Offrez un cadeau qui fait sens pour cette fin d’année : soutenez GoodPlanet Mag’ et les projets engagés de la Fondation GoodPlanet

Sarah Durieux, directrice de Change.org France : «l’activisme, ce n’est pas juste changer le monde, c’est aussi se changer soi-même»

love parade Berlin Allemagne

La "love parade" et la colonne de la Victoire, parc de Tiergarten, Berlin, Allemagne. ©Yann Arthus-Bertrand

Si vous avez déjà signé une pétition en ligne, il est probable que celle-ci ait été hébergée par le site Change.org. Via cette plateforme, quiconque peut lancer une pétition sur un sujet pour lequel il souhaite opérer un changement à l’échelle locale, régionale, nationale, voire mondiale. À 36 ans, Sarah Durieux dirige la branche française de l’organisation. Sa spécialité : l’organisation de communautés. Auteur du livre Changer le monde – manuel d’activisme pour reprendre le pouvoir paru aux éditions First, Sarah Durieux nous en dit un peu plus sur sa vision de l’activisme.

Sarah Durieux change.org activisme
Sarah Durieux Photo DR

Ressentez-vous une volonté d’engagement au sein de la société mais un manque de savoir-faire, de méthode ?

Globalement, les grands mouvements d’aujourd’hui touchent une population de plus en plus large. Les gens qui s’engagent ne sont pas forcément politisés, au sens de membres d’organisations politiques, de syndicats ou encore d’associations. Ce sont des citoyens et citoyennes « lambda » qui vont marcher pour le climat, contre les violences policières…

Cependant, savoir « comment est-ce qu’on mène efficacement une campagne » reste entre les mains d’une petite partie de la population. Il est temps pour notre démocratie que les moyens d’action soient accessibles au plus de personnes possibles.

Les outils de mobilisation utilisés par les syndicats, les associations, et les organisations politiques ont peu évolué avec les réseaux sociaux. Aussi, il est important de mettre à jour notre référentiel de l’engagement. Les gilets jaunes sont un exemple de la manière dont le numérique peut connecter les gens pour qu’ensuite ils se retrouvent dans la rue.

Pourquoi ce livre se présente sous la forme d’un manuel ?

Avec ce livre, je cherche à transmettre toute l’expérience que j’ai accumulée au contact d’experts de la mobilisation et de gens s’étant lancés plus récemment dans l’activisme, notamment par le biais de Change.org. J’ai voulu donner les clés pour que chacun puisse participer.

Avez-vous des chiffres à nous donner concernant l’usage de Change.org ?

Lors du lancement de Change.org en France en 2012, 60 000 personnes l’utilisaient. Aujourd’hui, c’est plus de 13 millions. Or, ce chiffre correspond uniquement à Change.org. De nombreuses personnes s’engagent par d’autres biais.

La pétition en ligne est-elle, selon vous, le meilleur moyen au sein de notre système politique actuel pour faire entendre sa voix ?

La pétition en ligne s’avère être l’un des outils les plus accessible. Elle est très plébiscitée par les Français, notamment auprès du public jeune. Il s’agit du premier outil de mobilisation politique numérique en France.

Toutefois, la pétition n’est que le point de départ de l’action collective. Elle fait partie d’un ensemble, organisé autour d’une campagne pour obtenir un changement.

La pétition remplit 3 fonctions : se compter, rendre public une demande et s’organiser ensemble. Pour réussir une campagne, il faut créer des QG, que peuvent être les pétitions en ligne, pour commencer une action et apprendre à s’organiser collectivement.

Vous voyez donc la pétition comme un point de départ, une première étape ?

C’est un point de départ car elle permet de formuler une demande et de se rencontrer. La pétition permet de se dire « Ok. On est tous d’accord, on veut obtenir ce changement. Qu’est-ce qu’on fait ensemble maintenant ? Est-ce qu’on va envoyer des messages simultanément aux responsables politiques pour leur demander d’agir ? Est-ce qu’on va se retrouver pour une manifestation ? »

Votre livre incite à l’activisme. Puisque les citoyens sont obligés de s’organiser par eux-mêmes pour se faire entendre, l’activisme n’est-il pas le signe de la défaillance de nos systèmes de représentation politique ?

