À quelques jours de sa parution le 20 octobre, découvrez les bonnes feuilles du Livre de l’espoir de Douglas Abrams et Jane Goodall (Flammarion). L’auteur Douglas Abrams entame une conversation avec la célèbre primatologue Jane Goodall sur l’espoir. Celle qui a révolutionné la compréhension des chimpanzés et de l’intelligence animale revient sur son parcours et ses engagements. De leurs échanges sur la complexité du monde ressort une vision humaniste et positive de l’écologie et de l’humanité. Ils aboutissent à une réflexion sur la nécessité d’espérer et portent un message à destination des générations présentes et futures.
« Oui, nous savons aujourd’hui que les animaux sont infiniment plus intelligents qu’on ne l’a longtemps pensé, acquiesça-t-elle. Les chimpanzés et autres grands singes sont capables d’apprendre quatre cents mots voire davantage en langage des signes américain, de résoudre des problèmes complexes sur un ordinateur. Comme d’autres animaux tels que les porcs, ils aiment dessiner et peindre. Les corbeaux et les perroquets sont d’une intelligence surprenante.
— Je crois vous avoir entendue évoquer aussi celle des poulpes, ajoutai-je. Vous disiez qu’ils étaient capables de résoudre toutes sortes de problèmes, bien que leur cerveau ne soit pas structuré comme celui des mammifères. »
Jane partit d’un petit rire. « Ils ont huit tentacules et un cerveau au bout de chacun ! Et tiens, voilà qui devrait vous plaire : si on les récompense avec une goutte de nectar, les bourdons peuvent apprendre à envoyer une petite balle dans un trou. Plus remarquable encore : ils peuvent y arriver sans qu’on les ait entraînés, rien qu’en regardant faire les autres. Chaque jour apporte son lot de nouvelles connaissances, et je dis souvent aux étudiants que nous vivons une époque en or pour étudier l’intelligence animale.
— Alors, qu’est-ce qui, dans notre intellect, nous différencie des animaux ?
— Les chimpanzés, nos plus proches cousins, réussissent brillamment une grande variété de tests d’intelligence. Mais le plus brillant d’entre eux sera à jamais incapable de dessiner la capsule spatiale qui a envoyé un robot sur Mars pour y prendre des photos destinées à nos scientifiques. Les humains ont accompli des exploits inouïs – pensez à Galilée, Léonard de Vinci, Linné, Darwin, Isaac Newton et sa pomme. Aux pyramides, à nos grands monuments, à l’art, à la musique. »
Jane s’interrompit. Je repensais à tous ces génies qui avaient conçu des théories et bâti des monuments fabuleux sans posséder aucun de nos outils sophistiqués ni disposer du savoir accumulé au fil des siècles. Jane m’arracha à ma songerie.
« Voyez-vous, Doug, chaque fois que je regarde la pleine lune, je ressens la même émotion émerveillée qu’en 1969, quand Neil Armstrong a posé le pied là-haut, suivi de Buzz Aldrin. Des hommes ont marché sur la Lune. C’est fou… Lors de mes conférences, je dis toujours aux gens : la prochaine fois que vous regarderez la Lune, essayez de retrouver cette émotion – ne soyez pas blasés. »
« Donc, oui, poursuivit-elle. Ce qui a transformé une espèce de singe préhistorique plutôt faible, sans rien d’exceptionnel, en maîtresse du monde auto-proclamée, c’est le développement fulgurant de notre intellect.
— Soit. Mais, si nous sommes tellement plus intelligents que les autres animaux, d’où vient que nous agissions si souvent avec une telle stupidité ?
« Un animal intelligent ne détruirait jamais sa maison – ce que nous faisons depuis très longtemps. »
— C’est justement pour cette raison que je préfère le mot intellect au mot intelligence. Un animal intelligent ne détruirait jamais sa maison – ce que nous faisons depuis très longtemps. Évidemment, quelques humains sont véritablement d’une très haute intelligence, mais ce n’est pas le cas de la majorité. Nous nous sommes qualifiés d’Homo sapiens, l’homme sage. Malheureusement, la sagesse fait aujourd’hui défaut sur notre planète.
— Peut-on dire que nous sommes ingénieux ? Créatifs ?
— Oui, les deux, et à un haut degré. Comme tous les primates et beaucoup d’autres animaux, nous sommes aussi de grands curieux. Notre curiosité, associée à notre intellect, nous a permis de faire d’immenses découvertes dans bien des domaines, car nous aimons comprendre le pourquoi, le comment, repousser les limites de notre compréhension.
« Malheureusement, la sagesse fait aujourd’hui défaut sur notre planète. »
— D’où vient la différence, selon vous ? Pourquoi le cerveau humain a-t-il davantage évolué que celui du…
— Le langage, dit Jane sans attendre la fin de ma question. À un certain point de l’évolution, nous avons développé cette capacité de communiquer avec des mots. Notre maîtrise du langage nous a permis de nommer les choses en leur absence, et donc de les enseigner.
