction d’un habitat passif…) autour de la notion de « bien commun ».

Hélène Vuong : Le bien commun, on l’expérimente dès l’arrivée au co-living où chacun est appelé à offrir ses compétences et son énergie tout en prenant conscience de son impact sur les autres. C’est vrai en ce qui concerne les tâches ménagères mais aussi dans la relation tissée avec les résidents du co-living, qui implique une attention à l’autre. C’est le début de l’intelligence collective. De plus en plus d’habitants du bocage nous rejoignent à El Capitan autour de moments où nous proposons d’être et de faire ensemble.

Igor Louboff : La notion de « bien commun » se comprend mieux par l’expérimentation directe que par un long discours. Quand une chasse d’eau est cassée, il y a ceux qui changent de toilettes et ceux qui essaient de la réparer. En partageant un commun, on en partage les droits d’usage mais aussi les responsabilités. Vivre et faire ensemble, ça incite donc à réfléchir à l’exemple que l’on montre. C’est tout aussi vrai à l’échelle d’une maison partagée que d’un territoire. Quand les exploitations bio fonctionnent, qu’elles sont rentables et que les agriculteurs sont heureux, ils deviennent inspirants et donnent l’exemple qui poussera le voisin à modifier ses propres pratiques.

Lorsqu’une personne vient vers nous avec un projet ou lorsque nous voyons une opportunité pour le territoire, comme la filière légumière bio et locale pour la restauration collective qui est en train de se mettre en place, nous travaillons en 3 temps : tout d’abord nous rencontrons les différents acteurs et nous tissons des liens pour concevoir le projet ensemble, ensuite nous cherchons des financements pour expérimenter une phase pilote puis nous réfléchissons au modèle économique et au modèle de gouvernance permettant de pérenniser le projet sur le long terme.

Hélène Vuong : Ce qui permet d’agir autour des biens communs, c’est le lien de confiance tissé entre chaque individu. Cette confiance à son tour permet à chacun de trouver sa place et d’exprimer son plein potentiel au service du collectif.

Propos recueillis par Sophie Noucher

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4 commentaires

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    • Méryl Pinque

    Laissons la campagne à la nature et aux animaux !
    L’humanité, déjà surnuméraire, n’a qu’à rester dans ses villes de béton et laisser le reste aux autres vivants.

    • Michel CERF

    Quel monde merveilleux ! il fait bon rêver mais le réveil nous remet face à la réalité !

    • Claude Courty

    À Super-bobo :
    Migrants ou autres Terriens en surnombre acceptés ?
    Si oui, quels sont les délais, car la file d’attente risque être longue., et ça urge.

    • David Robson

    Prendre les ruches ou les fourmilières, ces « systèmes complexes », comme modèle de société est édifiant ! On voit ici le fascisme rampant de ces pseudo-écologistes, et je crains que M. Liouboff ne soit qu’un gourou de plus….