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Que se passe-t-il quand on supprime une aire protégée ? Le cas du Brésil

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Amazonas - Déforestation

L’aire protégée fait partie des instruments de politique environnementale fréquemment utilisés. Fin 2019, 15 % des écosystèmes terrestres faisaient l’objet d’une telle mesure de conservation. Un chiffre qui demeure en dessous de la cible de 17 % établie par l’UICN pour 2020.

L’aire protégée est définie par l’Union internationale pour la conservation de la nature comme « espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ». Les premières d’entre elles furent créées à la fin du XIXe siècle aux États-Unis, avant que leur usage ne se généralise à la fin du XXe siècle et notamment en 1992 après la Convention sur la diversité biologique lors du Sommet de Rio.

Des moyens alloués parfois insuffisants

La pertinence des aires protégées est souvent questionnée car elles sont fréquemment situées là où les écosystèmes sont peu menacés.

Dès lors, un certain nombre de travaux scientifiques ont démontré qu’elles sont peu efficaces, puisqu’elles protègent des écosystèmes que la géographie protège (pour l’instant) déjà naturellement.

Biodiversité : toujours plus d’aires protégées, mais… (Euronews/Youtube, le 23 mai 2021).

Il ne s’agit en outre pas de décréter qu’un territoire est protégé pour que celui-ci le soit effectivement. Afin d’éviter braconnage ou appropriation frauduleuse des terres, des moyens suffisants doivent être alloués à cette protection.

Au Brésil, même si peu de financements ont été dédiés à leur gestion, les aires protégées fédérales, qui disposent de dotations supérieures ont des taux de déforestation inférieurs à celles confiées aux États.

Entraves au développement des populations

Enfin, l’adhésion des populations est cruciale. Lorsqu’elles sont situées sur des terres profitables, les AP peuvent empêcher la création d’infrastructures nécessaires au développement économique local.

Priver une partie de la population des ressources d’un écosystème auquel elle a toujours eu accès peut être interprété comme une forme de colonialisme vert et fortement remettre en cause l’efficacité de ce type d’instrument.

Une étude sur l’État de l’Acre au Brésil a ainsi démontré que les aires protégées étaient plus pertinentes dans les zones de forte pression économique lorsqu’elles permettent une certaine utilisation des ressources.

Des aires pas toujours pérennes

Au total, la pérennité de ces mesures de protection est parfois questionnée. Au Brésil, il arrive que le gouvernement fédéral et les États soient conduits à supprimer, réduire ou déclassifier un certain nombre d’aires protégées.

L’ONG Conservation internationale recense de manière exhaustive à l’échelle mondiale ces événements. Dans la thèse de Derya Keles, ces données ont permis d’analyser leurs causes et leurs conséquences, en termes de déforestation et de développement local.

L’Amazonie brésilienne est un cas d’étude intéressant pour explorer les politiques d’aires protégées et les impacts de leur suppression. Elle concentre en effet une ressource forestière abondante et riche en biodiversité et constitue un lieu d’intense développement agricole. Or la déforestation, surtout liée aux activités agricoles, atteignait en moyenne 12000 km2/an, avec d’importantes différences selon les périodes.

Bien que l’Amazonie Brésilienne concentre plus de ¾ des aires protégées du Brésil, les évenèments PADDD ont commencé à s’intensifier dans les années 2000, avec la réorganisation du réseau d’aire protégées. Ils se sont ensuite largement accélérés dans les années 2010, sous l’effet du développement des infrastructures, de l’extraction de ressources et de revendications territoriales. En 2014, environ 242 000 km2 d’AP avaient subie une forme de dégradation et environ 828 000 km2 supplémentaires d’AP étaient en danger.

Aires protégées et déforestation en Amazonie brésilienne.
Auteur, à partir de IUCN et UNEP-WCMC (2016) et Hansen et al. (2013)

À l’intersection d’une nécessaire conservation des écosystèmes forestiers et d’une forte pression pour le développement économique, la question du maintien ou de la suppression des AP est cruciale.

Même si le Brésil fait face à de nombreux défis en matière d’éradication de la pauvreté, augmenter les surfaces protégées dans l’Amazonie brésilienne fait partie de sa stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre auquel le gouvernement s’est engagé à Paris en 2015.

Arbitrages entre développement et conservation

Les pouvoirs publics peuvent décider de retirer une aire protégée, pour diverses raisons. Quels sont ces facteurs qui peuvent mener à une telle suppression ?

Ce peut être par exemple le cas si cette aire est située dans une zone de forêts peu menacées où la déforestation est faible. On s’attend donc à ce que celle-ci n’augmente que peu, sinon pas, après la suppression.

Cela peut aussi survenir si elle est localisée sur une zone de forte pression économique et que la déforestation dans la région reste élevée.

