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Rencontre avec les fondateurs de Secoya, l’agence de conseil qui rend le cinéma plus vert

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Image ; illustration Tournage en Inde du film Woman de Yann Arthus-Bertrand et Anastasia Mikova © Hope Producton

Dans le monde du cinéma, les films à caractère écologique ne se comptent plus. Mais qu’en est-il de l’envers du décor ? Cela fait-il vraiment sens de produire un film alarmant sur le changement climatique ou célébrant la nature si son tournage est source de pollution conséquente ? C’est en travaillant durant des années dans les coulisses en tant que régisseurs sur des tournages de fictions que Mathieu Delahousse et Charles Gachet-Dieuzeide ont fait le constat de ce manque de considération des enjeux écologiques au sein du secteur. Passionnés et déterminés, ils ont cofondé Secoya, la première agence de conseil qui accompagne les productions audiovisuelles pour réduire leur empreinte écologique. Intervenue sur de nombreux projets, dont la série Canal+ Baron Noir, l’agence Secoya semble répondre à une problématique de plus en plus soulevée dans le monde du cinéma. Rencontre avec Mathieu Delahousse, l’un de ses fondateurs.

Comment est venue l’idée de créer Secoya ?

L’idée est partie de notre expérience de terrain en tant que régisseurs et notre volonté de faire notre part face à la crise environnementale. Nous étions au cœur de la machine et en voyions les rouages et les limites. C’est un secteur d’activité qui a eu du mal à entamer sa transition écologique. Et nous, nous avions envie de rendre son dû à cette activité qui nous a passionné durant des années, tout en participant à quelque chose de durable.

Au départ, nous sommes vraiment partis de la base en proposant des gobelets réutilisables et des gourdes sur les tournages. Aujourd’hui, nous proposons un réel accompagnement pour les sociétés de production dans la mise en place de tournages responsables et engagés. Tout le monde a conscience que nous pouvons faire mieux, mais tous ne le font pas par manque de temps, de connaissances sur le sujet et de visibilité. Avec Secoya, nous faisons ainsi de la pédagogie, les recherches en amont pour les prestataires… Nous donnons le temps à ceux qui n’ont pas le temps de prendre les bonnes pratiques, habitudes et démarches.

Ce secteur d’activité ne tient pas seulement à son impact en soit, mais aussi au rôle que le monde de l’audiovisuel joue dans l’imaginaire collectif.

Concrètement, comment accompagnez-vous un tournage dans sa démarche éco-responsable ?

Secoya existe depuis trois ans, mais c’est seulement récemment que nous avons créé un système de certification qui se décline en trois niveaux. C’est une démarche que nous sommes actuellement en train de tester et d’affiner.

Le premier niveau consiste à certifier que l’équipe de production a été sensibilisée aux enjeux environnementaux. C’est pour nous la première étape d’un processus de transition et s’il ne devait y avoir qu’une démarche à mettre en place, ce serait celle-ci.

Le second niveau est une obligation de moyens : la production s’engage à mettre en place des moyens, par exemple pour la gestion des déchets, de l’alimentation, trouver des alternatives à la mobilité, etc.

Le troisième niveau est l’obtention de résultats à la suite de ces deux premières étapes, c’est la concrétisation. Si nous prenons l’exemple des déchets, la première étape serait faire de l’affichage pour inciter à les réduire. La seconde serait de mettre place une gestion raisonnée des déchets avec bacs à compost, de tri, etc. Le troisième niveau serait par exemple pour la production de s’engager à obtenir au moins 70% de valorisation des déchets sur le tournage. Pour pouvoir certifier le taux de tri, il faut avoir eu une société extérieure en mesure de donner cette certification.

L’avantage de la certification en trois niveaux, c’est que ça permet à des productions qui ne savent pas par où commencer ou quoi faire, d’avoir des objectifs clairs et précis. Ça détermine aussi le type d’investissement qu’il va falloir mettre en place. Chaque projet se retrouve avec un impact économique directement lié à son échelle et son coût. De plus, c’est très concret : la certification permet d’un côté de récompenser ceux qui ont agi, et à ceux liés au projet de se rendre compte de ce travail accompli. Elle prend en quelque sorte un rôle de « médaille », c’est important pour créer de la motivation. Il peut être complexe mentalement de mesurer le lien entre l’impact de notre gobelet en plastique et le problème environnemental planétaire

Nous avions envie de rendre son dû à cette activité qui nous a passionné durant des années, tout en participant à quelque chose de durable.

