Inondations en Afrique : une nouvelle ère hydroclimatique

delta lac Tchad

Delta du Lac Tchad (sud), Tchad. ©Yann Arthus-Bertrand
Des enfants dans une rue inondée par la crue du Niger à Niamey, le 27 août dernier.
Boureima Hama / AFP

Thierry Lebel, Institut de recherche pour le développement (IRD); Gérémy Panthou, Université Grenoble Alpes (UGA) et Théo Vischel, Université Grenoble Alpes (UGA)

Depuis la fin du mois de juillet, l’ensemble de la région sahélienne est touché par des inondations d’une ampleur inhabituelle, de la côte Atlantique jusqu’à l’Éthiopie et la Somalie. Elles ont frappé indifféremment les villes et les campagnes, mais c’est naturellement dans les premières que les victimes sont les plus nombreuses, à la fois du fait de la concentration des populations, de l’imperméabilisation des sols et de lacunes dans la planification urbaine.

Nulle région au monde n’est à l’abri des dégâts causés par des crues exceptionnelles, que ce soient celles qui ont touché l’Europe centrale en 2002 ou le Mississippi en 2011, ou bien des phénomènes plus localisés du type des crues-éclairs qui ont ravagé l’arrière-pays niçois en cet automne 2020.

En pirogue dans les rues de Niamey le 5 septembre 2020.
Oumoukaltoum Hamagarba, Author provided

Ce qui s’est produit cet été dans certaines régions du Sahel et singulièrement dans celle du cours moyen du fleuve Niger présente cependant toutes les caractéristiques d’une entrée dans une nouvelle ère hydroclimatique.

Aujourd’hui l’intensification climatique se manifeste essentiellement sous forme de chocs localisés, dont les effets se propagent à l’ensemble de la sous-région, qui joue un rôle d’amortisseur. La poursuite de l’augmentation des températures va accroître l’intensité et l’extension de ces chocs, générant des déséquilibres socio-économiques de grande ampleur, une tendance dont les inondations de cette année sont peut-être un signe avant-coureur.

Réchauffement climatique et inondations dévastatrices

La question récurrente posée aux scientifiques lors de tout événement extrême est de savoir si on peut « l’attribuer au changement climatique ». Une question légitime puisque le réchauffement global a dépassé 1 °C en 2015 (par rapport à une référence du début de l’ère industrielle) et n’est jamais retombé sous cette valeur au cours des cinq dernières années.

Vu l’impossibilité de faire des « essais cliniques » avec une seconde terre épargnée par la hausse anthropique de l’effet de serre, cette question peut se traiter via des simulations climatiques dans le monde factuel de l’augmentation du CO2 atmosphérique, que l’on compare avec des simulations pour un monde contre-factuel tel qu’il aurait été sans progression des émissions de CO2. Ceci a permis d’attribuer irréfutablement la tendance à la croissance de la température aux émissions anthropiques, en conformité avec la théorie de l’effet de serre.

L’université Abdou Moumouni, les pieds dans l’eau.
Oumoukaltoum Hamagarba, Author provided

La théorie et les modèles s’accordent également sur le fait qu’une atmosphère plus chaude présente un potentiel de pluies plus violentes, notamment parce qu’elle peut contenir plus d’humidité : on parle d’intensification hydroclimatique, telle que mise en évidence récemment sur l’Afrique de l’Ouest où les périodes sèches sont plus sévères mais interrompues par des séquences pluvieuses plus intenses.

L’attribution d’inondations hors-normes au seul réchauffement climatique est un sujet plus délicat. Les précipitations ne sont pas seules en cause, les dynamiques sociodémographiques et les changements d’usage des sols jouant aussi un rôle. C’est donc une problématique de changements globaux dont le réchauffement climatique n’est qu’une composante. Elle accroît la probabilité d’occurrence d’une séquence pluvieuse exceptionnelle telle que celle d’août 2020 au Sahel, mais ses effets hydrologiques peuvent être amortis ou amplifiés selon que la capacité d’absorption de l’eau du complexe sol-végétation est plus ou moins importante.

Le cas du Niger : crue locale et crue régionale

Pour bien apprécier ce qui s’est joué cet été, quelques rappels sur l’hydrologie du Niger sont nécessaires. Ce fleuve prend sa source dans les montagnes du Fouta-Djalon en Guinée, où les précipitations sont plus abondantes que dans les contrées semi-arides que le fleuve traverse en aval. Ces précipitations sont pilotées par la mousson africaine et atteignent leur maximum au cours de l’été (juin à septembre), produisant une crue qui se propage en s’amplifiant tant qu’il pleut sur la région, de manière analogue à la fameuse crue du Nil.

