Le botaniste Francis Hallé poursuit son rêve de faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest. Afin de porter son message, il publie en septembre 2021, aux éditions Actes Sud un manifeste pour défendre le retour d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest, l’occasion de nous entretenir avec Francis Hallé et de faire le point sur ce projet de ré-ensauvagement unique et ambitieux.
Quel message voulez-vous faire passer avec votre manifeste « Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest » ?
J’explique pourquoi nous avons besoin d’une forêt primaire notamment pour laisser au vivant sa place. Comme nous sommes au début de l’opération, je fais aussi ce texte pour qu’on ne perde pas en route les objectifs initiaux.
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Vous insistez sur la beauté d’une forêt, est-ce que cet argument peut suffire à convaincre d’y dédier 70 000 hectares pour 1000 ans, et plus ?
Certainement pas, car, la beauté à elle seule ne peut suffire à justifier le projet. Je n’insiste pas que sur la beauté, mais il se trouve que j’aime bien la beauté et qu’on n’en parle jamais. Je me renseigne sur la beauté, sujet sur lequel il existe une bibliographie énorme qui porte surtout sur les aspects artistiques et très peu sur la nature. Pourtant, la nature primaire, vierge, se révèle incontestablement magnifique. Toutefois, ce n’est pas la seule raison pour laquelle il nous faut une forêt primaire.
« La nature primaire, vierge, se révèle incontestablement magnifique. »
Justement, quelles autres raisons plus pragmatiques avancez-vous ?
Ces raisons sont déjà bien connues. La forêt primaire offre le maximum de biodiversité, le maximum de captation du CO2, le maximum de fixation du carbone, le maximum de fertilité des sols et le maximum de stabilité des sols puisque les arbres favorisent la descente des eaux de pluie jusqu’aux racines.
Un tel projet pose des questions philosophiques et anthropologiques profondes. En effet, l’humain est réticent à se lancer dans un projet qui consiste justement à laisser-faire la Nature, là où nous tendons à vouloir tout contrôler. N’avez-vous pas l’impression qu’un obstacle à sa réalisation se trouve dans l’égo de l’espèce humaine ?
C’est effectivement le principal obstacle, voire le seul à notre projet de forêt primaire en Europe de l’Ouest. L’être humain n’aime pas lâcher prise. Pour lui, une forêt en libre évolution constitue une démission, un abandon et quelque chose de honteux. Mais, ce point de vue ne repose sur rien de concret. Je crois qu’il va falloir que l’être humain retrouve une place plus juste dans la nature, c’est d’ailleurs un des objectifs de l’opération.
Comment surmonter cet obstacle et faire changer le point de vue des êtres humains ?
Je ne vais pas essayer de changer le point de vue de tous les humains. Je ne peux certainement pas tous les mettre dans le même sac. Il y en a qui sont terriblement anthropocentriques tandis que d’autres ont très bien compris que la nature n’a pas besoin de nous et se porte beaucoup mieux quand on ne s’en occupe pas. Donc, je vais travailler avec ceux-là.
Où en êtes-vous du projet de forêt primaire ?
Dans les semaines à venir, nous allons visiter les frontières avec les 5 pays qui nous entourent. Le projet doit être transfrontalier. Nous commençons avec les Vosges puis nous irons dans les Ardennes sur lesquelles je fonde beaucoup d’espoirs. Ensuite, nous irons à la frontière allemande, suisse puis italienne et espagnole.
« La forêt ne sera pas fermée à l’être humain. »
Le site sera-t-il accessible aux visiteurs ?
La forêt ne sera pas fermée à l’être humain. Je refuse l’expression de « forêt mise sous cloche » ou de « forêt sanctuaire ». Les visites seront autorisées et même encouragées. Ce projet est fait pour nos contemporains et les générations qui suivent.
Qu’aimeriez-vous que les personnes vivant dans la région de la forêt primaire d’Europe en fassent et en disent dans 1000 ans ?
J’aimerais qu’ils la visitent et l’admirent. Ils bénéficieront des apports que les grands arbres vont donner en matière d’oxygène, d’épuration des terres et des eaux ainsi que de fertilisation des sols. Ils auront près d’eux une forêt primaire, ce qui est, de nos jours, tout à fait exceptionnel. J’espère qu’ils en seront fiers.
Est-ce qu’il y a un projet bâti sur le temps long ou qui a nécessité des siècles pour voir le jour qui vous a inspiré ?
Faire revenir une forêt primaire est, à ma connaissance, un projet totalement original. J’imagine que les pyramides d’Égypte ou les cathédrales ont pris du temps. Si on ne sait plus travailler sur le long terme, alors cela devient très inquiétant.
« Faire revenir une forêt primaire est, à ma connaissance, un projet totalement original.«
Les projets de long-terme ont-ils encore une place ? Ne négligeons-nous pas le long-terme au profit du court-terme ?
Dans notre vie quotidienne, tout est fait pour nous permettre de gagner quelques secondes, de l’informatique aux transports, il faut aller de plus en plus vite sans qu’on sache d’ailleurs pourquoi… Gagner une fraction de seconde est considéré comme une victoire. Je ne suis pas d’accord parce que les choses vraiment importantes méritent d’y consacrer du temps.
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« Les choses vraiment importantes méritent d’y consacrer du temps.«
Ce besoin d’immédiateté n’est-il pas le reflet d’une perte de sens ainsi que d’une crainte de la mort présente dans l’époque moderne ?
C’est possible, mais cela ne me concerne pas. J’ai pris l’habitude du rythme des arbres. Ils fonctionnent très lentement, mais très longtemps. Un certain nombre d’entre eux sont immortels.
Avez-vous un dernier mot ?
Si vous avez les moyens, dépêchez-vous d’aller voir la dernière forêt primaire d’Europe située à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Elle s’appelle Bialowieza et se montre absolument inoubliable par sa beauté.
Propos recueillis par Julien Leprovost
Le site de l’association de Francis Hallé pour la forêt primaire
Le manifeste Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest, de Francis Hallé, aux éditions Actes Sud
Pour aller plus loin sur les forêts sur GoodPlanet Mag’
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Un commentaire
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michel CERF
C’est cela la vraie transition écologique .