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La biodiversité des sols nous protège, protégeons-la aussi

forêt lac Argentine automne

Parc national de Lanin, lac et forêt en automne, province de Neuquen, Argentine. ©Yann Arthus-Bertrand
L’exceptionnelle biodiversité des sols reste à explorer.
Eddie Kopp/Unsplash

Sébastien Barot, Institut de recherche pour le développement (IRD)

En France, l’équivalent d’un département disparaît sous le béton tous les 7 ans. Et l’on estime que plus de 40 % des sols agricoles et 25 % de tous les sols sont dégradés à l’échelle mondiale.

À l’occasion de la Journée mondiale des sols, célébrée chaque année le 5 décembre, rappelons le rôle crucial que jouent ces milieux et leur biodiversité pour les sociétés humaines.

Qu’est-ce qu’un sol ?

Ils sont constitués par un mélange de matière minérale (sable, limon, argile) et de matière organique morte (qui donne leur couleur plus ou moins sombre). La matière minérale est issue de la dégradation et de la transformation de la roche. La matière organique est produite par les plantes et l’ensemble des organismes.

Mélanges de matière organique et minérale, les sols contiennent également une biodiversité très abondante et diversifiée : la macrofaune (vers de terre, termites, fourmis, larves d’insectes…), la mésofaune (acariens, collemboles…), la microfaune (protozoaires, nématodes…) et la microflore (bactéries, virus, champignons…).

Lombricus terrestris.

On connaît environ 4 000 espèces de vers de terre à l’échelle du globe et il en existerait 4 000 autres, non encore identifiées. Un gramme de sol contient plus de 10 000 espèces de bactéries. Et un sol en bon état peut contenir plusieurs espèces de vers de terre, 20 à 30 espèces d’acariens, 50 à 100 espèces d’insectes, des dizaines d’espèces de nématodes. On estime encore qu’un quart des espèces décrites (hors microflore) se trouve dans la terre.

Une foisonnante biodiversité peu étudiée

La biodiversité des sols est encore très mal connue, les organismes y vivant étant petits et cachés ; l’étude des micro-organismes nécessite, d’autre part, des méthodes de biologie moléculaire développées depuis une vingtaine d’années seulement.

Étudier le fonctionnement des sols reste compliqué : il faut à la fois prendre en compte leur fonctionnement physico-chimique (comme la circulation de l’eau ou la mise en solution de nutriments minéraux), leur biodiversité et les interactions écologiques qui en découlent (citons ces protozoaires qui mangent des bactéries et ces bactéries qui mangent de la matière organique morte). Sachant que ces interactions peuvent avoir lieu entre des organismes très différents : les vers de terre facilitent ainsi la croissance des plantes, des champignons sont en symbiose avec les plantes, des bactéries produisent des hormones végétales qui modifient la croissance des plantes, etc.

L’écologie des sols, discipline en plein essor depuis une quinzaine d’années, étudie ces interactions et leurs conséquences. On s’est ainsi rendu compte que les mécanismes permettant aux plantes d’interagir avec les organismes du sol, et son fonctionnement physico-chimique, sont extrêmement complexes ; elles nécessitent encore de très nombreuses recherches.

Le bon fonctionnement du sol dépend des interactions entre la matière minérale, la matière organique, les activités des organismes et toutes les interactions écologiques sous-jacentes. Ce fonctionnement dépend ainsi de la structure en agrégats de différentes tailles (d’une dizaine de mm au cm) du sol, qui laisse de l’espace libre permettant la circulation de l’eau et de l’air et facilitant ainsi la croissance des racines.

Cette bonne structure est favorisée par la matière organique morte et par les activités des organismes du sol (les vers de terre, par exemple) qui créent ces agrégats par leur déjections ou aident à les consolider.

Il n’y a pas que les vers de terre sous la terre ! (FRB, 2017).

Pourquoi les sols sont indispensables

Le premier service rendu par les sols aux sociétés humaines concerne la production de nourriture : les sols dépendent de la présence des plantes qui leur apportent leur matière organique, mais les plantes ont évidemment besoin des sols. Ils leur servent de support et elles y ancrent leurs racines (sinon elles ne tiendraient pas debout !).

Le sol sert également de réserve d’eau, ce qui permet aux plantes de pousser d’une manière continue (et pas seulement pendant quelques heures après chaque pluie). Les plantes fabriquent leur matière organique (feuilles, racines) en fixant le CO2 atmosphérique et en absorbant les nutriments minéraux (azote, phosphore…) du sol.