On est face à une vraie crise démocratique. Il y a une déconnexion assez forte entre les responsables politiques et les citoyennes et citoyens. Je pense que cela explique pourquoi les gilets jaunes demandent une démocratie beaucoup plus directe.

De plus en plus de gens souhaitent s’engager car notre monde est en crise. Nous connaissons une crise écologique, une crise sociale, mais également une crise de notre modèle démocratique. On a l’impression que, malgré l’urgence, la réponse politique n’est pas à la hauteur.

C’est pour cette raison qu’il est indispensable de donner des outils de pouvoir aux citoyens. Je ne parle pas simplement du pouvoir au sens classique du terme, mais également de pouvoir sur soi-même, de pouvoir de réalisation.

C’est très important, à l’heure de la crise de la démocratie, que les citoyens et citoyennes sentent qu’ils ont une voix. Ce livre a aussi pour objectif de transformer leur frustration en action positive et efficace, afin que l’on puisse changer les choses.

« Je considère l’activisme à la fois comme un mode de vie, c’est le fait qu’on puisse difficilement regarder les problèmes sans se dire qu’il faut faire quelque chose, et comme un moyen de se découvrir, de se comprendre, de voir qui on est et comment on a envie d’influencer le monde. »

Qu’est-ce que l’activisme vous a apporté d’un point de vue personnel ?

En plus de l’éventuelle victoire au terme d’une campagne, l’expérience de l’activisme nous permet de retrouver notre place en tant qu’individu dans la société.

Je considère l’activisme à la fois comme un mode de vie, c’est le fait qu’on puisse difficilement regarder les problèmes sans se dire qu’il faut faire quelque chose, et comme un moyen de se découvrir, de se comprendre, de voir qui on est et comment on a envie d’influencer le monde.

Concernant plus particulièrement l’écologie, avez-vous été marquée par certaines pétitions à ce sujet ?

Énormément de pétitions portent sur l’écologie. Il y a 8 ans, lorsque j’ai commencé à travailler pour Change.org, le sujet de l’environnement était souvent associé à des considérations liées à la préservation des espaces naturels. Aujourd’hui, de plus en plus de pétition lient protection de l’environnement et santé.

Nous avons récemment obtenu une victoire sur l’une des plus grosses pétitions hébergées sur la plateforme. Lancée il y a 3 ans par Mounia El Kotni, elle visait à interdire les pailles en plastique. Le travail de mobilisation du collectif Bas les pailles a porté ses fruits puisque ces dernières sont interdites en France depuis le 1er janvier.

Une pétition vous a-t-elle plus particulièrement marquée ?

J’ai été très marquée par la campagne visant à obtenir la grâce pour Jacqueline Sauvage. C’était en 2016, soit l’une des premières campagnes de grande ampleur sur lesquelles j’ai eu l’occasion de travailler.

J’ai été confrontée à une histoire qui m’a particulièrement perturbée. Comme beaucoup de femmes, je suis familière avec la problématique des violences sexistes et conjugales. On pense tous savoir ce à quoi cela correspond mais entendre l’histoire de Jacqueline Sauvage racontée par ses filles, l’enfer qu’elle a subi pendant 47 ans…

« L’effet de groupe donne de la force. »

L’aboutissement de cette mobilisation a été incroyable. Le président d’alors, François Hollande, a accordé la grâce à Jacqueline Sauvage après avoir rencontré sa famille. Quand on fait de l’activisme, ce n’est pas toujours facile de voir l’impact de son travail. Or, le fait de voir les images de cette femme sortir de prison… C’était très émouvant.

Avez-vous un mot de la fin ?

