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Marie Ange Ngo Bieng, écologue forestière, nous parle de la restauration des forêts tropicales


Lagune de Los Micos dans la région de San Pedro Sula, Honduras (15°47’ N – 87°35’ O) © Yann Arthus-Bertrand

La régénération des forêts, essentielles pour la régulation du climat et la restauration des services écosystémiques qu’elles fournissent, ne se limite pas à un processus naturel. Elle peut également être le fruit d’une restauration écologique réalisée avec l’appui et en collaboration avec l’humain. Pour GoodPlanet Mag, l’écologue forestière du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) Marie Ange Ngo Bieng, qui travaille actuellement au Costa Rica, revient sur le processus de la restauration forestière et les multiples enjeux qui en découlent. Elle est notamment co-auteure de l’ouvrage Vivre avec les forêts tropicales par Plinio Sist, Charles Doumenge, Valéry Gond, Jacques Tassin, Jean-François Trébuchon (eds), qui compile le travail de plus de cinquante chercheurs de l’unité Forêts et Sociétés du Cirad et qui sensibilise aux relations entre les humains et les forêts tropicales. Balayant les trois continents tropicaux, l’Afrique, l’Amérique et l’Asie, les chercheurs rappellent à travers l’ouvrage l’urgence de protéger les forêts tropicales et les peuples qui les habitent en se penchant sur leurs spécificités.

Marie Ange Ngo Bieng, écologue forestière au Cirad

En quoi consiste la restauration écologique d’une forêt ?

La restauration écologique vise à rétablir un écosystème forestier dégradé afin qu’il retrouve ses fonctionnalités écologiques. L’ambition est ainsi qu’il se rapproche de l’écosystème forestier d’origine. On restaure donc ses fonctionnalités écologiques.Le processus se montre non seulement très difficile, car on ne maîtrise généralement pas l’ensemble du fonctionnement du système d’origine, mais aussi très long. Il est ainsi probable que l’on ne retrouve jamais vraiment toute la richesse des forêts primaires tropicales qui ont été dégradées.
L’objectif de la restauration de paysages forestiers est encore plus large, car on veut rétablir la fonctionnalité écologique du système tout en assurant que le système restauré participe à fournir des services environnementaux et humains. L’enjeu est donc double : concilier la restauration de l’environnement tout en veillant à ce que cela soit adapté aux besoins des populations qui y vivent et participent à en améliorer le bien-être.

« Le processus se montre non seulement très difficile, car on ne maîtrise généralement pas l’ensemble du fonctionnement du système d’origine, mais aussi très long. »

Donc quand on parle de restauration écologique, on sous-entend qu’il y a une intervention humaine et que ce n’est pas une restauration d’origine naturelle ?

Oui, en effet, la restauration écologique sous-entend une intervention humaine. Mais l’intervention humaine n’est pas l’unique mode d’aide à la reprise du système. Il y a évidemment des modes efficaces de restauration naturelle. Cependant, la restauration naturelle, en fonction du contexte climatique, paysager et anthropique peut prendre beaucoup plus de temps qu’une restauration assistée. Mais de par sa définition, la restauration écologique implique une régénération assistée de l’écosystème.

« Quand les conditions le permettent, la forêt peut reprendre par régénération naturelle sur des sols encore fertiles grâce aux graines emportées par le vent, aux animaux transporteurs, etc. »

[Lire aussi Reforestation spontanée : quand la forêt profite de l’abandon des terres agricoles]

Concrètement, sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Je suis en ce moment en poste au CATIE (Centro Agronómico Tropical de Investigación y Enseñanza) au Costa Rica, où le Cirad et son partenaire Centro-américain travaillent sur un projet basé sur les forêts secondaires. En effet, les forêts primaires originelles ont été et sont toujours intensément détruites sous les tropiques suite à des interventions anthropiques et des catastrophes naturelles. Ces forêts sont alors remplacées, quand les conditions le permettent, par des forêts dites secondaires, plus récentes donc et moins riches en biodiversité. Nous étudions au Costa Rica, en Amérique Centrale et en Amérique tropicale en général, les conditions de réussite de cette restauration par dynamique forestière secondaire, qu’elles se rétablissent naturellement ou de manière assistée. Quand les conditions le permettent, la forêt peut reprendre par régénération naturelle sur des sols encore fertiles grâce aux graines emportées par le vent, aux animaux transporteurs, etc. Mais pour certains systèmes particulièrement dégradés, il a fallu introduire des espèces forestières à la croissance rapide pour créer un environnement propice à l’installation d’autres espèces.

Comment se passe le rétablissement de la forêt au niveau des espèces ? Quelles sont celles qui reviennent les premières ?

Les espèces pionnières sont des espèces héliophiles, c’est-à-dire à fort besoin en lumière et qui se développent rapidement. Elles ont une durée de vie courte (une quarantaine d’années) donc leur population chute assez vite, mais leur installation permet de préparer le terrain pour les espèces d’ombres, dont la croissance plus lente leur octroie une plus grande espérance de vie, créant ainsi une dynamique forestière pérenne. Différentes conditions demeurent toutefois nécessaires : un arrêt du facteur de la dégradation forestière, une fertilité adéquate du sol, une forte présence de semences dans le sol, des arbres semenciers et un passage de biodiversité animale.
De plus, la forêt secondaire ne ressemble pas immédiatement à la forêt primaire et le processus prend du temps. La forêt secondaire récupère rapidement en nombre d’espèces, mais leur composition diffère beaucoup des espèces matures présentes dans les forêts primaires. Certains scientifiques disent que cette composition en espèces matures récupère très difficilement ou au bout de plusieurs siècles.