Des aires protégées peuvent également être supprimées s’il est jugé qu’elles portent entraves au potentiel de développement économique de la région considérée.

Dans une étude, nous confirmons l’importance des pressions liées au développement économique. La présence d’axes de communication facilitant les transports près des aires protégées offre des opportunités économiques supplémentaires, ce qui augmente la contrainte qu’elles représentent.

Les objectifs de conservation ont aussi un certain poids dans le processus de décision : les réductions de taille d’AP sont moins contestées lorsque celles-ci deviennent inefficaces (déjà déforestées) et plus coûteuses (plus grandes et plus strictes).

Pas forcément plus de déforestation

Une question se pose alors naturellement : la suppression d’une aire protégée provoque-t-elle une progression de la déforestation dans la zone concernée ?

Lorsque les pressions économiques sont faibles – dans les États isolés de l’Amazonie et du Roraima par exemple –, cela n’a pas d’influence sur la déforestation. Dans ces aires protégées, cette dernière était faible car les terres concernées n’étaient pas profitables.

Lorsque les pressions économiques sont plus fortes, près des routes dans l’État du Pará, les réductions d’aires protégées n’ont pas non plus influencé la déforestation ; notamment car celle-ci était élevée dans l’ensemble de ces zones.

Dans l’État du Rondônia, néanmoins, où les aires protégées réduites étaient déjà défrichées, la déforestation semble s’être accélérée.

Cas n°1 : les réductions d’AP n’ont pas d’influence sur la déforestation car les terres sont peu profitables.
Keles (2021)
Cas n°2 : les réductions d’AP n’ont pas d’influence sur la déforestation car les AP étaient inefficaces pour protéger les forêts.
Keles (2021)
Cas n°3 : les AP réduites étaient déjà défrichées, mais la déforestation a continué à s’accélérer.
Keles (2021)

Des impacts économiques contrastés

Il reste à comprendre quelles populations bénéficient des réductions d’aires protégées. De nombreuses raisons économiques sous-tendent les suppressions, réductions ou parfois même déclassements d’aires protégées, allant du développement d’activités extractives à grande échelle à l’autorisation d’un tourisme de plus faible intensité.

Ces aires peuvent aussi contribuer au développement économique local lorsqu’elles favorisent un accès aux ressources forestières aux populations qui en dépendent, qu’elles entraînent la création d’infrastructures ou encore d’activités touristiques. Au total, supprimer une aire protégée contribue-t-il effectivement à réduire les inégalités ?

Dans certains cas, la protection a tout simplement été réduite du fait de réductions et de suppressions d’aires protégées. Ici, la classe moyenne supérieure, d’un revenu équivalent à 2 à 3 salaires minimums, s’est agrandie près des routes. Ce résultat peut provenir d’un enrichissement de foyers plus pauvres ou d’une immigration des ménages de la classe moyenne supérieure.

Dans ce cas, réduire la protection aura permis un meilleur accès à des opportunités économiques liées au développement de barrages et d’autoroutes par exemple.

Dans d’autres cas, le type de protection a simplement été modifié, ou a augmenté du fait de la mise en place de nouvelles aires. Ici, les inégalités ont diminué loin des routes. La classe moyenne inférieure d’un demi à un salaire minimum s’est agrandie, alors que celle des ménages sans revenus a rétréci.

Cela peut provenir de l’enrichissement des ménages les plus pauvres si les aires protégées ont permis le développement d’activités touristiques, un accès aux ressources forestières ou à une immigration plus facile des ménages de la classe moyenne inférieure… Toutefois, il est également possible que les ménages sans revenu aient pu émigrer vers des zones plus stables, si les nouvelles activités économiques liées au changement de protection ont entravé leur accès au bois.

Diversité des situations, diversité des impacts

Les suppressions d’AP surviennent car les opportunités de développement sont élevées ; ou car les aires protégées s’avéraient inefficaces. Dans chaque situation, des arbitrages conservation-développement sont à l’œuvre.

Dans le premier cas, les suppressions peuvent accélérer la déforestation, mais elles peuvent offrir des opportunités de développement aux populations locales. Dans le second, elles n’accélèrent pas forcément la déforestation, mais n’ont que peu d’impact en matière de développement.

En Amazonie brésilienne, les taux de déforestation ne diminuent plus depuis 2014, et augmentent depuis 2018 et l’élection de Jair Bolsonaro, ce qui reflète des changements de politiques défavorables à la protection des écosystèmes.

Au total, comme pour bon nombre de travaux d’évaluation des politiques publiques, les analyses d’impact des politiques de conservation se doivent de prendre en compte des situations géographiques, socio-économiques et temporelles hétérogènes qui permettent de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents et d’expliquer la disparité des résultats de ces politiques.

Philippe Delacote, Directeur de recherche en économie, Inrae et Derya Keles, Docteur en économie de l’environnement, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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