Dorothée Moisan, auteure des Plastiqueurs, enquête sur les industriels qui nous empoissonnent : « Je dénonce le discours de l’industrie du plastique qui affirme que le recyclage fonctionne »

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Décharge de déchets plastiques en république Dominicaine © Yann Arthus-Bertrand

Les plastiques demeurent omniprésents dans nos vies et dans l’économie alors que de plus en plus d’études pointent leur nocivité pour l’environnement et la santé, sans parler de l’impact climatique de ces dérivés du pétrole. La journaliste Dorothée Moisan a mené une enquête sur le sujet qui a débouché sur le livre Les Plastiqueurs, enquête sur les industriels qui nous empoisonnent. Dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’, elle revient sur l’envers du plastique.

Qu’est-ce qui vous a le plus surprise en faisant cette enquête sur le plastique ?

Ce qui a lancé mon enquête a été de découvrir que la production mondiale de plastique croît au rythme annuel de 3 % alors que je pensais qu’on allait vers une réduction de l’usage des plastiques en Europe et dans le reste du monde. Les projections de croissance du secteur restent autour de 3 % par an pour les décennies à venir, ce qui signifie que la production mondiale aura doublé dans 20 ans ! La fin du plastique n’est pas près d’arriver, nous sommes donc dans une période d’explosion de la production des plastiques.

« La production mondiale de plastique croît au rythme annuel de 3 % alors que je pensais qu’on allait vers une réduction de l’usage des plastiques. »

Pourtant, la production mondiale a reculé en 2020… [À ce sujet lite aussi Plastique: pendant la pandémie, la planète a produit un peu moins de plastique]

La diminution n’est que de 0,3 %, elle est donc provisoire et très limitée. Et la fabrication des plastiques devrait repartir à la hausse avec la reprise de la croissance mondiale à la sortie de la pandémie. Il s’agit de la troisième fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale que la production de plastique recule, les fois précédentes ce fut lors du choc pétrolier et de la crise de 2008. C’est surprenant parce que tout le monde pensait que la pandémie allait se traduire par un boom du plastique, seul les plastiques jetables ont progressé. Le reste de la production a subi le ralentissement économique lié au Covid. On estime qu’en 2040, le monde produira chaque année 1 milliard de tonnes de plastique. Enfin, il faut savoir qu’aux États-Unis, le développement du gaz de schiste alimente la production et que l’éthane, un gaz extrait avec le méthane, sert à fabriquer du plastique qu’on retrouve en Europe.

« En 2040, le monde produira chaque année 1 milliard de tonnes de plastique. »

En quoi le recyclage du plastique s’avère de l’enfumage ?

Comme tout le monde, j’ai envie de croire aux vertus du recyclage. Hélas trier n’est pas recycler. Dans la plupart des cas, un déchet plastique jeté dans la poubelle de recyclage ne sera pas recyclé. En effet, trier ne suffit pas à assurer un recyclage des matières plastiques puisque les différences entre ces dernières font que tous les plastiques ne se retraitent pas de la même façon. En France, il n’y a quasiment que les bouteilles en PET qui sont recyclées pour éventuellement donner naissance à d’autres bouteilles.

Il faut comprendre que la plupart des déchets plastiques sont sous-cyclés, c’est-à-dire qu’on arrive pas à obtenir un produit similaire. Les pots de yaourt en polystyrène doivent être jetés dans la poubelle de tri, on nous dit qu’ils seront récupérés et réutilisés partout en France. Or, seulement 4 % des emballages de yaourt est effectivement recyclé afin de fabriquer des cintres de vêtements ou des pots de fleurs en Espagne ou en Allemagne. Dans les faits, 96 % des pots de yaourts ne sont pas traités, car il n’y a pas de procédés techniques ni de débouchés. Je dénonce le discours de l’industrie du plastique qui affirme que le recyclage fonctionne parfaitement alors que ce n’est pas du tout le cas.

« La plupart des déchets plastiques sont sous-cyclés, c’est-à-dire qu’on arrive pas à obtenir un produit similaire. »

Au-delà des dysfonctionnements du retraitement, faire porter la responsabilité voire culpabiliser le consommateur, n’est-ce pas le tour de force du lobby du plastique ?

C’est justement le nœud du problème avec le recyclage. Il faut revenir aux années 1980 aux États-Unis et en Europe quand les déchets plastiques ont commencé à s’amonceler autour des villes. Des manifestations ont alors eu lieu pour dénoncer ces accumulations de déchets plastiques et demander une meilleure régulation. Des dizaines de projets de loi visant à interdire les plastiques à usage unique ont été déposés. Quand l’industrie a vu que son produit n’était plus en odeur de sainteté, elle a cherché à lui donner une couleur plus verte, c’était il y a 40 ans. Pour que le consommateur continue d’acheter du plastique, elle s’est dit qu’il fallait qu’il ait l’impression de faire un geste pour l’environnement. C’est là que les industriels ont fait appel au recyclage, il existait pourtant déjà et des responsables ont reconnu face à la caméra que le recyclage était une astuce pour continuer à vendre plus de plastiques vierges. Depuis, des centaines de millions de dollars ont été dépensés pour promouvoir le recyclage aux États-Unis. Dans les années 1990, le taux de recyclage des emballages alimentaires y était de 5 %, 30 ans plus tard, il n’est que de 7 %.

