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Guillaume Pitron : « nos téléphones sont un obstacle à la compréhension de la réalité de ce qu’est l’enfer numérique »

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Les serveurs et data center de free à Saint-Ouen-l'Aumone. en France © ALAIN JOCARD / AFP

Depuis des années, le journaliste Guillaume Pitron travaille sur les métaux et terres rares et donc, par extension, sur tout ce qui compose le numérique. Devenu omniprésent dans nos vies et dans la société, le numérique et son envers restent pourtant méconnus. Dans son dernier ouvrage « L’enfer numérique Voyage au bout d’un like », publié en septembre 2021, Guillaume Pitron enquête sur l’empreinte matérielle du virtuel. Des matériaux requis pour la fabrication des terminaux, aux câbles sous-marins pour faire transiter les données, aux colossaux data centers, ses investigations l’ont conduit aux 4 coins du monde. Dans cet entretien, Guillaume Pitron revient sur l’enfer numérique et les questions de société que ces technologies soulèvent.

Qu’est-ce que l’enfer numérique ?

Il existe plein de façons de définir l’enfer numérique selon l’endroit et la manière dont on le vit. Par exemple, habiter dans le Heilongjiang au nord-est de la Chine, près des mines de graphite desquelles du métal employé dans la fabrication des smartphones est extrait au prix d’une immense pollution, constitue un enfer.

« J’ai été frappé de voir que toute l’infrastructure et toute l’industrie sont tournées sans répit vers l’exigence d’immédiateté afin de répondre à nos caprices d’internaute et de consommateur incapable d’attendre une seconde. »

Mais, si je ne devais insister que sur un côté infernal du numérique, ce serait celui de l’immédiateté. J’ai été frappé de voir que toute l’infrastructure et toute l’industrie sont tournées sans répit vers l’exigence d’immédiateté afin de répondre à nos caprices d’internaute et de consommateur incapable d’attendre une seconde. Cela implique, au nom de ce qui est poliment appelé « la continuité de service », d’avoir des infrastructures qui fonctionnent en permanence. Ne pas pouvoir être déconnecté plus de quelques minutes par an ou devoir s’assurer qu’en cas de panne d’un data center un autre miroir prenne automatiquement le relais, se transforme en enfer pour les personnes qui vivent les contraintes de cette industrie au quotidien.

[À lire L’impact climatique du numérique risque de continuer à augmenter]

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans votre enquête ?

J’ai été surpris, fasciné et passionné par les gigantesques enjeux du stockage des données et découvrir qu’il existe en fait une géographie des clics. Leur stockage peut s’effectuer à tel ou tel endroit en fonction de facteurs variés. Au fin fond du cercle Arctique, les serveurs bénéficient de froid gratuit, tandis que, au bord des côtes, on essaye de développer des data centers plongés au fond des mers afin d’être refroidis naturellement. À Ashburn, près de Washington, des forêts sont coupées pour laisser place à d’immenses data centers.

Comment expliquez- vous notre déni sur l’impact du numérique ?

Notre déni tient à l’ambiguïté de l’impact matériel du numérique dans laquelle nous sommes maintenus en tant que consommateur. Pour un peu, on penserait que le sujet n’existe pas puisqu’on parle du nuage. Nous ne nous rendons pas compte que nous avons affaire à quelque chose de physiquement palpable au travers de toute l’infrastructure déployée derrière les usages que nous faisons du numérique.

Pour aller plus loin, je dirais qu’il y a 3 types de personnes responsables de notre rapport ambigu au numérique. Dès les origines, les penseurs du numérique ont théorisé un monde virtuel affranchi des limites physiques du monde réel comme John Perry Barlow avec sa déclaration d’indépendance du cyberespace. Dans ce texte célèbre, il théorise que tout ce qui est interdit dans le monde physique est autorisé dans ce monde-là. Il y a l’idée de s’affranchir des règles du monde réel qui nous plonge dans un monde impalpable.

