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Cyril Dion : « le désintérêt pour la biodiversité vient de l’éloignement voire de la déconnexion avec la nature »

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Le militant écologiste Vipulan Puvaneswaran, le réalisateur Cyril Dion et la militante écologiste britannique Bella Lack posent pendant une séance photo pour le film Animal à la 74ème édition du Festival de Cannes, le 12 juillet 2021. (Photo by Valery HACHE / AFP)

Le militant écologiste et réalisateur Cyril Dion sort en fin d’année Animal, un nouveau long-métrage traitant cette fois-ci de la biodiversité et de la 6ème extinction de masse. Dans ce documentaire, le spectateur suit Bella et Vipulan, deux jeunes militants écologistes, dans leur recherche d’explications et de solutions à cette disparition massive du vivant. Autour du monde, ils rencontrent des scientifiques, des activistes ou des éleveurs. À l’occasion de la sortie de ce film, Cyril Dion a accepté de répondre à quelques questions sur Animal et de nous livrer son ressenti par rapport à l’urgence écologique 6 ans après le succès de son film Demain avec Mélanie Laurent.

De nombreux adolescents et jeunes adultes ont fait du climat le combat de leur jeunesse, pourquoi avoir choisi de suivre Bella et Vipulan en particulier ?

Bella et Vipulan forment un couple de personnages complémentaires. Vipulan a un côté scientifique que nous avons trouvé très intéressant, car il cherche à comprendre. Il posait beaucoup de questions pour gratter la surface, là où Bella parfois avait juste envie de grimper sur les rochers et de jouer avec les chiens car elle a une relation plus physique aux choses.

Comment décririez-vous Bella ?

Bella est une des rares à être très engagée sur la défense des animaux sauvages quand l’engagement d’une grande partie de la jeunesse est plus tourné vers le climat. Elle est incroyable, très charismatique et très intelligente. Elle possède une maturité impressionnante. Elle est capable de tenir le choc devant des adultes.

Et Vipulan ?

Je connais Vipulan plus que Bella car nous avons fait des marches pour le climat ensemble. Il avait un profil très complémentaire de celui de Bella puisqu’il est très intéressé par le climat et moins par les animaux. Au début du tournage, il avait même du mal à les approcher et les toucher. Le monde sauvage était une découverte pour lui. De plus, il est très urbain. Son origine sri-lankaise et son milieu social moins privilégié que celui de Bella le rendent plus sensible aux questions d’égalité et de répartitions des richesses.

Ne pensez-vous pas qu’on peine aujourd’hui à parler de l’érosion de la biodiversité ?

On vit dans un monde de plus en plus urbanisé. Pour Animal, on est allé rencontrer l’anthropologue Philippe Descola, qui nous a raconté qu’une étude faite dans les banlieues des grandes villes américaines a montré que la plupart des enfants, plus particulièrement dans les quartiers défavorisés, n’avaient qu’un seul mot pour dire arbre ou oiseaux. Ils ne connaissaient pas, par exemple, hêtre et chêne ou merle et faucon. A contrario, ils connaissaient des centaines voire des milliers de logos et de marques. Philippe Descola l’a expliqué en disant que c’était normal puisque c’est ce que ces jeunes fréquentent. L’anthropologue a ensuite conseillé à Bella et Vipulan de recommencer à fréquenter le vivant et à s’y intéresser s’ils voulaient le protéger.

« Aujourd’hui pour des citadins la disparition des espèces est très théorique parce qu’ils ne la voient pas. […] Je pense que le désintérêt vient de l’éloignement voire de la déconnexion avec la nature. »

Aujourd’hui pour des citadins la disparition des espèces est très théorique parce qu’ils ne la voient pas. Le fait d’être dans un monde très artificialisé ne nous aide pas à comprendre à quel point on a besoin de la biodiversité. Depuis 3 ans et demi, j’ai un jardin dans lequel j’ai fait un potager. Dans ces cas-là, on se rend mieux compte des problématiques environnementales liées à l’agriculture comme l’eau, les intempéries ou bien la nécessité des pollinisateurs. Je pense que le désintérêt vient de l’éloignement voire de la déconnexion avec la nature.