[À lire aussi Coup de gueule à propos des déchets plastiques dans la nature : le citoyen a le dos (trop) large ]

« Le recyclage était une astuce pour continuer à vendre plus de plastiques vierges. »

Après cette enquête, voyez-vous encore des usages sur lesquels le plastique se justifie encore ?

On ne pourra pas se passer du plastique, il est partout dans nos vies. Actuellement, essayer de ne pas toucher du plastique de la journée est mission impossible. Ne pas en acheter pendant une semaine se montre très compliqué. Il est cependant urgent et facile de réduire l’usage des plastiques à usage unique, notamment ceux employés dans les emballages, ils représentent 40 % de la production mondiale. J’ai été frappée de constater à quel point le plastique est synonyme de surconsommation. Dès qu’il y a du plastique, on se trouve dans un excès de consommation.

Enfin, avez-vous un conseil pour celles et ceux qui veulent sortir du plastique ?

Réduire sa consommation, aller vers le vrac, les alternatives durables aux produits plastiques existent et sont à chercher. Sortir du plastique est essentiel pour l’environnement et la santé. Car le plastique se révèle nocif, contrairement à ce que veut faire croire l’industrie qui répète qu’il est pratique, léger et inerte. Il se montre pourtant toxique lorsqu’il se dégrade en microfragments qu’on retrouve dans les océans et les sols auxquels il faut ajouter les additifs et substances chimiques contenus dans les plastiques. Je conseillerais à chacun de commencer par regarder ce qu’il a dans sa cuisine afin d’y éliminer tout ce qui contient du plastique, cela commence par les contenants et boites alimentaires et tous les plastiques noirs prévus pour résister à la chaleur. Ces derniers sont fabriqués à partir de boitiers d’ordinateurs recyclés et contiennent des retardateurs de flammes qui sont des molécules toxiques.

Propos recueillis par Julien Leprovost

Les Plastiqueurs, Enquête sur ces industriels qui nous empoisonnent par Dorothée Moisan, éditions Kero

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4 commentaires

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    • Lete

    Bonjour,
    Anti plastique depuis des décennies, je trouve honteux que la production augmente de façon exponentielle aux fils des années alors que d’autres solutions existent sans pourrir notre environnement.
    Même dans les endroits de nature les plus reculées le plastique et présent sous toutes ses formes, alors que faire ?
    Moi personnellement en tant que randonneur j’ai toujours avec moi un sac en toile et sur mes parcours je fais le  » nettoyeur de la nature  » et ne revient Jamais bredouille » c’ est une honte…..
    Il faut vraiment nous en tant que citoyens refusé cette matière mefaste à tout les niveaux. Quand au recyclage c’est de l’enfumage bien sûr…. À un moment donné ce plastique recyclé finiras quand même dans la nature.
    ALORS STOP… MERCI

    • Claude Courty

    Le plastique n’est qu’un contenant, dont la consommation ne peut diminuer qu’à partir d’une moindre consommation de ses contenus, sauf à avoir recours à des substituts (papier, verre, métaux, bois, etc. qui posent leurs problèmes d’élimination, de recyclage et de ressources…
    Le véritable problème est celui posé par l’emballage et le conditionnement d’une consommation croissant inexorablement avec le nombre de ses consommateurs et leur appétir, qu’il s’agisse de ceux qui consomment trop ou de ceux qui voudraient consommer davantage.
    Le véritable enfumage de cette question et de tant d’autres, réside dans le fait de se garder d’aborder la vraie question qui est d’ordre démographique et d’ampleur planétaire.
    Ici et maintenant, parce qu’il doit impérativement ne serait-ce que se nourrir, se vêtir, se loger et se soigner, l’être humain plus que tout autre est un consommateur. Et il l’est depuis sa conception jusqu’après sa mort, se doublant d’un producteur dès qu’il est en âge de travailler. Il est ainsi, avant toute autre opinion ou considération, un agent économique au service de la société et aux dépens de son environnement. Et plus le nombre de ces agents augmente, plus leurs besoins s’accroissent – outre ceux qu’ils s’inventent toujours plus nombreux –, plus ils produisent, consomment, échangent et s’enrichissent, avec l’aide du progrès scientifique et technique, quelles que soient les conditions du partage de leurs richesses. Qu’il s’agisse de ressources non renouvelables ou de pollution, les atteintes à l’environnement augmentent d’autant et s’ajoutent à celles d’une nature jamais avare de catastrophes inopinées ou cycliques.

    Tous les malheurs du monde, que l’homme a la capacité de maîtriser, en découlent.

    • Meryl

    Si seulement le plastique pouvait nous « empoisSonner »…
    Hélas, il ne fait que nous empoisonner.
    Merci de corriger la faute du titre.

    • Olivier Lejeune

    À chaque fois je vois des gens dire que c’est à nous consommateurs de réduire notre consommation de plastique, mais le problème n’est pas là!
    C’est aux industriels d’arrêter d’en produire!
    Mais comme les industriels ne le feront pas d’eux-mêmes, c’est aux politiques d’interdire d’en produire sous peine d’amendes comme dans l’industrie automobile.

Patrick Criqui, directeur de recherche au CNRS à propos des enjeux de la COP29 : « réduire les émissions de gaz à effet de serre est moins coûteux dans les pays du Sud que dans les pays du Nord »

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