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L’entomologiste Henri-Pierre Aberlenc : « on peut tout ignorer des insectes, mais c’est se priver d’une composante fabuleuse du réel »


Lepidoptera Erebidae Arctiiinae Hypocrita hystaspes (Butler, 1871) DR photo HPA

Henri-Pierre Aberlenc, entomologiste, a coordonné l’ouvrage « Les insectes du monde » qui compile le travail de 54 scientifiques sur les insectes publié en mars 2021. Ce spécialiste et passionné des insectes travaille au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Comparés à d’autres organismes vivants, les insectes ne suscitent pas toujours l’émoi et l’intérêt du grand public. Pourtant, leur rôle est crucial dans l’équilibre environnemental. Dans cette interview, Henri-Pierre Aberlenc revient sur les connaissances actuelles sur les insectes et les moyens à mettre en œuvre pour les protéger alors qu’ils ne pas toujours de méthodes de protection adaptées à leur nature particulière.

Où en sont actuellement nos connaissances sur les insectes ?

Nos connaissances sur les insectes, accumulées en plus de 2 siècles et demi de recherche par des dizaines de milliers d’entomologistes, et enrichies chaque jour par de nouvelles publications, sont énormes, mais très loin d’être suffisantes. Un million d’espèces ont été recensées depuis 1758, mais il en existe probablement entre 4 et 6,4 millions ! De plus, on n’en sait pas beaucoup sur la biologie de la majorité du million d’espèces connues, car on ne connaît en détails la biologie que de quelques dizaines de milliers d’espèces au maximum, ce qui est en soi beaucoup, mais reste minoritaire … Avec les insectes, on est dans les chiffres superlatifs ! Le champ à investiguer est immense et les entomologistes ne sont pas assez nombreux, surtout dans les pays tropicaux où vivent la majorité des espèces.

Les insectes sont-ils des sentinelles de l’état des écosystèmes ?

Oui. Innombrables par le nombre d’espèces et le nombre d’individus, présents dans tous les maillons des chaînes alimentaires, les insectes sont des éléments irremplaçables des écosystèmes aquatiques et terrestres. Ils jouent un rôle vital pour le recyclage de la matière organique et pour la pollinisation. Ils sont aussi les régulateurs du monde végétal par leur prodigieuse biomasse (le nombre compensant leur taille minuscule) et la nourriture de nombreux reptiles, mammifères, oiseaux ou poissons. Maintes espèces sont de très bons bio-indicateurs de l’état de santé des écosystèmes.

Sont-ils les oubliés de la préservation de la biodiversité ?

Oui, car c’est au sein du Vivant un univers immense ignoré du grand public, des politiques et de la majorité des scientifiques qui n’en connaissent qu’une minorité d’espèces non représentatives de leur globalité. On ne peut pas se soucier de ce que l’on ne connaît pas, c’est normal.

[Sur le même sujet lire aussi Il faut sauver nos insectes]

Comment faire pour mieux les protéger ?

D’abord, ne pas gérer leur protection comme celle des vertébrés ! Par exemple, cela a du sens de compter les couples de rapaces nicheurs sur un territoire donné et de les protéger en tant qu’espèces. Mais cette stratégie n’a aucun sens avec les insectes innombrables, sauf dans les cas minoritaires d’espèces endémiques, c’est-à-dire à répartition géographique très limitée ou à très faibles effectifs.

La seule protection sérieuse des insectes, c’est de protéger leurs habitats – et aussi de réduire drastiquement ce qui les détruit en masse : pesticides, éclairages nocturnes, artificialisation de l’espace rural, etc…

« La seule protection sérieuse des insectes, c’est de protéger leurs habitats. »

Enfin, il faut le dire avec force, ce ne sont pas les prélèvements d’échantillons par les entomologistes qui sont la cause de leur déclin, et il est absurde d’entraver les activités et de persécuter par des mesures administratives ubuesques les activités de ceux qui permettent de connaître la réalité de l’entomofaune !

Enfin, comment transmettre la passion de l’entomologie que vous portez auprès du plus grand monde ? Que diriez-vous aux personnes qui tendent à ignorer voire à ne pas aimer les insectes ?

J’espère que ce livre Les insectes du monde contribuera à sa modeste échelle à rendre les insectes populaires ! C’est aussi et même surtout pour cela que nous y avons consacré tant d’efforts : présenter à tous les publics, profanes et scientifiques, amateurs et professionnels, l’essentiel de ce qu’il faut savoir. On parlait jadis de l’idéal culturel et éthique de « l’honnête homme », je dirais qu’aujourd’hui un « honnête homme » et une « honnête femme » ne peuvent ignorer ce monde qui coexiste avec nous.

On peut tout ignorer des insectes, mais c’est toujours se priver d’une composante fabuleuse du réel et c’est triste de passer à côté de cela. C’est ignorer ce qui contribue à faire de notre planète un vaisseau cosmique habitable et plein de beauté. On ne peut pas aimer ce que l’on ne connaît pas. De plus, il est bon de sans cesse élargir notre conscience et de réviser tout au long de notre vie nos notions de ce qui est digne d’être aimé ou non, de ce qui est « sale » ou pas : l’étude des insectes est un excellent briseur de préjugés.

Que pensez-vous de l’utilisation des insectes dans l’alimentation humaine ?

S’il m’est arrivé (comme je pense à tout entomologiste !) de parfois manger des insectes, et de m’intéresser à l’entomophagie dans le cadre de l’ethnozoologie, je ne suis aucunement spécialiste de l’alimentation par les insectes. Bien cuisinés, maints insectes sont bons à manger. Après, il y a bien sûr dans la nourriture une dimension culturelle et symbolique qui fait que chez nous manger des insectes n’est pas une chose évidente. Je n’ai rien à dire de très original sur la question. Cela dit, je pourrai préciser qu’il ne peut s’agir que d’insectes d’élevage, il ne faut pas compter sur l’entomofaune « sauvage ». De plus, pour des raisons thermodynamiques évidentes (les insectes ne sont pas homéothermes), produire par exemple un kilogramme de protéine d’insecte nécessite moins de nourriture que produire un kilo de protéine d’oiseau ou de mammifère.

Propos recueillis par Julien Leprovost et Louise Thiers

Pour aller plus loin

Les insectes du monde. Biodiversité, classification, clés de détermination des familles, Coord. Henri-Pierre Aberlenc
Editions Quae et Muséo Environ 1 876 pages – plus de 5200 illustrations

François Couplan : « nous devrions être plus reconnaissants envers les plantes »

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3 commentaires

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    • Grossmann

    Merci à Henri-Pierre de nous rappeler que les insectes on besoin d’eau propre et sont un maillon important de notre survie sur terre.

    http://www.rivieres.info/patri/propre.htm

    • michel CERF

    Absolument Mr. Grossmann , les insectes sont indispensables à l’équilibre des espèces mais peu de gens y porte de l’intérêt , surtout pas les agriculteurs qui les considèrent comme des nuisibles .

    • Méryl Pinque

    Il y a comme un hic : l’insecte en photo est mort. Il a été tué.
    Quand on respecte les animaux, on ne les tue pas. Concernant les insectes, il est parfois difficile de les voir et de ne pas les tuer sans le vouloir. Mais les tuer volontairement, c’est mal.