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Le véritable impact du Covid-19 en Antarctique n’est pas celui que vous pensez !

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Des manchots en Antarctique © Sebastian Copeland/Antarctica: The Waking Giant

L’explorateur polaire Sebastian Copeland explique la manière dont la pandémie mondiale de Covid-19 fragilise la gouvernance de l’Antarctique et les recherches scientifiques qui y sont conduites. Jusqu’à très récemment, grâce à son isolement, la région avait été épargnée par le virus. Même si ce dernier a entrainé une diminution des émissions mondiales de gaz à effet de serre, le changement climatique ne s’est pas pour autant arrêté : l’Antarctique continue d’être une des régions sentinelles du réchauffement climatique en cours et fait face à de possibles futurs grands bouleversements. Sebastian Copeland vient de publier l’ouvrage Antarctica: The Waking Giant (Rizzoli 2020) préfacé par Leonardo DiCaprio.

Le 14 avril 2020, trois mois après que l’Organisation Mondiale de la Santé ait identifié un nouveau coronavirus hautement transmissible, le dernier des travailleurs saisonniers de l’Antarctique quittait le continent, comme prévu, ne laissant que les maigres équipes habituelles pour l’hiver. La COVID venait d’atteindre le cap des deux millions d’infections dans le monde et atteignait 135 000 décès signalés.

Mais ce jour d’avril, l’Antarctique restait le seul continent sur Terre à être épargné par un agent pathogène qui allait mettre le monde à genoux. Grâce à son éloignement et à sa population clairsemée ainsi qu’à la promulgation de protocoles d’urgence dans les premiers mois de la saison australe 2020, le continent se repliait dans son sommeil hivernal avec un taux d’infection nul.

Géologiquement parlant, l’Antarctique se définit par son isolement. Après avoir quitté l’Afrique il y a 160 millions d’années, il a poursuivi son voyage vers le sud et, depuis 45,5 millions d’années, la glace à sa surface y est devenue permanente. En quelques millions d’années, la majeure partie de la végétation avait disparue et le continent s’est transformé en un désert glacial et inhabitable. Mis à part la faune migratrice qui continue de peupler de façon saisonnière ses côtes, l’Antarctique a évolué complètement en dehors de toute influence externe. Cela jusqu’en 1821, lorsque les humains ont débarqué pour la première fois, un an après sa découverte.

La valeur de cet environnement immaculé n’a pas échappé aux scientifiques. Ce continent glacé en bas du globe pourrait se révéler être un laboratoire sans pareil pour certaines des recherches scientifiques les plus complexes, qui ne peuvent être menées nulle part ailleurs sur Terre. À la suite de l’Année Géophysique Internationale de 1958, une coalition de scientifiques du monde entier a réussi à faire pression sur leurs gouvernements pour qu’ils adoptent un cadre de protection pour l’Antarctique. Ensemble, ils ont rédigé un accord international déclarant l’Antarctique une terre de science et de paix, interdisant les activités militaires, industrielles ou commerciales. Le traité sur l’Antarctique a été signé à Washington le 1er décembre 1959 et est entré en vigueur le 23 juin 1961. Aujourd’hui, 54 pays ont adhéré au Système du Traité sur l’Antarctique (STA), condition préalable à toute activité sur le continent.

Il y a près de 1 000 personnes, scientifiques et agents de maintenance, qui habitent l’Antarctique pendant l’hiver. Ils vivent dans 38 bases réparties sur les 14,2 millions de km² de sa surface, pour la plupart géographiquement concentrées. En effet, entre mi-avril et fin octobre, l’Antarctique retrouvait des conditions d’isolement dont il a joui pendant des millions d’années.

L’Antarctique n’a pas échappé au coronavirus

Mais cette réclusion soigneusement gérée s’est écroulée le 21 décembre 2020, lorsque les premiers cas de COVID sur le continent ont été annoncés par le gouvernement chilien. À la suite d’une mission de réapprovisionnement de routine, et malgré l’adoption de mesures sanitaires strictes, les passagers du navire de la marine chilienne Sargento Aldea contaminaient au moins 36 personnes dans la base « Général Bernardo O’Higgins Riquelme » au nord de la péninsule.

L’Antarctique fit une fois de plus la une de la presse internationale. Un an moins dix jours après que les premiers cas furent identifiés en Chine – 83 millions de cas et 1,8 million de décès plus tard – l’Antarctique avait rejoint le reste du monde dans la lutte contre l’infection.