« Nos sociétés humaines pourraient avoir d’autres objectifs que la croissance économique. »

Bella se montre très critique sur l’humanité. Sa pensée évolue pendant le film et devient moins manichéenne. Était-ce un des buts de ce documentaire de changer la vision de la jeunesse et redonner un peu d’espoir à la nouvelle génération ?

Je ne sais pas si de raconter l’histoire de ces deux adolescents redonnera de l’espoir. En tout cas, j’ai voulu montrer que nos sociétés humaines pourraient avoir d’autres objectifs que la croissance économique.

« Se donner comme objectif de permettre au vivant de continuer à exister, à s’épanouir et de perpétuer la vie. »

Lesquels ?

On pourrait se donner comme objectif de permettre au vivant de continuer à exister, à s’épanouir et de perpétuer la vie. L’économiste Eloi Laurent l’exprime au milieu du film en disant qu’on devrait utiliser des indicateurs de santé au 21e siècle et non pas des indicateurs de croissance économique. Beaucoup plus complets, ces nouveaux indicateurs permettent d’avoir une véritable idée de la bonne santé des sociétés à la fois économique, sociale ou écologique.

« Le film pose la question du but de nos sociétés humaines : continuer à creuser des mines et construire des centres commerciaux ou comprendre comment le vivant fonctionne et faire en sorte de le protéger et de le perpétuer. »

Tout au long d’Animal, Vipulan et Bella vont découvrir qu’il faut donc perpétuer la vie des humains et des non-humains. La faune comme la flore, les eaux ou les sols sont indispensables au fait de pouvoir vivre sur cette planète dans de bonnes conditions. Maintenir tous ces écosystèmes en bonne santé peut apparaitre, dans un premier temps, comme un but purement égoïste, parce que nous en avons absolument besoin. Or, dans une perspective philosophique, nous n’avons pas plus de droits à exister que toutes ces autres espèces. Le film pose la question du but de nos sociétés humaines : continuer à creuser des mines et construire des centres commerciaux ou comprendre comment le vivant fonctionne et faire en sorte de le protéger et de le perpétuer.

Changer de perspective

« Ce qui est le plus important pour nous, c’est la santé et le lien social. »

Pensez-vous que la population mondiale est prête à mettre de côté une partie de son confort afin de revoir la manière de consommer et la façon de penser afin d’aller vers une société qui se soucie de l’humain et de la planète plutôt que de la croissance économique  ?

Je pense que la population mondiale est prête à mettre la santé au premier plan, particulièrement depuis la pandémie. Éloi Laurent le dit très bien dans le film, ce qui est le plus important pour nous, c’est la santé et le lien social. Et là, avec le coronavirus, on a expérimenté l’importance de ces deux aspects vitaux de l’existence, parce que c’est ce qui donne le plus de sel à notre vie.

« C’est beaucoup plus passionnant d’imaginer comment se rendre utile à la préservation de la vie et des autres plutôt que de réfléchir à quel modèle de téléphone acheter. »

Je pense que les catastrophes écologiques vont nous forcer à nous concentrer sur l’essentiel. C’est beaucoup plus passionnant d’imaginer comment se rendre utile à la préservation de la vie et des autres plutôt que de réfléchir à quel modèle de téléphone acheter.

[A lire L’écologie est l’ennemie de l’innovation et de l’emploi]

6 années se sont écoulées depuis la sortie et le succès de Demain, qu’est-ce qui a changé depuis ce film ?

Depuis Demain, les gens ont fait l’expérience du changement climatique. Depuis l’été 2018, il y a une accélération de la prise de conscience parce qu’on est confronté physiquement à des sécheresses, des canicules, des mégafeux, des inondations, des glissements de terrain et des migrations. Le réchauffement n’est plus une idée lointaine que des écologistes brandissent.

« Ce qui a aussi changé, c’est la remise en cause de la « solutionite ». »

Ce qui a aussi changé, c’est la remise en cause de la « solutionite ». L’idée qu’il suffit de trouver des solutions et de les appliquer pour résoudre tous les problèmes est battue en brèche. Par exemple, lorsque dans le film, Vipulan et Bella vont aider le jeune militant écolo Afroz à ramasser le plastique en Inde, ils se rendent compte que c’est sans fin. Il ne suffit pas de ramasser les déchets mais qu’il faut traiter le problème à la racine en changeant la loi et en donnant la possibilité aux gens de faire autrement que d’utiliser du plastique. En Inde, l’accès à l’eau potable est compliqué, les gens achètent donc des bouteilles en plastique, et il y a très peu d’infrastructure pour jeter et surtout recycler. Il faut donc transformer tout le système de l’accès à l’eau à la récupération des déchets.