J’aimerais inciter vos lecteurs, s’ils et elles n’ont jamais franchi le pas, à lancer une campagne. Parfois, il suffit juste de mettre le pied à l’étrier. Avec ce livre, je souhaite dire aux gens que ce n’est pas impossible. Il a pour objectif de les aider, pas seulement dans la technique, mais aussi dans leur confiance en eux.

Le plus dur est souvent de se lancer. Après, l’effet de groupe donne de la force. Souvent, les gens lancent des pétitions en dernier recours, après avoir épuisé toutes les voies classiques. Or, à partir du moment où ils obtiennent leurs premières signatures, c’est incroyable de voir à quel point ils reprennent confiance. Pour moi l’activisme, ce n’est pas juste changer le monde, c’est aussi se changer soi-même.

Propos recueillis par Léna Le Cocguen

Pour aller plus loin
Découvrez sur GoodPlanet mag’ 615 histoires sur l’engagement

Cyril Dion appelle à sauver la Convention Citoyenne pour le Climat dans une pétition

Sarah Durieux Change.org

 

6 commentaires

Ecrire un commentaire

    • michel CERF

    Ce n’est pas notre système démocratique qui est en crise mais notre mode de vie , notre incapacité à vivre ensemble , de se remettre en question , les gilets jaunes n’ont certainement pas manifesté pour le climat mais pour renverser le pouvoir en place qui tient sa légitimité du suffrage universel , c’est ce genre de comportement , avec son cortège de violences qui conduit un peuple vers la dictature .

    • Guy J.J.P. Lafond

    rès belles réflexions!

    Mise en exergue:
    “Les outils de mobilisation utilisés par les syndicats, les associations, et les organisations politiques ont peu évolué avec les réseaux sociaux. Aussi, il est important de mettre à jour notre référentiel de l’engagement.”
    J’ai signé plusieurs pétitions initiées sur Change.org déjà. Merci Madame Durieux!
    Par contre, je n’en ai jamais initié une. Mon devoir de réserve me l’interdit toujours en tant que serviteur de l’État fédéral canadien. Et c’est mon association professionnelle qui devra très bientôt faire une différence pour moi au Canada car signer toutes ces pétitions en ligne m’ont coûté très cher jusqu’à présent. J’attends toujours que mon association professionnelle à Ottawa se manifeste.

    Autrement, le moment est aussi venu de mieux “parer” les GAFA, leurs réseaux sociaux et leurs centres de données, lesquels émettent beaucoup de chaleur perdue dans l’atmosphère.
    C’est donc le travail des avocats d’une part, et celui des ingénieurs d’autre part, qui doivent maintenant faire leurs preuves afin de rétablir l’équilibre perdu. Car de l’autre côté du spectre, ce sont de trop nombreux “hackers” de l’informatique qui déploient tout leur savoir faire pour manipuler des données et aussi….des opinions.
    À suivre,
    Si besoin d’un dessin ou d’un schéma, je suis disponible bien sûr (sur Twitter). Je dessine bien, à mes heures. Ma famille aussi.

    T: @GuyLafond
    À nos vélos, à nos bottes de marche, à nos vêtements de plein air!

    N.B.: j’avais signé au moins une pétition pour m’opposer aux pailles en plastique dans mon pays. On attend toujours des résultats palpables. @;-)

    • Guy J.J.P. Lafond

    Prise 2 (désolé.)

    Très belles réflexions!

    Mise en exergue:
    “Les outils de mobilisation utilisés par les syndicats, les associations, et les organisations politiques ont peu évolué avec les réseaux sociaux. Aussi, il est important de mettre à jour notre référentiel de l’engagement.”
    J’ai signé plusieurs pétitions initiées sur Change.org déjà. Merci Madame Durieux!
    Par contre, je n’en ai jamais initié une. Mon devoir de réserve me l’interdit toujours en tant que serviteur de l’État fédéral canadien. Et c’est mon association professionnelle qui devra très bientôt faire une différence pour moi au Canada car signer toutes ces pétitions en ligne m’ont coûté très cher jusqu’à présent. J’attends toujours que mon association professionnelle à Ottawa se manifeste.