Selon l’Antarctic Science Journal, 74 401 personnes ont visité l’Antarctique au cours de la saison 2019-2020. Même dans des circonstances normales, le STA prévoit des réglementations strictes pour atténuer l’empreinte humaine sur le continent et ses habitats marins et côtiers. Cela comprend la gestion des visites navales afin d’empêcher l’introduction d’organismes invasifs (ce qui a clairement échoué sur ce point). Il impose des quotas de débarquement limité à 100 personnes à la fois ; il interdit aux navires de croiser simultanément dans la même zone, etc etc… À l’intérieur, des règles similaires s’appliquent.

Mais en juillet, l’ALE (Antartic Logistics Expeditions), l’opérateur de facto de logistique et d’affrètement aérien sur la glace, avait annoncé qu’il mettrait fin à ses opérations pour la saison : vivre au contact du flux des arrivants de l’extérieur étant une trop grande responsabilité. Pour les paquebots de croisière, malgré les tentatives de développer de nouveaux contrôles plus stricts et des directives opérationnelles, l’Association Internationale des Voyagistes de l’Antarctique (IAATO) n’a finalement pas réussi à contrecarrer l’impact du tsunami viral sur ses opérations. Les restrictions sur les voyages internationaux et les mesures de quarantaine ont rendu difficile l’accès aux bateaux. Dès novembre, l’Antarctique tirait alors le rideau sur tous les travaux non essentiels de la saison 2020-2021.

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Paysage antarctique © Sebastian Copeland/Antarctica: The Waking Giant

Le Covid-19 fait peser des incertitudes sur l’Antarctique

On ne sait pas si le virus peut franchir la barrière des espèces entre les humains et la faune de l’Antarctique ; mais le déploiement rapide de nouvelles mesures et le renforcement des systèmes déjà en place rendent ce scénario improbable.

En conséquence, il est juste de supposer qu’avec le sévère contrôle des activités humaines, la réduction de la pollution et de la perturbation de l’écologie, l’Antarctique devrait sans aucun doute bénéficier de la pandémie, du moins à court terme. 2020 fait écho à la forte baisse des activités économiques qui a suivi la crise financière mondiale de 2008, laquelle avait conduit à une baisse de 43 % du tourisme en Antarctique. Le Covid, en ce sens, pourrait bénéficier au continent comme elle le fait pour l’atmosphère à la suite de la réduction de 8,8 % du CO2 mondial en 2020, ceci grâce aux confinements à grande échelle et autres restrictions de voyages.

Mais le Covid est-il vraiment juste la « nature qui redonne à la nature » pour lutter contre les actions pernicieuses des humains ? En Antarctique, ce n’est pas si simple. Malgré toutes les perturbations, les bénéfices doivent être mesurés par rapport aux activités humaines relativement négligeables qui se déroulent dans cet environnement géant, même au plus fort de sa saison australe. Après tout, 75 000 visites en moins sur un territoire deux fois plus grand que l’Australie ne correspondent pas à l‘embellie écologique mondiale largement annoncée dans la presse : de la baisse spectaculaire de la pollution à New Delhi à l’observation de dauphins dans les canaux de Venise.

En fait, bien avant que le virus n’atteigne ses côtes, l’Antarctique souffrait déjà des dommages collatéraux de la pandémie ; et le préjudice l’emportera certainement sur les avantages sur le long terme.

Au-delà du joyau scientifique qu’il est pour la recherche sur les ondes sonores, les neutrinos et l’astrophysique, l’Antarctique est un champ de bataille pour la géophysique et les transformations dynamiques qui se développent à partir du réchauffement climatique. Cela comprend: la montée des océans, la fonte des glaces et son influence sur la biodiversité locale et l’impact de la pêche commerciale sur son écosystème marin. L’Antarctique héberge certaines des modélisations scientifiques les plus complexes qui utilisent une technologie ultra sophistiquée allant de la profondeur du plancher océanique à la télédétection sur la glace et à l’observation par satellite depuis l’espace.