Après la fin de la saison des pluies, cette crue continue sa propagation vers l’aval en s’étalant, mais reste bien marquée : elle atteint son maximum dans la région de Niamey, quelque 2 600 km en aval, entre mi-décembre et mi-janvier. La valeur du pic de crue peut varier fortement d’une année sur l’autre, selon que la saison a été plus ou moins abondante sur la Guinée et le Sahel et selon la temporalité de ces pluies – plus ou moins réparties ou concentrées au cours de la saison.

Des digues ont été construites pour faire face à cette montée annuelle des eaux. À Niamey, elles ont été dimensionnées sur la base des observations réalisées depuis qu’une station de mesure hydrométrique a été mise en service en 1929. Jusqu’en 2012, le débit maximal n’avait jamais dépassé 2 500 m3/s. Alors observé pour la première fois, il a provoqué le déplacement de plus de 500 000 personnes.

Le 8 septembre 2020, le niveau du fleuve a dépassé la cote des 7 mètres, un nouveau record, qui correspond à un débit estimé à 3 300 m3/s (cette valeur est une estimation qui demande à être précisée, étant donné qu’on atteint là des niveaux jamais mesurés et donc pour lesquels les courbes de tarage doivent être extrapolées). Les digues, inadaptées, se sont rompues par endroit, inondant tous les quartiers de la rive droite – y compris l’Université Abdou Moumouni.

Tout autant que son niveau exceptionnel, c’est la date d’occurrence de cette crue qui marque une rupture avec les observations passées. Une crue locale entre le 15 août et le 15 septembre a toujours existé, mais jusqu’au tournant du XXIe siècle, son niveau demeurait nettement plus faible que celui associé à la crue régionale (dans un rapport de deux tiers environ).

Or depuis 2010, on observe régulièrement comme cette année une crue locale plus forte que la crue régionale. En 2012 où le pic de la première a été de 2500 m3/s, le maximum de la seconde n’a été, lui, que de 1 700 m3/s.

Hydrogrammes du fleuve Niger à Niamey pour : les décennies humides (1951-1960) et sèches (1971-1980) du XXᵉ siècle ; la décennie en cours (2010-2016) ; deux années exceptionnelles récentes (2012-2013 et 2020) ; on voit sur ces trois dernières courbes que la crue locale de août-septembre tend désormais à surpasser systématiquement la crue régionale de décembre-janvier.
Centre régional AGRHYMET, Abdou Ali

Une nouvelle ère hydrologique au Sahel

Les pluies observées sur la région sont cette année clairement excédentaires, avec des anomalies particulièrement élevées dans la région du Niger moyen, où elles atteignent localement près de 200 %. Sur la ville de Niamey pourtant, elles n’ont pas dépassé les records observés en 1952 ou 1998.

Dans la bande de climat soudanien, entre le Sahel et le golfe de Guinée, les précipitations sont au contraire déficitaires. Cette situation de dipôle se rencontre lorsque la Zone de convergence intertropicale (ZCIT) se situe à des latitudes anormalement septentrionales. Elle n’a rien d’anormal en soi et constitue un des éléments caractéristiques de la variabilité climatique naturelle dans cette région tropicale où les pluies sont pilotées par la mousson africaine.

Les inondations de 2020, pour exceptionnelles qu’elles soient, s’inscrivent par ailleurs dans un contexte de recrudescence de ces phénomènes sur toute l’Afrique de l’Ouest depuis une quinzaine d’années, recrudescence que l’on peut attribuer à l’effet conjugué de l’intensification pluviométrique et des changements d’usage des terres : un travail récent mené à l’Institut des géosciences de l’environnement montre que sur les affluents du Niger, la crue décennale des années 1960 a dorénavant une chance sur deux de se produire tous les ans, alors même que la pluviométrie annuelle reste inférieure à ce qu’elle était lors de cette période humide.

S’adapter à ce nouveau contexte

Outre des pluies intenses qui ont débuté le 8 août sur la ville de Niamey et des sols plus ruisselants, il y a – au moins – trois autres phénomènes qui ont joué un rôle important dans l’inondation exceptionnelle de 2020 : d’une part, de forts apports des affluents de rive droite en amont de la ville, causés par des pluies élevées sur le nord-est du Burkina Faso dès la fin du mois de juillet. D’autre part, la remontée des eaux souterraines, liée à une modification durable de l’hydrologie régionale. Enfin, un ensablement du lit du Niger à Niamey qui a pour conséquence une côte plus importante pour un même débit.

