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Plan de reboisement en France : 200 millions… et des blocages

plantation arbres Pyrénées

Plantation d'arbres près de Seix, Pyrénées. ©Yann Arthus-Bertrand
Près de Seignosse, dans les Landes.
David/Flickr, CC BY-NC-ND

Catherine Collet, Inrae

Dans le cadre du cinquième anniversaire de The Conversation France, nous vous proposons une plongée dans les forêts françaises à l’heure des dérèglements climatiques… En attendant d’évoquer plus largement la vie des arbres lors de notre rencontre en ligne, le 19 novembre prochain.


C’est l’un des plus importants postes de dépenses prévues dans le volet « environnement » du plan de relance présenté le 3 septembre 2020 par le gouvernement : le reboisement.

Pour atteindre l’objectif annoncé de planter 45 000 hectares de forêts, une enveloppe de près de 200 millions d’euros doit être débloquée pour aider au renouvellement par plantation des peuplements ayant dépéri ces dernières années sous l’effet des sécheresses, des canicules ou des pathogènes.

Ce plan de reboisement ambitieux apparaît aujourd’hui d’autant plus essentiel que les forêts jouent un rôle décisif dans la lutte contre le changement climatique. Selon le ministère de la Transition écologique, la filière forêt-bois permet en effet de compenser 20 % des émissions françaises de CO2.

Le reboisement contribue à la pérennité des espaces forestiers : il permet d’assurer le maintien de l’ensemble des services – économiques, culturels, environnementaux – rendus par la forêt ; on pourra ici citer le soutien aux filières économiques locales, l’amélioration de la qualité de l’eau, le maintien des habitats naturels et de la biodiversité ou le support d’activités récréatives.

La plantation est un outil de choix pour l’adaptation des forêts au changement climatique car elle permet, dans les espaces où cela semble nécessaire, la substitution des essences existantes par d’autres, plus adaptées au climat futur attendu, ou par des essences résistantes aux ravageurs biotiques (chalarose du frêne, processionnaire du chêne, scolyte de l’épicéa par exemple).

La plantation permet notamment de reconstituer les forêts dans les situations (aléas climatiques, ravageurs) où le peuplement n’est plus en mesure de produire les graines nécessaires à la régénération naturelle.

La filière forêt-bois en France

Voici quelques repères importants concernant l’activité forestière française.

En 2019, la production annuelle de bois dans les forêts du territoire s’élevait à plus de 85 millions de m3. La récolte atteint, elle, près de 39 millions m3 (avec plus de 19 m3 en bois d’œuvre, 10,5 m3 en bois d’industrie et plus de 8 m3 en bois énergie pour la production de chaleur/chauffage).

Dans la métropole française, la forêt est à 70 % privée ; 20 % appartiennent aux collectivités (principalement des communes), les 10 % restants correspondant aux forêts domaniales (propriété privée de l’État).

Plus de 30 % du territoire de la métropole est couvert par la forêt, ce qui représentait, en 2019, près de 17 millions d’hectares (dont 62 % de peuplements feuillus, 19 % de résineux, 19 % de mélange et autres). Enfin, le secteur forêt-bois représente 425 000 emplois environ.

Un secteur peu rentable et fragmenté

Lorsqu’ils décident de reboiser, les propriétaires de parcelles forestières vont privilégier certains des objectifs évoqués plus haut, en fonction de l’importance qu’ils accordent aux différents services rendus par la forêt.

Des acteurs publics et privés, notamment les investisseurs dits « institutionnels » – banques, assurances ou fonds d’investissement – auront davantage tendance à adopter une démarche de valorisation économique des habitats naturels, affichant alors un objectif de rentabilité grâce à la vente de bois ou, plus rarement, une perspective de plus-value foncière à la revente.

À l’inverse, de nombreux propriétaires, privés et publics, s’inscrivent dans une perspective patrimoniale et sont disposés à investir dans des reboisements, même si leur projet ne sera jamais rentable sur un plan financier, dès lors qu’il permet d’assurer la transmission d’une « belle forêt » aux générations futures.

L’équilibre entre les différents objectifs assignés à la future plantation varie bien sûr considérablement selon le contexte local et l’importance des enjeux environnementaux et sociaux perçus par le propriétaire.

Soulignons toutefois que certains acteurs publics, à l’image de l’Office national des forêts, peuvent grâce à un système de péréquation nationale, envisager l’équilibre financier du système forestier à grande échelle : les forêts productives compensent les forêts où ce sont les enjeux environnementaux et sociaux qui priment.

Des freins multiples au reboisement

Les coûts financiers constituent à l’heure actuelle un premier frein au reboisement. Les investisseurs doivent s’engager pour longtemps (le chêne met par exemple 100 à 150 ans à devenir mûr pour la production forestière) et les rendements, déjà moins intéressants que bon nombre de placements, tendent à diminuer en raison de la composante risque qui devient beaucoup plus forte.

Avec la fréquence des aléas climatiques et biotiques (tempêtes, sécheresse, insectes, etc.), l’ère de la forêt synonyme d’assurance à long terme, avec un cours du bois relativement stable, semble aujourd’hui révolue.