« Le design épuré sans bouton véhicule du numérique une image de simplicité et d’un univers qui ne peut pas être sale puisque le téléphone est beau.« 

Ensuite, il y a les publicitaires qui parlent de cloud pour les data centers et de dématérialisation des échanges, de la musique, des films ou bien des fiches de salaire, par exemple. Or, tous ces termes sont extrêmement trompeurs car cela donne et renforce l’impression d’une infrastructure immatérielle, ce qui est évidemment faux.

Enfin, il y a le design et la beauté des smartphones. Sous l’influence de Steve Jobs, inspiré par le bouddhisme zen, les téléphones portables sont devenus des merveilles esthétiques, épurés et simples d’utilisation. Le design épuré sans bouton véhicule du numérique une image de simplicité et d’un univers qui ne peut pas être sale puisque le téléphone est beau. Comment ce qui est beau peut-il être sale ? Puisque, de surcroît, entre nos mains, un téléphone portable ouvre les portes du paradis. Pour ces raisons, nos téléphones sont un obstacle à la compréhension de la réalité de ce qu’est l’enfer numérique.

Vous écrivez que « une part substantielle de la créativité des générations futures ne sera plus occupée à développer des produits révolutionnaires, mais à pérenniser tout ce qui existe déjà ». Pouvez-vous expliquez plus ? et, n’est-ce pas la répétition de ce qui se passe déjà dans les autres domaines environnementaux ?

Je parle du développement de l’économie circulaire pour répondre à l’accumulation des déchets électroniques provoquée par le développement du numérique. La récupération, le recyclage, la réutilisation et la réparation devront se développer. Pour ce faire, il va falloir revoir la fiscalité et considérer que les objets recyclés sont des objets désirables parce qu’on aura mis une valeur dessus, d’autant plus qu’ils contiennent de nombreux matériaux précieux en d’infimes quantités. Certains experts parlent d’eux comme les mines du futur.

Le numérique présente certaines similitudes troublantes avec le pétrole; au vu de la récente crise des semi-conducteurs et de l’impact écologique, est-il envisageable d’avoir « un choc numérique », similaire à ce qu’ont pu être les chocs pétroliers des années 1970, qui conduit à ancrer l’idée qu’une ressource abondante bon marché peut se raréfier et renchérir ?

Je ne crois pas au « choc numérique ». Pour revenir sur la comparaison avec le pétrole, permettez-moi d’abord de dire qu’on croule sous le pétrole alors que cela fait 40 ans qu’on nous dit qu’il nous en reste pour 40 ans. Or, de plus en plus de pays en produisent. Ce qui guide la transition énergétique n’est pas le manque de pétrole, mais paradoxalement le fait qu’il y en a trop et que sa combustion réchauffe le climat. Cheikh Ahmed Zaki Yamani, l’ancien ministre saoudien du pétrole déclarait dans les années 2000 : « l’âge de pierre ne s’est pas terminé faute de pierre, et l’ère du pétrole ne se terminera pas faute de pétrole. »

« Notre consommation actuelle de données est peanuts comparée à ce qu’elle sera dans 5 à 10 ans. »

Et donc, pour le numérique ?

Je ne crois pas à la raréfaction du numérique ou au fait qu’Internet soit une ressource rare parce que, aujourd’hui, le génie humain et les progrès de la science sont tels que je ne vois pas de limites à notre capacité à fabriquer des téléphones portables toujours plus puissants grâce aux nouveaux matériaux issus des laboratoires et dotés de propriétés toujours plus fabuleuses. Je n’entrevois pas de limites dans la capacité des data centers à stocker toujours plus de données en étant moins polluants. Et enfin, je ne vois pas de limites dans la capacité à transférer ces données, notamment grâce aux câbles. J’ai eu la conviction qu’il n’y aurait pas de choc numérique en voyant les câbles de Google en Vendée début 2020. Guère plus épais qu’un tuyau d’arrosage, il fait transiter chaque seconde trois fois plus d’informations que ce que la Bibliothèque du Congrès américain contient.  Il suffira donc juste de déployer quelques câbles supplémentaires, même si cela coûte quelques centaines de millions d’euros, ce n’est pas grand-chose pour les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Je crois en la réelle capacité de l’être humain à bâtir les infrastructures pour faire circuler et stocker les données. Je pense que notre consommation actuelle de données est peanuts comparée à ce qu’elle sera dans 5 à 10 ans. De plus, les crises ne font qu’accroitre cette tendance à la hausse de la consommation de données. Je ne crois pas à la limite technique ou énergétique du numérique.