La forêt secondaire ne ressemble pas immédiatement à la forêt primaire et le processus prend du temps.

Pourquoi travailler sur le Costa Rica en particulier ?

Il faut savoir que le Costa Rica est un pays qui a subi jusqu’aux années 1990 une forte déforestation, suivie d’une reforestation effective après les années 1990. Le paysage forestier est aujourd’hui très fragmenté. Les forêts secondaires représentent aujourd’hui 38 % des surfaces forestières totales. La loi forestière au Costa Rica interdit le changement d’usage des sols forestiers. Les systèmes forestiers du Costa Rica sont ainsi pérennes et la dynamique forestière est positive. Le pays est souvent cité en exemple pour sa politique dans ce domaine, spécifiquement dans le monde tropical. Je ne travaille donc pas sur l’implémentation d’actions de restauration en tant que telles, puisque le processus de restauration a commencé il y a des années, mais c’est à ce dernier que je m’intéresse en ce moment. J’étudie par exemple comment les conditions climatiques ou de sols ont affecté la restauration du système.

Le Costa Rica, autour des années 2000, s’est beaucoup investi dans la protection de l’environnement. Est-ce un important facteur d’aide pour la restauration des forêts ?

Oui, certainement. Parmi les pays tropicaux que j’ai étudié, le Costa Rica est le pays au cadre légal et forestier le mieux défini, avec des spécificités environnementales claires. La loi forestière 7575 de 1996 dit que tout système reconnu comme forêt ne doit pas changer d’usage pour son sol. C’est interdit et sanctionné par des amendes. Dans les aires non protégées, il peut y avoir de l’exploitation forestière mais c’est également très règlementé.De plus, le Costa Rica a su définir un cadre clair et flexible pour les propriétaires et exploitants privés, en fonction du type de forêts.
Un exploitant doit fournir un plan de gestion clair pour l’exploitation d’espèces à bois d’œuvre dans les forêts privées, avec un engagement à respecter d’importants critères environnementaux. Cependant les forêts n’ont pas toutes la même composition en espèce – les bois diffèrent en termes de qualité, de diamètre entre forêts primaires et secondaires… et le plan peut donc être coûteux pour un exploitant dans ces forêts secondaires, dont les ressources ligneuses ont une trop faible valeur. Ainsi, fin 2016, un plan de gestion a été approuvé par le gouvernement pour les forêts secondaires, qui permet aux exploitants de présenter un plan axé sur la valeur de leurs ressources, mais aussi de rendre les forêts secondaires plus productives en y introduisant des espèces à potentiel commercial, en les éclaircissant (suppression de lianes ou d’individus non valorisables), etc.

Le Costa Rica a su définir un cadre clair et flexible pour les propriétaires et exploitants privés, en fonction du type de forêts.

Le Costa Rica est aussi pionnier dans le paiement pour services environnementaux, c’est-à-dire dans le cadre forestier, où des propriétaires privés reçoivent une aide pour avoir aidé à maintenir une dynamique forestière secondaire et leur système forestier.

Qu’est-ce qu’on peut tirer comme leçon du Costa Rica quant à la gestion de ses forêts ?

C’est le cadre légal et politique qui différencie le Costa Rica. Le cadre est clair, lisible, flexible et à forte composante environnementale et humaine. De plus, des personnes du ministère de l’environnement et de l’énergie sont formées à ces enjeux et vont au contact des propriétaires, qui sont eux-mêmes formés à développer des alternatives. Donc le cadre légal et politique défini par une législation forestière claire et réglementée, mais aussi les ressources humaines, la formation, les alternatives financières avec les paiements pour services environnementaux sont des éléments essentiels. On peut certes proposer des améliorations dans le cadre du Costa Rica, notamment pour pérenniser des dynamiques secondaires plus jeunes, c’est-à-dire inférieures à 5 à 10 ans. Mais le système qui protège les forêts matures et permet de pérenniser la dynamique forestière secondaire a le mérite d’exister. Après, le Costa Rica a l’avantage non-négligeable d’être un petit pays, donc avec un territoire plus facile à surveiller et contrôler, contrairement au géant brésilien.

Propos recueillis par Louise Thiers et Julien Leprovost

Vivre avec les forêts tropicales, par les chercheurs de l’unité Forêts et Sociétés du CIRAD, €34.50, Editions Museo

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2 commentaires

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    • Peter

    Ré-forestation est évidemment une bonne chose, spécialement si on peut faire des corridors entre des forets existants, mais le nouveau foret ne va jamais etre la meme chose que le foret original (on peut voir ca en France aussi!). Mil fois plus important est d’arreter la destruction des forets primaire existants.
    Et mil fois plus important est faire les efforts dans les grands pays ou on parle des surfaces de foret énormes (Brésil et ces pays voisins en particulier), le petit Costa Rica c’est un gout d’eau dans l’océan (mais un gout d’eau c’est déjà bien aussi – bravo))

    • Denis Buteau

    Très bonne présentation Marie Ange sur les forêts tropicales et leur restauration. Il faut unir les efforts afin de tous travailler ensemble à cet objectif. Viridis Terra est déjà dans plusieurs pays et oeuvre dans ce sens. Nous offrons notre collaboration. Denis 06 06 2021