Les plantes dépendent ainsi du recyclage de la matière organique : les organismes du sol consomment les feuilles, les racines, le bois mort et libèrent les nutriments minéraux qui y sont enfermés, les rendant de nouveau disponibles pour les plantes. Les sols permettent donc le recyclage et le stockage des nutriments minéraux. Ils sont par conséquent à l’origine de toute la production végétale terrestre continentale et de la vie des herbivores se nourrissant des plantes et des carnivores se nourrissant des herbivores.

Les sols rendent encore beaucoup d’autres services : ils absorbent et stockent l’eau, facilitant la gestion d’eaux de pluie ; ils constituent un très grand stock de carbone par la matière organique morte qu’ils contiennent (plus que le carbone de la matière organique vivante et celui du CO2 atmosphérique réunis), ce qui peut contribuer à diminuer la teneur atmosphérique en CO2 et ainsi atténuer le changement climatique. C’est cet aspect qui a conduit à l’initiative du 4 pour 1000.

L’une des grandes inconnues, cependant, reste de savoir si les systèmes sol-plante vont stocker plus (freinant le réchauffement) ou moins (accélérant le réchauffement) de carbone sous l’impact du réchauffement climatique.

Des écosystèmes à protéger

Indépendamment du fait que les sols imperméabilisés (recouverts de béton ou de goudron) ne rendent plus de service et abritent une biodiversité très limitée (car réduite à des microorganismes), le fonctionnement d’un sol est perturbé dès que l’on porte atteinte à sa biodiversité ou que l’on modifie ses propriétés physico-chimiques. Cette situation pose un problème crucial dans le domaine de l’agriculture.

Les pesticides et le labour ont en effet tendance à impacter négativement les organismes du sol : une partie importante de la production végétale (récolte) est exportée, si bien que la quantité de matière organique contenue dans la terre et riche en nutriments minéraux a tendance à diminuer ; soulignons également que le labour accélère la décomposition de cette matière en mélangeant le sol de surface (plus riche en matière organique dans un écosystème naturel) et le sol de profondeur.

De plus, dans les systèmes de culture annuelle labourée, il n’y a plus de litière de feuilles à la surface du sol, ce qui défavorise les organismes présents. Les engins agricoles peuvent d’autre part tasser les sols cultivés, rendant plus difficiles l’enracinement des plantes et l’infiltration de l’eau de pluie. Enfin, ces sols sont aussi fortement soumis à l’érosion du fait de la mauvaise couverture du sol par les plantes cultivées.

On pense aujourd’hui que l’agriculture intensive tend à utiliser les sols de manière minière, en détériorant petit à petit leur fertilité. Une réalité qui a récemment conduit le ministre de l’environnement britannique à annoncer que les sols anglais ne pourraient plus soutenir la production agricole dans une quarantaine d’années.

La biodiversité des sols étant mal connue, il reste difficile de savoir si des espèces d’organismes du sol s’éteignent à l’image de beaucoup d’espèces de vertébrés et d’invertébrés vivant au-dessus du sol. Cependant, il est clair que l’abondance des organismes du sol a diminué, au moins dans les écosystèmes anthropisés, et que cela doit avoir un impact énorme sur le fonctionnement des sols et leur capacité à fournir des services.

L’avenir des sols et de leur biodiversité paraît pour l’heure bien sombre. Pourtant, de nombreuses solutions existent, tout particulièrement pour les sols agricoles. Cela passe notamment par changer le modèle de production agricole dans l’esprit de l’agroécologie, pour remplacer le plus possible les intrants par des mécanismes de régulation écologique, en jouant par exemple sur la diversité des plantes cultivées et la continuité du couvert végétal. Dans le temps et l’espace.

Il serait aussi très important que l’Europe se dote d’une directive-cadre pour la protection des sols, comparable à celle portant sur l’eau. Il faut espérer que les initiatives collectives visant à porter ce type de message porteront leurs fruits si l’on veut nourrir une population humaine croissante.


Pour aller plus loin : retrouvez la série de vidéos sur les sols réalisées la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.The Conversation

Sébastien Barot, Chercheur en écologie, vice-président du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

A lire aussi : Lydia Bourguignon, au chevet de la terre et des sols

Un commentaire

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    • Francis

    La charrue et la herse rotative sont les instruments du diable ! (proverbe africain)