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Virginie Duvat : « l’augmentation lente mais continue du niveau marin de base va se poursuivre lentement durant des siècles quoi qu’on fasse »

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Village en bord de mer au Panama © Yann Arthus-Bertrand

Le dernier rapport du GIEC publié cet été a, une nouvelle fois, sonné l’alarme sur le climat. Géographe et professeur à l’université de la Rochelle, Virginie Duvat étudie les impacts du réchauffement climatique sur les littoraux. Elle est intervenue lors des entretiens de la grotte Cosquer, occasion pour nous d’aborder avec elle les répercussions sur le changement climatique sur les littoraux.

Selon le dernier rapport du GIEC, l’élévation du niveau des océans est de 3,7 millimètres par an depuis une décennie (2006-2018). Le chiffre semble faible, de l’ordre de quelques millimètres, pourquoi ne faut-il pas sous-estimer ce chiffre ?

Ce chiffre n’est pas si faible que cela puisqu’il montre un doublement du rythme de l’élévation du niveau des mers depuis le début du XXe siècle. Le phénomène s’accélère. On est passé de 1,8 mm par an à 3 voire 4 mm par an.

Cette valeur est aussi une moyenne globale. Or, il existe des régions sur terre où le niveau de la mer monte plus vite. Dans le Pacifique Ouest, par exemple, l’archipel de Tuvalu fait face à des valeurs d’élévation du niveau de la mer de 2 à 3 fois plus élevées que la moyenne globale.

Pour quelles répercussions ?

Cette élévation du niveau marin de base, au-delà de la valeur affichée, renforce les niveaux marins extrêmes qui se produisent souvent en situation de tempête. Elle est suffisante pour que les eaux marines passent des seuils élevés et submergent donc de manière plus importante les espaces côtiers. À la hausse du niveau des mers, s’ajoute l’augmentation des précipitations et l’intensification des tempêtes qui favorisent les épisodes de submersion car les vagues passent plus facilement les crêtes de plage et tout ce qui fait obstacle à l’eau de mer.

« À la hausse du niveau des mers, s’ajoute l’augmentation des précipitations et l’intensification des tempêtes qui favorisent les épisodes de submersion. »

Aujourd’hui, chaque année, 250 millions de personnes connaissent une submersion marine. En 2100, selon le scénario pessimiste du Giec et à population constante, c’est-à-dire sans tenir compte de l’augmentation future de la population sur les littoraux, ce seront chaque année 500 millions de personnes qui feront face à une submersion marine.

Concrètement pour la France, comment la hausse du niveau des océans à venir se traduira d’ici à 2040 ?

D’ici 2040-2050, on va assister à une dégradation substantielle de la situation le long des côtes françaises. Les submersions marines seront plus fréquentes, elles vont causer plus de dégâts et être plus étendues.

« L’érosion et la submersion entrainent aussi une augmentation du risque de salinisation des sols cultivés et des aquifères. »

L’érosion va se poursuivre et s’accélérer sur les côtes rocheuses et sableuses. Ce qui va dégrader l’état de santé des écosystèmes littoraux, comme les systèmes plage-dune. Les dunes s’érodent et peuvent être éventrées par les tempêtes. Sur la côte Atlantique, ce phénomène va aggraver le risque de submersion marine comme on a pu déjà l’observer en 2010 lors de la tempête Xynthia. Le littoral méditerranéen n’est pas épargné puisque, en certains endroits, les cordons sableux sont très minces et susceptibles d’être rompus par les vagues.

L’érosion et la submersion entrainent aussi une augmentation du risque de salinisation des sols cultivés et des aquifères donc des nappes d’eau douce souterraines utilisées pour les activités humaines.  Il faut s’attendre à une hausse graduelle de ces 3 risques d’ici 2050 et sur la seconde partie du siècle. Si nos trajectoires actuelles d’émissions de gaz à effet de serre ne changent pas, la situation deviendra alors très critique.

La montée du niveau des océans s’avère être une des conséquences les plus concrètes et visibles du réchauffement climatique, toutefois le phénomène ne souffre-t-il pas d’une sous-médiatisation et d’être trop souvent cantonné aux événements climatiques extrêmes comme les inondations et les submersions ?

Deux phénomènes imbriqués se produisent en même temps : l’augmentation lente mais continue du niveau marin de base, qui va se poursuivre lentement durant des siècles quoi qu’on fasse ; et l’augmentation des niveaux marins extrêmes atteints pendant les tempêtes.

« L’augmentation lente mais continue du niveau marin de base, qui va se poursuivre lentement durant des siècles quoi qu’on fasse ; et l’augmentation des niveaux marins extrêmes atteints pendant les tempêtes. »

La montée lente mais continue du niveau marin n’est pas forcément visible, elle le devient quand elle fait disparaitre petit à petit un cordon sableux ou sous l’effet de la salinisation quand l’eau de mer contamine une nappe d’eau douce souterraine. Donc, petit à petit, on va perdre des espaces côtiers tandis que l’augmentation du niveau des mers conduira à des dégâts de plus en plus élevés en situation de tempête.

 Faut-il laisser faire comme aux salins d’Hyères ?

