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Comment nous avons découvert trois nouvelles espèces de manchots dans l’océan Austral

manchots Antarctique YAB

Manchots sur la glace, Terre-Adélie, Antarctique. ©Yann Arthus-Bertrand
P. poncetii en Géorgie du Sud.
Gemma Clucas, Author provided

Jane Younger, University of Bath

Quand on parle de la découverte de nouvelles espèces, on s’imagine des scientifiques en train d’explorer la forêt amazonienne en quête de variétés d’insectes inconnues, ou de fouiller les fonds marins pour y dénicher de mystérieux crustacés. Pourtant, la plupart des dernières espèces identifiées étaient déjà partiellement connues.

Ces espèces « cachées » sont parfois tellement semblables à leurs homologues que ce qui les distingue n’a rien d’évident, et ce ne sont que les différences observées dans leur ADN qui permettent de l’établir. Ce n’est pas en parcourant le monde que les scientifiques s’en aperçoivent, mais dans les laboratoires de génétique.

Grâce à la multiplication des données génétiques, la recherche se trouve au cœur d’une deuxième vague de découvertes en matière de biodiversité. Au cours des dix dernières années, les chercheurs ont en effet recensé de nouvelles espèces de girafes, de dauphins, d’oiseaux et d’orangs-outans. Et ce sont à présent trois espèces supplémentaires de manchots que mes collègues et moi-même avons distinguées.

Three penguins stood on a rock in front of a wall of ice
Les Pygoscelis ellsworthi de la péninsule antarctique.
Gemma Clucas

Après avoir analysé l’ADN et la morphologie des manchots papous, nous avons été surpris de constater qu’ils constituent quatre espèces distinctes, et non une seule. Le nombre de variétés de manchots passe donc de 18 à 21, et de nouvelles découvertes semblent possibles.

Dans le cadre de notre étude, nous avons analysé les différences génétiques entre les colonies de l’océan Austral, notamment dans les îles Malouines, la Géorgie du Sud, la péninsule Antarctique et l’archipel des Kerguelen. Nous avons découvert que les manchots papous de ces quatre territoires ne se reproduisent pas entre eux et se sont par conséquent différenciés sur le plan génétique, si bien que l’origine d’un manchot peut uniquement être déterminée à partir de son ADN.

Nous ne nous attendions pas à un tel constat, dans la mesure où il est attesté que d’autres espèces de manchots – comme le manchot royal, dont l’aire de répartition chevauche celle du manchot papou – s’accouplent parfois avec des spécimens de colonies établies à quelque 7 500 km de distance, en pleine mer. En fait, le degré de divergence génétique entre ces quatre colonies est si important que l’on peut considérer qu’elles évoluent de façon indépendante les unes des autres.

Group of penguins on a beach.
Le Pygoscelis papua des Malouines.
Gemma Clucas

À première vue, les quatre types de manchots se ressemblent beaucoup. Toutefois, lorsque l’on mesure la taille de leurs crânes, becs, nageoires et pattes, nous constatons de réelles différences, les spécimens de la péninsule Antarctique étant les plus petits et ceux des îles Malouines, les plus imposants.

Ces différences morphologiques et génétiques sont suffisamment importantes pour que le manchot papou (Pygoscelis papua) soit désormais distingué en P. papua des îles Malouines, P. ellsworthi de la péninsule Antarctique, P. poncetii de Géorgie du Sud et _ P. taeniata_ des Kerguelen.

Chacune de ces espèces évolue dans des conditions environnementales bien distinctes et à des latitudes très diverses. Le P. ellsworthi vit sur la péninsule Antarctique, froide et glacée, à une latitude d’environ 65° sud, ce qui contraste fortement avec les conditions plus clémentes dont jouit le _P. taeniata, à 49° sud. Les quatre espèces ont par ailleurs un régime alimentaire différent, sachant que celles qui sont implantées plus au sud consomment davantage de krill et moins de poisson.

Penguin crying and flapping its wings on a beach.
Le P. poncetii de Géorgie du Sud.
Gemma Clucas

Il faut désormais comprendre comment les quatre espèces se sont adaptées à leur habitat, et de quelle façon elles sont susceptibles de réagir face aux changements climatiques à venir.

La subdivision des manchots papous en espèces distinctes entraîne d’importantes conséquences en termes de protection. Ces animaux sont classés dans la catégorie des espèces « peu menacées » de l’Union internationale pour la protection de la nature. Le nombre total d’individus a par ailleurs augmenté au cours des dix dernières années, et on estime qu’il s’agit de l’espèce de manchots qui pourrait bénéficier le plus du dérèglement climatique, ce phénomène étant susceptible de lui permettre d’étendre son territoire vers le sud.

La croissance des effectifs concerne toutefois essentiellement l’une des nouvelles espèces répertoriées, le P. ellsworthi de la péninsule Antarctique. Sachant qu’aucun recensement des populations n’a été effectué en Géorgie du Sud ni dans l’archipel des Kerguelen depuis les années 1980, il est impossible de se prononcer sur le statut des P. poncetii et P. taeniata.

Group of penguins on rocks in front of wall of ice.
Le P. ellsworthi de la péninsule Antarctique.
Gemma Clucas

Compte tenu de leur implantation sur des îles isolées au large des côtes nord de la péninsule Antarctique, il ne fait aucun doute que les effets du dérèglement climatique ne sont pas tous les mêmes pour ces deux espèces, et qu’elles sont plus en danger que le P. ellsworthi. Il convient donc, au vu du dérèglement observé dans l’océan Austral, de procéder de toute urgence à l’examen du statut de protection de l’ensemble des espèces de manchots papous.

Les extinctions dues aux changements climatiques et à la réduction des habitats se produisent à un rythme absolument alarmant. La découverte de trois nouvelles espèces de manchots, qui comptent sans nul doute parmi les animaux les plus appréciés au monde, montre à quel point nous connaissons encore mal la formidable diversité du vivant sur notre planète.

Nous devons donc poursuivre nos efforts d’identification de nouvelles espèces afin d’assurer au mieux la préservation de la biodiversité pour les générations futures. Faute de quoi, nous risquons de laisser disparaître des espèces dont nous ignorions même l’existence.


Traduit de l’anglais par Damien Allo pour Fast ForWordThe Conversation

Jane Younger, Research Fellow, Department of Biology & Biochemistry, University of Bath

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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