Mais la surveillance en temps réel est déjà entravée par la courte saison australe de l’Antarctique et sa difficulté d’accès. Aussi sophistiqués qu’ils soient, ces instruments doivent être inspectés, remplacés ou modifiés ; et les hypothèses corrigées pour tenir compte des variations non linéaires de la nature. La recherche approfondie sur le terrain a été considérablement interrompue en raison de la pandémie. La perte de glace en Antarctique a triplé en cinq ans en raison du réchauffement des courants océaniques. De tels événements de fonte n’ayant pas été observés depuis 12 000 ans, une année perdue pour étudier l’amincissement « imparable » des glaciers de Thwaites et de Pine Island dans l’ouest de l’Antarctique est un déficit grave pour les prévisions sur la montée des océans. Une étude de l’Académie Nationale des Sciences de 2019 a conclu que d’ici 2100, l’Antarctique serait à lui seul responsable de l’élévation du niveau de la mer de deux mètres. Deux ans d’attente pour la mise à jour de l’ensemble des données provenant de ces environnements ont de lourdes conséquences sur la politique mondiale.

Ainsi, travailler pour empêcher le Covid-19 de s’infiltrer dans l’Antarctique cause des dommages et met en lumière des failles dans sa gestion. Ironiquement, l’un des obstacles est sa propre bureaucratie. Malgré sa nature sauvage et son étendue inexplorée, l’Antarctique est en fait l’un des environnements les plus réglementés de la planète, et ce pour de bonnes raisons. Deux siècles de pillage insouciant avaient mené de nombreuses espèces au bord de l’extinction, notamment les otaries à fourrure et les baleines. En raison des préoccupations croissantes et d’une culture changeante, le STA a instauré une réglementation et une surveillance de toutes les activités, y compris la pêche. L’interdiction totale de la chasse à la baleine a vu la création de sanctuaires pour ces mammifères géants. Les quatre dernières décennies ont vu la croissance des populations de baleines rebondir lentement.

© Sebastian Copeland/Antarctica: The Waking Giant

Mais, administrer la réglementation dans les 54 états membres est en soi un bourbier de formalités. Le STA a tardé à réagir à la nouvelle situation pandémique dans ses deux principales commissions. Les confinements et les restrictions de voyage ont remis en cause les statuts qui exigent des votes unanimes en présence des représentants. La plupart de ces réunions diplomatiques ont été annulées ou reportées en 2020, en outre, elles nécessitent une analyse approfondie et actualisée qui ne sera effectuée que la saison prochaine. Dans la balance, il y a des questions graves qui ont trait aux quotas de pêche et à la relation de la biomasse océanique avec l’ensemble de son écosystème marin. Les eaux de l’Antarctique peuvent sembler lointaines, mais elles constituent un lien vital avec le réseau trophique marin mondial, étant donné la nature migratoire de la plupart de ses habitants. Le krill, une espèce primordiale pour les baleines, les phoques, les manchots et de nombreuses populations d’oiseaux, est recherché par les pêcheurs commerciaux, alors même que le changement climatique a décimé sa biomasse. Le krill a perdu 80 % de sa population depuis les années 1970. Parmi les réunions qui se sont déroulées (virtuellement) la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marine de l’Antarctique (CCAMLR) a conclu sa 39e réunion annuelle le 30 octobre 2020 avec un ordre du jour restreint. Au programme figurait la désignation de trois nouvelles aires marines protégées (AMP) conçues en partie pour protéger les populations de krill. La motion a été rejetée. Des informations semblent dire que les nations qui ont exercé leur pouvoir de veto, la Chine et la Russie, ont exploité les lacunes dans le format de la réunion pour mettre en avant leur agenda.

2020 a démontré que, dans une réalité de pandémie, la paralysie virtuelle qui saisit le monde s’étend jusqu’à l’océan Austral. Selon le Forum Économique Mondial, une économie post-pandémique en difficulté pourrait étouffer les budgets de recherche pour l’Antarctique et ailleurs. Avec des carences dans les données à long terme, des négociations diplomatiques complexes laissées à la merci de connexions internet fragiles, alors que le système naturel perd son équilibre sous l’influence anthropique, il est difficile de penser que la santé de l’Antarctique soit entre de bonnes mains lorsque le monde humain qui le contrôle peine à prendre soin… de lui-même.

Le véritable impact du COVID-19 en Antarctique n’est pas celui que vous pensez ! par Sebastian Copeland
Texte courtoisie de l’auteur

Antarctica: The Waking Giant

 

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