    Autrement, le moment est aussi venu de mieux “parer” les GAFA, leurs réseaux sociaux et leurs centres de données, lesquels émettent beaucoup de chaleur perdue dans l’atmosphère.
    C’est donc le travail des avocats d’une part, et celui des ingénieurs d’autre part, qui doivent maintenant faire leurs preuves afin de rétablir l’équilibre perdu. Car de l’autre côté du spectre, ce sont de trop nombreux “hackers” de l’informatique qui déploient tout leur savoir-faire pour manipuler des données et aussi….des opinions.
    À suivre,
    Si besoin d’un dessin ou d’un schéma, je suis disponible bien sûr (sur Twitter). Je dessine bien, à mes heures. Ma famille aussi.

    T: @GuyLafond
    À nos vélos, à nos bottes de marche, à nos vêtements de plein air!

    N.B.: j’avais signé au moins une pétition pour m’opposer aux pailles en plastique dans mon pays. On attend toujours des résultats palpables. @;-)

    • Jean Grossmann

    L’opinion de Sarah Durieux, directrice de Change.org selon laquelle la pétition en ligne s’avère être l’un des outils les plus accessible faire passer un message m’interpelle et n’engage qu’elle

    j’ai lancé hier sur son site une pétition sur le thème

    ALIMENTER LES IMMEUBLES DE PARIS EN EAU NON POTABLE PLUTÔT QU’EN GAZ POUR LES CHAUFFER

    Ceci en expliquant comment et pourquoi cela était important pour notre devenir énergétique. Mais je dois dire que je suis un peu bloqué sur la façon de continuer.
    Il est vrai qu’à 84 ans avec une carrière consacrés uniquement à la mécanique des fluides je ne suis pas un spécialiste informatisue de Facebook, Linkedin et de Gmail. Un de mes 3 fils qui est en Suisse a de meilleure connaissance en informatique que moi mais il est très pris par sa carrière professionnelle et cet enchevêtrement de mot de passe boîte de dialogue ou chaque partie cherche à protéger ses données ne semble pas particulierement favorable à la communicatio

    • Guy J.J.P. Lafond

    Monsieur Grossman:
    J’ai examiné votre document dans Dropbox. Et en effet, le France devrait vous contacter. Avez-vous un conseiller en communication en France?
    Vous avez écrit:
    « ALIMENTER LES IMMEUBLES DE PARIS EN EAU NON POTABLE PLUTÔT QU’EN GAZ POUR LES CHAUFFER. »
    La formulation suivante serait-elle plus appropriée:
    CHAUFFER ET CLIMATISER LES IMMEUBLES DE PARIS EN UTILISANT LA CHALEUR DE EAU NON POTABLE PLUTÔT QUE LA COMBUSTION EXCESSIVE D’ÉNERGIE(S) FOSSILE(S).

    Dans l’attente de vous lire, vous ou bien votre famille,

    T: @GuyLafond @FamilleLafond
    Notre devoir est aussi notre droit et la conscience collective aussi notre maître.
    Montréal – Ottawa – Paris – …

    • Sidi Maamar Hassan

    J’aime le style facile et accessible de la Directrice. Une aristotélicienne ! J’ai juste envie de dire que notre époque n’est pas en Crise, c’est l' »ancien monde européen » qui entame une perte d’énergie. Après tant de guerres, de génocides, de rivalités et de sang versé, les citoyens de l’ancien monde se sont épris du plaisir du temps libre. Un temps égaré sur le chemin des connections incessantes. Alors, ce plaisir s’est transformé en rituel dénué de tout sens. Le temps libre est utilisé à perdre sa liberté d’agir. Une « lobotomisation  » opéré sous anesthésie télévisuelle entre-autres. Alors, pas de crise, juste un genou à terre ! Il suffit juste de se tendre la main et Hop, Zizou va marquer…juste un clin d’oeil !