Vous concluez le livre en écrivant cependant que l’avenir de la technologie n’est pas écrit et que des choix technologiques peuvent s’opérer, que nous ne sommes pas obligés de gober les promesses…

Je crois en effet qu’un discours nous est servi selon lequel tout passe par la technologie et que celle-ci sera la mère de toutes les solutions. Ce type de discours se montre confortable et agréable car il lie la résilience de l’espèce à la découverte d’une technologie merveilleuse qui, d’un coup, résout tous nos problèmes. Or, je reste méfiant vis-à-vis de ce discours-là. Il reste dans les sociétés occidentales une forme de bon sens qui sait que malgré des milliards dépensés dans des publicités, tout n’est pas aussi beau et simple que ce que le marketing veut nous faire croire.

« Ce type de discours se montre confortable et agréable car il lie la résilience de l’espèce à la découverte d’une technologie merveilleuse qui, d’un coup, résout tous nos problèmes. »

Je pense que l’avenir du numérique passe par ce que j’appelle les frugaux résilients, c’est-à-dire des communautés qui veulent refaire le réseau, ou encore « un gouvernement vert sombre » qui pense qu’il faut réguler les usages. Il faudrait réfléchir à casser le tabou de la neutralité du web. Ces solutions sont politiques, organisationnelles, humaines et sociales. Il ne faut bien sûr pas exclure la technologie, mais réaliser qu’elle ne résoudra pas tous nos problèmes.

[À lire aussi Marc Jedliczka, porte-parole de l’Association négaWatt : « la conjugaison de ces deux familles de mesures, sobriété et efficacité, permet de diviser par 2 la consommation finale d’énergie de la France » ]

Un conseil  pour celles et ceux qui veulent sortir de l’enfer numérique ?

Je leur conseille de s’intéresser à l’infrastructure parce que le numérique représente aujourd’hui un paradis. Il devient un enfer quand on commence à se confronter avec toute la matérialité de son infrastructure. Elle est en passe de devenir la plus grande infrastructure construite et déployée par l’Homme.  Ayons l’ambition de nous éduquer au numérique afin de comprendre qu’il se révèle plus complexe qu’on ne le croit lorsqu’on envoie un like entre deux smartphones. Ce dernier requiert des data centers, des réseaux énergétiques, des routes, des câbles et peut être même bientôt des satellites.

[À lire aussi Le récit d’une détox numérique par la marche]

« Ayons l’ambition de nous éduquer au numérique afin de comprendre qu’il se révèle plus complexe qu’on ne le croit. »

Propos recueillis par Julien Leprovost

Le livre L’enfer numérique Voyage au bout d’un like, Les Liens qui libèrent

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3 commentaires

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    • Serge Rochain

    Pitron n’a jamais fait la moindre enquête : Il part d’une idée à buzz et ensuite il recherche tout ce qu’il peut trouvé, notamment sur les différents forums Internet sur lesquels militent tous les opposants ou partisans à n’importe quel sujet, et il y puise tout ce qui va dans le sens qui est favorable à ce qu’il veut démolir, car son thème de prédilection c’est la démolition. Ses articles de démolisseur sont truffés d’erreurs en tous genre et à propos desquels pour chacun de ses bouquins on pourrait en faire un deux fois plus épais. Il n’a jamais apporté la moindre présomption favorable à ce qu’il prétend, et encore moins de preuves, évidemment.

    • michel CERF

    Vous avez raison Mr. Pitron , mais il y aura toujours des négationnistes pour nier l’évidence .

    • kervennic

    On ne produit pas plus de petrole. Le pic de petrole conventionnel (c’est a dire celui qui rapporte vraiment de l’argent et permet a des etats de vivre) est daté de 2008.