On dispose d’un large portefeuille de solutions pour faire face à l’élévation du niveau de la mer. Les salins d’Hyères ont décidé de laisser-faire, ce n’est pas une solution nouvelle, en laissant entrer l’eau de mer. C’est l’acceptation de l’aléa et elle se fait sur un espace où il n’y a pas d’installations humaines. Cette option est la plus raisonnable dans les zones sans activité humaine. Il faudra appliquer cette solution sur ce type d’espace, car il ne sera pas possible de faire face à la montée des eaux en construisant des digues et des ouvrages d’ingénierie lourde sur l’ensemble du littoral.

[À lire aussi Montée des mers : les salins d’Hyères font sauter les digues et laissent faire]

De plus, cela peut être le moyen de laisser les écosystèmes s’adapter, évoluer et cela pourrait présenter un intérêt paysager et bénéficier au tourisme.

La France est-elle assez préparée ?

À ce stade, en France et où qu’on aille dans le monde, il est difficile de dire que l’on est assez préparés. Les politiques d’adaptation se mettent lentement en place. Elles font face à des obstacles et doivent aussi faire l’objet d’apprentissages afin de produire des résultats satisfaisants sur le terrain.

Que faire afin de mieux se préparer au phénomène ?

Il faut s’engager de manière plus franche dans l’adaptation. Une politique d’adaptation ambitieuse constitue avec les politiques d’atténuation, c’est-à-dire la baisse des émissions de gaz à effet de serre, l’autre levier de la réduction des impacts du réchauffement climatique.

« Une politique d’adaptation ambitieuse constitue avec les politiques d’atténuation, c’est-à-dire la baisse des émissions de gaz à effet de serre, l’autre levier de la réduction des impacts du réchauffement climatique. »

Ce sera un apprentissage collectif, car sur le littoral on est confrontés à des enjeux humains à forte valeur en raison des activités humaines et économiques. Dans certains cas, il faudra envisager de la relocalisation. Or, en France, on a encore bien du mal à en faire. On sera pourtant bien obligés de la déployer à grande échelle.

Enfin, vous intervenez aux rencontres Cosquer, comment préserver le patrimoine naturel et humain littoral qui sera en première ligne face à la montée du niveau des océans ?

Pour le patrimoine culturel, tout dépend s’il a ou non un ancrage matériel, comme c’est le cas des monuments ou des sites historiques comme la grotte Cosquer. Dans ce cas, il sera nécessaire de protéger ce patrimoine par le recours à des ouvrages de défense ou la construction de réplique, comme pour la grotte Cosquer, afin de permettre aux sociétés humaines d’en garder une trace visuelle.

« Accepter l’idée que le patrimoine naturel et les paysages évoluent sous l’effet du changement climatique. »

Quant au patrimoine culturel immatériel, c’est-à-dire ce qui lie un peuple à son territoire et qui fonde sa culture et son identité, il risque d’être perdu dans le futur. On parle beaucoup de ces sujets avec les habitants des atolls menacés par la hausse du niveau de la mer et qui seront à un moment donné probablement contraints de migrer. Il y a un énorme travail à faire pour que ces communautés puissent dans ce cas « partir avec leur culture ».

[Lire aussi Le changement climatique pourrait pousser 216 millions de personnes à migrer d’ici 2050 ]

Et le patrimoine naturel ?

Il faut accepter l’idée que le patrimoine naturel et les paysages évoluent sous l’effet du changement climatique. La végétation, les écosystèmes terrestres, côtiers et marins sont en train de changer. Il faut néanmoins bien sûr prêter attention à la préservation des écosystèmes pour les maintenir le plus longtemps possible sachant qu’ils sont eux-mêmes en train de s’adapter naturellement jusqu’à ce que certains seuils de pression climatique soient atteints. C’est en particulier le cas des récifs coralliens qui seront condamnés à terme par la hausse des températures si nous ne réduisons pas drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre au cours des prochaines décennies.

Qu’attendre du rapport du groupe 2 pour le 6e rapport du GIEC ?

Ce rapport va apporter des éléments nouveaux, en particulier sur les solutions, sur ce que l’on peut faire et sur les formes que peut prendre l’adaptation.

« Il n’y a pas d’autres solutions qu’une grande solidarité planétaire. »

Avez-vous un dernier mot ?

Chacun doit prendre conscience que, peu importe où il vit sur la planète, en ville ou à la campagne, dans l’hémisphère nord ou dans l’hémisphère sud, à la montagne ou sur le littoral, il sera fortement touché par les impacts du changement climatique. Il n’y a pas de régions à l’abri de ses impacts. Ceux-ci se combinent, donnant naissance à des catastrophes de plus en plus importantes, comme celles qui sont déclenchées par les feux ou les canicules. Face à cela, il n’y a pas d’autres solutions qu’une grande solidarité planétaire. Comme citoyenne du monde, j’attends des États qu’ils mettent en œuvre l’Accord de Paris afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour que les efforts d’adaptation portent leurs fruits. Aujourd’hui, nous sommes tous concernés et sans une solidarité internationale dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et dans l’adaptation, on observe une démultiplication des impacts du changement climatique, au détriment de tous.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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