En amont de la 15e conférence des Nations Unies sur la biodiversité, plusieurs États se sont engagés à créer des aires protégées sur au moins 30 % de leurs territoires terrestres et marins d’ici à 2030. Cette tendance à se concentrer sur la proportion des terres et mers à protéger pour préserver la biodiversité occulte des questions plus fondamentales : comment et par qui doit se faire cette conservation ? Ces questions sont pourtant cruciales pour permettre une conservation efficace de la biodiversité. Ainsi, pour que nos efforts ne soient pas vains, il ne suffit pas de seconcentrer sur ce qu’il faut conserver ou sur la surface à conserver, mais se questionner sur la manière dont la conservation est effectuée et par qui peut s’avérer encore plus important.
Les facteurs à l’origine du succès de projets de conservation sont encore difficiles à identifier. Ces dernières années plusieurs études ont ainsi cherché à comprendre le fonctionnement de la conservation. Mais, c’est la première fois qu’une équipe de recherche internationale a étudié la manière dont la gouvernance – la gestion et la prise de décision en matière de conservation – affecte à la fois la nature et le bien-être des peuples autochtones et les communautés locales.
Ces travaux sont en partie issus du projet de recherche JustConservation financé par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) au sein de son Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) et on été initiés la Commission des politiques environnementales, économiques et sociales de l’Union internationale pour la conservation de la nature (CPEES de l’UICN). Ils sont le fruit de la collaboration entre 17 scientifiques, dont des chercheurs de l’École européenne de sciences politiques et sociales (ESPOL) de l’Université Catholique de Lille et de l’Université de East Anglia (UK). Ils font l’objet d’une publication, parue le 02/09/2021 dans la revue Ecology and Society.
Après avoir passé en revue plus de 3 000 publications, les chercheurs en ont identifié 169 traitant de l’influence de différentes formes de gouvernance sur les résultats de la conservation. Il révèle un contraste frappant entre les résultats issus de la conservation sous le contrôle « local » des peuples autochtones et communautés locales, et les résultats de la conservation menée sous le contrôle « extérieur » des États, des ONGs et des entreprises privées. 56 % des études sur la conservation sous contrôle « local » montrent des résultats positifs, tant pour le bien-être humain que pour la conservation. Pour la conservation sous contrôle « extérieur », seul 16 % des études rapportent des résultats positifs et plus d’un tiers ont abouti à une conservation inefficace et des résultats sociaux négatifs. La principale explication de cette différence réside dans le fait que la conservation contrôlée localement peut produire une gestion active et collective de l’environnement. Lorsque les valeurs et les pratiques locales sont respectées et que les communautés locales jouent un rôle central dans la conservation, une vision commune du paysage peut être établie. Cela génère alors une mobilisation pour préserver, restaurer et défendre l’environnement.
Les résultats de cette étude véhiculent donc un message optimiste : une conservation équitable, qui renforce et soutient l’intendance environnementale des peuples autochtones et des communautés locales, est la principale voie vers une conservation efficace à long terme de la biodiversité, en particulier lorsqu’elle est soutenue par des lois et des politiques plus larges.
La reconnaissance et le soutien des institutions locales nécessitent une réorientation des activités des organisations et des gouvernements qui dominent actuellement les efforts de conservation au niveau mondial. Dr Neil Dawson, premier auteur de l’étude, conclu ainsi : “qu’il s’agisse de réserves de tigres en Inde, de communautés côtières au Brésil ou de prairies de fleurs sauvages au Royaume-Uni, les preuves sont bien là : il est essentiel que les négociations politiques actuelles, en particulier celles de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB), reconnaissent le rôle central des peuples autochtones et des communautés locales dans la lutte contre le changement climatique et pour la conservation de la biodiversité”
Pour aller plus loinCes dernières années, de nombreuses études ont cherché à mieux comprendre le fonctionnement de la conservation en s’intéressant aux dimensions sociales et politiques en plus de la dimension écologique. Les travaux de l’Ipbes notamment, pionniers en la matière, s’appuient non seulement sur les sciences naturelles, mais également sur les sciences sociales et humaines, ainsi que sur des connaissances autochtones et locales
Référence de l’article Neil M. Dawson, Brendan Coolsaet, Eleanor Sterling, Robin Loveridge, Nicole Gross-Camp, Supin Wongbusarakum, Kamaljit K. Sangha, Lea M. Scherl, Hao Phuong Phan, Noelia Zafra-Calvo, Warren G. Lavey, Patrick Byakagaba, C. Julian Idrobo, Aude Chenet, Nathan Bennett, Stephanie Mansourian, Francisco Rosado-May. “The role of Indigenous Peoples and local communities in effective and equitable conservation”. 2021. Ecology and Society. doi.org/10.5751/ES-12625-260319
Biodiversité : au-delà des surfaces à protéger, comment et par qui doit se faire sa conservation ?
Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité
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1011-art
Sur la question de la perte de la biodiversité, petit commentaire sous forme de dessin « La robe de Médée » : https://1011-art.blogspot.com/p/la-robe-de-medee.html, série réalisée pour le Muséum de Genève pour l’exposition « tout contre la Terre »