Nous avons pu transmettre le savoir acquis des succès et des erreurs du passé. Bâtir des plans pour le futur. Plus important encore, nous réunir pour discuter ensemble de problèmes – entre gens de différents horizons, aux connaissances différentes. »
Le langage est à l’origine du développement fulgurant de notre intelligence. Or, au cours de mes recherches sur l’espoir, j’avais appris que le langage, la définition d’objectifs et l’espoir sont localisés dans la même région du cerveau – le cortex préfrontal, l’aire dont l’évolution est la plus récente, est située juste derrière notre front. Cette région est beaucoup plus étendue chez l’humain que chez les grands singes.
Nous avons évoqué ensemble quelques-unes des grandes réalisations de l’être humain – appareils et technologies permettant de voler dans le ciel, de naviguer sous la mer, de communiquer instantanément d’un bout à l’autre de la planète.
« Et c’est aussi à cause de ce prodigieux intellect que nous nous trouvons aujourd’hui dans cette situation impossible ! dis-je. C’est lui qui a déréglé le monde où nous vivons. On pourrait presque dire que l’intellect humain a été la plus grande erreur de l’évolution, puisqu’il menace désormais l’ensemble du vivant sur la planète.
« C’est qu’un intellect assez puissant pour créer l’arme atomique et l’intelligence artificielle doit sûrement posséder les ressources nécessaires pour réparer le mal que nous avons infligé à notre pauvre vieille planète. »
— Oui, sans aucun doute, nous sommes responsables du chaos. Mais ce n’est pas notre intellect en soi qui est coupable. C’est la façon dont nous l’avons utilisé. Cette déviance s’explique par un mélange d’avidité, de haine, de peur et de désir de puissance. Mais l’aspect positif, c’est qu’un intellect assez puissant pour créer l’arme atomique et l’intelligence artificielle doit sûrement posséder les ressources nécessaires pour réparer le mal que nous avons infligé à notre pauvre vieille planète.
Comme nous prenons de plus en plus conscience de nos erreurs, nous commençons à mettre notre créativité et notre inventivité au service de cette réparation. Des solutions innovantes ouvrent la voie vers de nouveaux comportements : énergie renouvelable, agriculture régénératrice, permaculture, alimentation végétarienne… En tant qu’individu, chacun reconnaît la nécessité d’alléger son empreinte écologique et réfléchit aux moyens d’y parvenir.
— Donc, vous diriez que notre intellect n’est ni bon ni mauvais, et que tout dépend de l’usage que nous choisissons d’en faire : rendre le monde meilleur ou le détruire ?
« Des solutions innovantes ouvrent la voie vers de nouveaux comportements : énergie renouvelable, agriculture régénératrice, permaculture, alimentation végétarienne… En tant qu’individu, chacun reconnaît la nécessité d’alléger son empreinte écologique et réfléchit aux moyens d’y parvenir. »
— Exactement. Et c’est justement ce qui nous différencie des animaux : notre intellect et notre maniement des mots nous donnent la possibilité de choisir.
En ce sens, nous sommes à la fois meilleurs et pires qu’eux. Nous sommes moitié pécheurs, moitié saints, conclut-elle avec un sourire. »
« Notre intellect et notre maniement des mots nous donnent la possibilité de choisir. »
Moitié pécheur, moitié saint
« Au bout du compte, qu’est-ce qui l’emporte ? demandai-je.
— De part et d’autre, il y a tant d’arguments. Je dirais que nous sommes juste au milieu, dit Jane. Les humains ont une faculté d’adaptation inouïe, ils feront tout pour survivre dans leur environnement. C’est l’environnement que nous aurons façonné qui tranchera la question. Pour le dire autrement, ce qui l’emportera, c’est ce que nous choisirons de privilégier. »
« Les humains ont une faculté d’adaptation inouïe, ils feront tout pour survivre dans leur environnement. »
Extrait du Livre de l’espoir
Le livre de l’espoir, Douglas Abrams, Jane Goodall, traduit de l’anglais par Laurence Decréau, Flammarion , À paraître le 20/10/2021
Pour aller plus loin, week-end spécial à la Fondation GoodPlanet avec Jane Goodall Institute France (16 et 17 octobre 2021)
Le Jane Goodall Institute France organise avec la Fondation GoodPlanet un week-end sur la protection de la faune sauvage les samedi 16 et dimanche 17 octobre.
Ce week-end permettra de lancer la campagne « le réveil des forces sauvages » en faveur de 7 projets de terrain portés par de formidables associations.
Campagne que le Jane Goodall Institute parraine et dont le crowfunding se tient sur Blue Bees.
Vous trouverez une présentation de la campagne ici : https://janegoodall.fr/le-reveil-des-forces-sauvages/.
Pour découvrir les 7 projets : https://bluebees.fr/fr/p/19-le-reveil-des-forces-sauvages
Différentes activités ont été prévues : conférences (dont une conférence digitale de Jane Goodall en live), ateliers, projection de film, exposition photo, une pièce de théâtre pour enfants, etc. Et lecture des bonnes pages du livre de Jane qui sera en vente en avant-première mondiale chez GoodPlanet !!!!
Vous retrouverez l’agenda du Week-end : https://www.goodplanet.org/fr/domaine/le-reveil-des-forces-sauvages/
Et pour aller plus loin, à lire sur GoodPlanet Mag’
Dr Jane Goodall : « Nous sommes arrivés à un tournant décisif dans notre relation avec le monde naturel »
L’éco anxiété : une inquiétude grandissante face à un avenir incertain
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