Ne pensez-vous pas que la démarche écologique sur les plateaux puisse être un frein à la créativité artistique ? Est-ce un reproche que vous avez déjà rencontré ?

Pas du tout, les deux sont tout à fait compatibles. De par notre connaissance du métier, nous ne touchons pas à l’aspect artistique. Par exemple, si nous travaillons avec un maquilleur, nous ne lui demandons pas de changer son maquillage pour des alternatives bio ou vegan. C’est sa valeur ajoutée : il sait comment réagi son maquillage, quoi utiliser en fonction de la nature et condition de la peau de l’acteur, de la lumière, etc. Donc si nous nous imposons avec des contraintes, nous remettrions en cause ses compétences, et ce n’est pas le but. L’idée est d’arriver dans une démarche plus douce, en présentant par exemple tout ce qui existe en cosmétologie alternative, en zéro déchets, etc. C’est un moyen détourné pour attirer l’intérêt et la curiosité sans toucher aux compétences professionnelles. Cela fonctionne pour tous les métiers qu’on trouve sur un plateau. En fait, il faut comprendre que nous ne sommes pas des activistes. Notre rôle n’est pas d’éveiller les consciences mais de prendre les professionnels par la main et de les aider à agir à leur échelle. C’est peut-être une goutte d’eau à l’échelle du colibri, mais c’est déjà ça.

Au-delà de l’impact environnemental important des plateaux de tournages, pourquoi cette démarche vous parait si importante ?

Ce secteur d’activité ne tient pas seulement à son impact en soit, mais aussi au rôle que le monde de l’audiovisuel joue dans l’imaginaire collectif. De plus, dans notre secteur d’activité, on a un impact médiatique. Pour moi, c’est autant une force qu’une responsabilité. On se doit de l’utiliser et d’en faire quelque chose. Quand un film sort, il touche des centaines de milliers de personnes via les réseaux, les promotions, et c’est là qu’il est crucial de communiquer sur l’engagement écologique de la production. Quand quelqu’un voit Omar Sy, Kev Adams ou encore Fabrice Lucchini associés à un projet cinématographique qui est dans sa totalité engagé dans la transition environnementale et pas seulement dans son sujet, il y a un impact.

A quel point ce type d’initiative est-ielle développée dans le secteur de l’audiovisuel ? Est-ce qu’on peut parler d’une vraie prise de conscience ?

Il y a trois ans, nous faisions cette blague au moment de la création de Secoya : « Imagine, un jour, il y a une palme verte au festival de Cannes ». Notre idée paraissait dingue aux yeux de beaucoup à ce moment-là. Et pourtant, cette année, le festival de Cannes a fait une communication monumentale sur sa stratégie environnementale avec notamment le concept de faire payer les accréditations pour financer une taxe carbone. C’est le secteur tout entier qui en train de s’emparer du sujet. Il y a des groupes de réflexion à tous les niveaux, associations, institutions, syndicats de production… Depuis le mois de janvier, on a passé un cap. Ceux qui étaient dubitatifs le sont peut-être encore plus aujourd’hui, mais ceux qui étaient en phase de réflexion atteignent des niveaux d’engagement importants. J’ai un très bon espoir que le festival de Cannes cette année soit une sorte d’élément basculant.

De plus, nous nous sommes tout de même rendu compte de quelque chose de capital avec la pandémie. En l’espace de 6 mois, tout s’est adapté à la crise. Les productions en ont compris les tenants et les aboutissants, les obligations sanitaires, les prestataires techniques se sont développés pour répondre aux besoins de matériels spécifiques… Si nous faisions la même chose pour la crise écologique, en quelques mois, nous serions peut-être capables de mettre en place un système qui y réponde. Je pense qu’avec le précédent créé, la connaissance de l’existence de la crise et la prise de conscience qui va être catalysée par le festival de Cannes cette année, on va voir une vraie différence entre janvier 2021 et janvier 2022.

Propos recueillis par Louise Thiers

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