Dans une étude publiée dans la revue Nature début décembre, des scientifiques de l’Institut Weizmann des Sciences montrent que la masse des objets artificiels fabriqués par l’être humain dépasse l’ensemble de la biomasse vivante. Ainsi, la masse cumulée des objets, des bâtiments et des routes dépasse les 1,1 Téra tonnes, soit plus de 1 100 milliards de tonnes. Par exemple, la masse du plastique produit depuis son invention (9 milliards de tonnes) surpasse celle de l’ensemble des animaux marins et terrestres (2 milliards de tonnes) vivants actuellement. Les chercheurs ont pris en compte le béton, les métaux, les briques, l’asphalte, les matières synthétiques comme les plastiques ou encore les agrégats comme le gravier.
Alors qu’en 1900, l’espèce humaine avait fabriqué un total d’objets anthropiques (d’origine humaine) équivalent à 3 % de la biomasse vivante, en 2020, pour la première fois dans l’histoire de la planète et de la civilisation, la masse anthropique dépasse la biomasse. Cela ne s’arrête pas là, puisque si la tendance se poursuit au rythme actuel de 5 % de croissance par an de la production, les scientifiques estiment que la masse anthropique aura triplé en 2040. Ce phénomène s’explique par la croissance démographique et l’extension urbaine tandis que la biomasse a légèrement diminué en un siècle, notamment sous l’effet des activités humaines.
En portant leur regard plus loin dans le temps, il y a 10 000 ans avec le début de l’agriculture, les auteurs de l’étude notent que : « depuis la première révolution agricole, l’humanité a réduit de moitié la biomasse des plantes. » Ils avertissent que la tendance se poursuit encore de nos jours, « l’agriculture moderne utilise de plus en plus de terres. Le total de la biomasse des végétaux détruits par la déforestation, le changement d’affectation des sols et une mauvaise gestion des écosystèmes naturels excède de loin la biomasse des cultures implantées. Ces tendances dans l’évolution de la biomasse affectent le cycle du carbone et la santé humaine. »
Une preuve de plus de l’entrée dans l’anthropocène
Franck Courchamp, écologue et chercheur au CNRS (il n’a pas pris part à l’étude) commente : « pour la première fois, on peut comparer ce que l’homme produit et ce que la planète produit. Ce qui permet de voir quand l’homme dépasse la nature en production et c’est maintenant. C’est une étude de plus qui montre que notre époque peut être qualifiée d’anthropocène et ce n’est pas une bonne nouvelle. »
L’anthropocène désigne une nouvelle ère dans laquelle l’être humain dispose de la capacité de perturber les équilibres et les cycles naturels dont celui du carbone et des gaz à effet de serre.
Il faut savoir que les végétaux composent 90 % de la biomasse de la Terre et que, au final, l’espèce humaine représente à peine 0,01 % de la biomasse. Or aujourd’hui, les êtres humains ont acquis la capacité de produire plus de matériaux que la nature elle-même, en grande partie au détriment de cette dernière, soit en l’exploitant soit en la transformant voire en la détruisant. « Les objets fabriqués par l’être humain ne sont pas biodégradables contrairement à ce que la nature produit. Le béton, les métaux, les machines les plastiques vont rester longtemps et cela va appuyer l’impact des activités humaines. De plus, les productions humaines vont impacter la production naturelle. Par exemple, construire une route, un parking ou bâtir une ville, ce n’est pas simplement tracer une bande de béton sur le sol, artificialiser le sol empêchera des végétaux et des arbres de pousser », explique Frank Courchamp.
Pour le philosophe et écologiste Dominique Bourg (qui n’a pas non plus participé à cette recherche), « cette nouvelle étude va dans la même direction que ce que montrent déjà les limites planétaires : on perturbe tous les grands équilibres. On surpasse des ordres de grandeur qui existaient dans la nature avant qu’on soit là. On ne va pas vers l’artificialisation mais vers l’effondrement. »
Les résultats de cette étude soulèvent une nouvelle fois la question de l’impact des activités humaines sur l’environnement (déjà mise en lumière avec les émissions de gaz à effet de serre, l‘empreinte écologique ou encore les 9 limites planétaires pour citer les indicateurs les plus connus) et comment faire pour l’atténuer. Dominique Bourg affirme que « c’est un nouveau signal fort. Le problème est qu’actuellement les décideurs ne prennent en compte que le carbone, ils ne voient pas le vivant et ils vont donc privilégier des solutions moins émettrices, parfois au détriment du vivant comme la production d’énergie à partir de la biomasse. Or, elle représente un danger pour le vivant avec, par exemple, le recours à de grandes surfaces en monoculture. » Il propose, à partir d’indicateurs comme les limites planétaires ou l’empreinte écologique, d’instaurer des quotas pour plafonner ce que chacun peut acheter car « si on n’encadre pas les consommations finales individuelles et collectives, on n’y arrivera jamais. Il ne s’agit pas de renoncer à la consommation mais de trouver un compromis en termes de bien-être et de consommations de ressources et de matériaux. »
« On peut toujours inverser la tendance, produire moins, optimiser, mais il faut, comme pour le reste, une prise de conscience et une volonté politique », estime Franck Courchamp.
Julien Leprovost
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2 commentaires
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michel CERF
Entièrement d’accord avec cet article et la transition écologique ne sera pas aussi verte qu’on le prétend , les éoliennes ne sont pas des arbres , les panneaux solaires ne sont pas des pelouses et les batteries des escargots !
Rose-May
Encore une mauvaise nouvelle pour la planète. Comment vivre avec la conscience et la connaissance du désastre, sans sombrer dans la déprime ? Comment élever nos enfants ? Le simple fait de vivre dans notre pays est la cause de perturbations profonde. Quel serait le mode de vie acceptable pour notre planète