Sur le plan économique, le secteur est également fragilisé par sa grande fragmentation. Il se compose d’entreprises de toutes tailles, de coopératives, de petits propriétaires fonciers, d’acteurs institutionnels… À l’échelle de la France, on n’est ainsi pas en mesure de connaître précisément la surface des forêts plantées chaque année !

Cette faible intégration de la filière, si elle reste toutefois très variable selon les régions, devient un obstacle lorsqu’il s’agit de faire face à des situations critiques.

Ainsi, lors de la crise des scolytes, ce parasite qui ravage les forêts plantées d’épicéas dans l’Est de la France depuis 2018, cette fragmentation a compliqué la définition d’un message et d’une stratégie communs ; seul le rapprochement des acteurs régionaux de l’aval et de l’amont de la filière a finalement permis une réponse collective.

L’élaboration de la stratégie de reboisement des forêts endommagées par les scolytes nécessitera elle aussi la construction d’une vision partagée par les différents acteurs. A contrario, les acteurs sont moins dispersés en Nouvelle-Aquitaine, pour des raisons historiques liées à l’installation de la forêt landaise aux XIXe et XXe siècles, facilitant ainsi l’émergence de stratégies collectives.

La crise des scolytes en région Grand Est. (ONF/Youtube, 2019).

Des taux d’échec inquiétants

Cette fragmentation conduit aussi à limiter la capacité d’innovation de la filière et notamment la capacité à faire évoluer les pratiques sylvicoles et à améliorer leurs performances techniques. En effet, les échecs de plantation, parfois fréquents pour les essences les plus sensibles, constituent un autre frein au reboisement.

L’état sanitaire des forêts françaises demeure aujourd’hui préoccupant. En raison des printemps et des étés de plus en plus secs, les années 2015, 2018 et 2019 ont enregistré les taux d’échecs des plantations record : 30 à 40 % selon l’enquête annuelle du département « Santé des forêts » du ministère de l’Agriculture. Et 2020 s’annonce encore comme une mauvaise année.

Ces échecs sont aggravés par différents facteurs « biotiques » : les cerfs, chevreuils et sangliers qui broutent ou déterrent les jeunes plants ; les insectes herbivores (hannetons, hylobe) qui les consomment, au niveau des feuilles comme au niveau des racines ; ou encore la végétation spontanée (fougère, ronce) qui apparaît dans les jeunes plantations et entre en compétition avec les plants pour l’eau ou les nutriments du sol.

Les plants, fragiles en sortant de la pépinière, doivent être protégés contre tous ces aléas pendant la période d’installation de la plantation, de quelques mois à quelques années. Depuis une bonne décennie, ces échecs récurrents deviennent inquiétants pour certaines essences, comme le chêne ou le sapin de Douglas. En revanche, d’autres essences, comme le pin maritime, première essence de reboisement en France, sont plus robustes et rencontrent davantage de succès.

Par ailleurs, le reboisement affecte l’environnement et peut, tout particulièrement, modifier de façon transitoire la végétation et la faune, et perturber le sol. Il importe de limiter ces impacts, notamment dans les milieux les plus sensibles.

Nos recherches visent justement à améliorer les techniques pour limiter les échecs. Nous produisons à cette fin des fiches techniques et des tutoriels vidéo à destination des professionnels.

Le reboisement, aussi un enjeu de société

Le reboisement se heurte enfin à des limites d’ordre sociologique et rencontre, parfois, des oppositions vives. Celles-ci sont alimentées en premier lieu par des questionnements sur l’impact environnemental du reboisement ; elles peuvent mener au rejet de certaines pratiques considérées comme trop radicales et trop perturbantes pour l’environnement. Ainsi, la coupe rase, le choix de certaines essences, la mécanisation, l’engrillagement, sont fréquemment montrés du doigt et constituent autant de sujets de conflits potentiels entre les acteurs concernés.

Le décalage entre les points de vue des acteurs résulte à la fois d’une méconnaissance par la société des enjeux liés à la plantation, et d’une prise en compte insuffisante par les praticiens des attentes sociales.

Face à ce problème, nous essayons d’effectuer un travail pédagogique auprès des différents acteurs – grand public, professionnels, propriétaires forestiers – que nous touchons grâce à des structures spécialisées (parcs naturels), les interprofessions ou les organismes de conseil et de gestion forestière.

Nous avons élaboré une stratégie globale incluant la formation et les campagnes de sensibilisation des praticiens forestiers, des actions de communication éducative ciblant le grand public, et des journées d’échanges entre les acteurs. Avec l’objectif de les faire réfléchir collectivement au fonctionnement dynamique et complexe d’une forêt et aux leviers d’action possibles pour assurer, ensemble, un renouvellement forestier réussi.


Vincent Boulanger (responsable de pôle « Recherche, Développement et Innovation » au sein de l’Office national des forêts) est co-auteur de cet article.The Conversation

Catherine Collet, Chercheuse en sylviculture, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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