Les inondations sans précédent qui ont touché Niamey au mois de septembre, et au-delà une grande partie de la région sont donc en fait le résultat de tendances régionales lourdes et de facteurs plus circonstanciels liés à la structure de la saison des pluies 2020.

Cette nouvelle ère hydroclimatique implique de mettre en œuvre des politiques d’adaptation, déjà largement identifiées : agroforesterie et petits ouvrages en zone rurale pour faciliter l’infiltration de l’eau, révision des schémas d’assainissement dans les villes et de manière plus générale actualisation des normes hydrologiques qui servent de base au dimensionnement des infrastructures.

Le fait qu’il existe des leviers d’adaptation ne doit au demeurant pas faire oublier la responsabilité des pays fortement émetteurs de GES, qui doivent prendre des mesures d’atténuation drastiques et rapides pour éviter que les pays les plus vulnérables aux effets du réchauffement climatique soient de moins en moins habitables.


Abdou Ali, directeur du département information et recherche du Centre régional Aghrymet à Niamey au Niger, a contribué à la rédaction de cet article.The Conversation

Thierry Lebel, Directeur de recherche, hydro-climatologue, spécialiste du cycle de l’eau en région tropicale, Institut de recherche pour le développement (IRD); Gérémy Panthou, Hydro-climatologue, Université Grenoble Alpes (UGA) et Théo Vischel, Maître de conférences en hydrologie, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

3 commentaires

Ecrire un commentaire

    • Jean Grossmann

    Quand on lit le texte de GP sur les problèmes climatique au Sahel on ne peut s’empêcher de ressentir les mêmes inquiétudes que celles du général de l’ONU

    • Guy J.J.P. Lafond

    Mise en exergue:

    “Le fait qu’il existe des leviers d’adaptation ne doit au demeurant pas faire oublier la responsabilité des pays fortement émetteurs de GES, qui doivent prendre des mesures d’atténuation drastiques et rapides pour éviter que les pays les plus vulnérables aux effets du réchauffement climatique soient de moins en moins habitables.”

    Mon commentaire:
    Article très intéressant. Merci!
    J’ai vécu deux ans en Afrique de l’Ouest et je suis très sensible à l’équilibre délicat de sa géographie , de ses éco-systèmes et de ses populations.
    Au Canada, je continue d’être un bon ambassadeur aussi pour l’Afrique de l’Ouest. J’ai compris, moi aussi. que les populations d’Occident doivent changer leurs comportements trop souvent excessifs. Et jusqu’à présent, j’ai payé très cher de ma personne pour tous mes efforts d’éducation et pour tous mes combats pacifiques alors que le rapport de force reste inégal.
    Pourtant, les comparaisons ne manquent pas entre nos continents:
    Il nous faut par exemple redoubler d’efforts pour protéger les mangroves sur les côtes africaines. Il nous faut aussi redoubler d’ardeur en Amérique du Nord pour protéger nos milieux humides devant les croissances combourgeoises trop gourmandes et trop rapides.

    Partout sur la planète, il nous faut aussi réaliser que l’augmentation abrupte et récente de la population mondiale se fait de plus en plus au détriment de la biodiversité et du Climat, lesquels se trouvent de plus en plus menacés par la pollution et le réchauffement accéléré de l’atmosphère terrestre. Tous les experts scientifiques sont d’accord pour dire que cela est dû en grande partie à nos activités industrielles colossales et à nos déplacements massifs. Partout sur cette si fragile planète, les nouvelles familles ont encore le pouvoir de protéger leur milieu de vie par les choix de consommation qu’ils font jour après jour. Elle peuvent endiguer les nouveaux fléaux qui nous guettent en faisant des choix plus propres et en décidant peut-être de mettre au monde moins d’enfants et en prenant mieux soin des enfants. Avec les avancées récentes de la science, les hommes peuvent, eux aussi, avoir accès à des moyens de contraception efficaces une fois que leur famille est faite.

    Voyons les choses en face! Nos ennemis communs sont de plus en plus la pollution, la vitesse excessive, nos ignorances volontaires du cycle de l’eau, du rythme des saisons et aussi du renouvellement lent des ressources naturelles et précieuses de notre si fragile planète bleue.

    À suivre,

    T: @GuyLafond @FamilleLafond (Canada)

    • michel CERF

    Encore les conséquences de la pollution et du bétonnage , inutile de se plaindre des malheurs que nous avons cherchés .