Justement, dans Animal, vous montrez les difficultés à changer les lois, et ce malgré la démocratie…

En effet, quand Bella et Vipulan vont au Parlement Européen, ils se rendent compte que ce n’est pas si simple que ça. Il y a des intérêts financiers qui ont beaucoup plus d’impact aujourd’hui sur la législation européenne que les activistes. On peut tous prendre notre vélo autant qu’on veut, on peut avoir autant d’Afroz qui collecte du plastique ou autant de Claire Nouvian qui lutte contre la surpêche dans tous les parlements ; tant qu’on continue à croire que la croissance économique est la priorité, ça ne changera pas le fond du problème.

[A lire Claire Nouvian contre la pêche électrique: « les citoyens ont compris que les combats se gagnent en plusieurs années »]

Se rapprocher du vivant

« Suivre l’imaginaire de Baptiste Morizot et se dire que l’on pourrait entamer des relations diplomatiques avec les autres espèces du vivant ouvre des perspectives qui sont fascinantes. »

Cela fait plusieurs années que vous appelez à inventer de nouveaux imaginaires. Les voit-on émerger aujourd’hui ? Et personnellement, qu’est-ce qui vous a marqué, plu dans ces nouveaux imaginaires ?

La pensée de Baptiste Morizot s’est révélée parmi les plus intéressantes de ces dernières années. Son idée est que les autres espèces sont également des habitants de pleins droits de cette planète. Nous sommes simplement des vivants parmi les vivants et nous devrions partager l’espace. Baptiste Morizot propose d’essayer de comprendre leur langage. Nous avons imaginé tous les deux de tenter de comprendre le langage des loups pour leur demander de se tenir à distance des troupeaux. Il faut donc comprendre que finalement la relation que l’on a avec eux n’est pas qu’utilitaire et que nous n’avons pas plus de droits à être sur cette planète que les loups, les buses ou les ragondins. Suivre l’imaginaire de Baptiste Morizot et se dire que l’on pourrait entamer des relations diplomatiques avec les autres espèces du vivant ouvre des perspectives qui sont fascinantes. Le terme diplomatique est très intéressant car cela implique des ambassades, des partages de territoire avec les espèces sauvages. Cela nous conduit à réimaginer notre manière d’organiser nos villes, nos entreprises et notre façon de produire.

Propos recueillis par Pauline Izabelle et Julien Leprovost

À propos d’Animal

Le 1er décembre, le nouveau film de Cyril Dion, Animal, sort en salle. D’ici-là il sera possible de le découvrir en avant-première le 22 novembre dans 24 villes de France et de suivre une conférence-débat sur le thème de la biodiversité à la suite de la projection.

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4 commentaires

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    • michel CERF

    Le bon sens de Cyril fait du bien ! On fait trop souvent l’erreur de séparer le climat , la biodiversité , la santé et le social .

    • Marc Moynot

    Oui, Baptiste Morizot, bravo. La communication animale est un élément parmi la multitude de merveilles que recèle notre monde intérieur. Par habitude culturelle nous sommes inféodés au mental, l’extériorité, et nous ne voyons pas que la solution est ailleurs, dans notre intériorité.
    Découvrir en soi la Véritable Nature de l’Être Humain, et vivre cette découverte, c’est initier la montée vibratoire qui est la solution à toutes les incongruités qu’a créées le mental, car l’Intelligence de la Lumière répercute immédiatement chaque pas que nous faisons vers la Vérité qui habite tout le Vivant, tout l’univers.

    • Cerf philippe

    Voici un homme réaliste plein de bon sens mais malheureusement ce n est pas le cas pour une grande majorité d entre nous. Nous ne savons plus ouvrir les yeux sur le vivant nous nous coupons du réel et de la vie.

    • Balendard

    Solutionner le problème du réchauffement climatique ne va pas être simple Michel. Ceci vu qu’ il va falloir, vu l’urgence, agir le plus rapidement possible en se méfiant des décisions hâtives génératrices de déceptions amères
    Balendard
    La SWE peut-être?