Blaise Leclerc, auteur de Apprendre à ralentir : « il est plus agréable de ralentir maintenant que d’attendre de devoir subir un choc pour le faire »

ralentir apprenre à ralentir

Maisons flottantes sur l'étang de la Galiotte, Carrières-sous-Poissy, Yvelines © Yann Artbus

La fatigue et l’absurdité d’un monde qui va trop vite n’épargnent personne. Face à ce constat, l’ingénieur agronome et jardinier Blaise Leclerc propose dans son nouvel ouvrage Apprendre à ralentir, qui vient de paraître aux éditions Terre Vivante, quelques pistes afin de remettre en cause le dogme de la vitesse. Ralentir, c’est savoir prendre son temps, comme la nature et les cultures. Entretien avec Blaise Leclerc pour réfléchir à ce petit pas coté qui peut contribuer à préserver la sérénité et la planète.

Pourquoi est-ce si difficile de ralentir ?

Tout est organisé autour de la vitesse, surtout dans les sociétés occidentales. On est embarqué dedans malgré soi, en prenant des automatismes de vitesse, alors que la nature humaine aurait tendance à prendre son temps. La vitesse se retrouve partout, dans les transports, dans les communications ou dans le travail, et même, y compris, dans les loisirs. En effet, une partie de l’offre contemporaine de loisirs tourne autour de la vitesse, bien qu’il existe des propositions comme le yoga ou le tai chi qui viennent d’Orient. Et encore, on est capable de courir pour se rendre à un cours de yoga…

Comment expliquez-vous cette accélération qui nous oppresse ? est-ce le fait de la technologie ou des comportements ?

C’est à la fois du fait de la technologie et de nos comportements. Les travaux sur le cerveau montrent que nous tendons à préférer la récompense la plus rapide et la satisfaction immédiate. Avec les technologies actuelles, on développe plus les parties du cerveau dépendantes de l’immédiateté que le cortex dédié à la réflexion. Ce processus résulte donc de l’évolution technologique et physiologique.

« Pour rien au monde, ces personnes retourneraient en ville. »

[À lire aussi Les collapsologues Pablo Servigne et Raphaël Stevens : « c’est un sevrage très dur qui nous attend car tout le monde est drogué aux énergies fossiles »]

Dans votre ouvrage, vous proposez plusieurs portraits de personnes qui ont choisi de ralentir, qu’ont-elles en commun ? Qu’est-ce qui vous a marqué chez elles ?

Elles ont en commun d’avoir vécu une partie de leur vie en ville et d’en être parties. J’ai recueilli ces témoignages autour de chez moi, en milieu rural. Il apparait que pour rien au monde, ces personnes retourneraient en ville. Il est possible de tisser un lien entre accélération et vie urbaine. De plus, un certain nombre d’entre elles n’aiment pas la vitesse. Elles expriment un refus d’une existence moderne associée à un rythme de vie trop soutenu et rapide.

[À lire aussi Le géographe Guillaume Faburel, auteur de Pour en finir avec les grandes villes : « vivre en ville encastre en nous des manières d’être et des modes de vie anti-écologiques »]

Puisque le climat est une préoccupation majeure de l’époque, en quoi ralentir apporte des solutions à la crise climatique ?

La vitesse nécessite de l’énergie pour les déplacements ou les communications. Il ne faudrait pas oublier que les technologies de l’électronique et de l’Internet requièrent de gros serveurs qui ont besoin d’énergie pour fonctionner et être refroidis. Une part considérable de la vie actuelle repose sur les énergies fossiles, sur le pétrole et le charbon pour le transport, les échanges et aussi l’alimentation. Une alimentation très carnée demande beaucoup d’énergie. Le calcul de l’empreinte carbone de nos modes de vie contemporains montre que les leviers de réduction de cette dernière sont en lien avec la vitesse, puisqu’ils concernent les transports, l’alimentation et le logement.

« La vitesse nécessite de l’énergie pour les déplacements ou les communications. »

C’est-à-dire ?

 Il existe un lien entre la vitesse et la distance : aller plus vite rallonge les distances et, par conséquence, la consommation d’énergie. Beaucoup de produits alimentaires parcourent des milliers de kilomètres. Par exemple, la viande produite en France est en grande partie nourrie avec du soja cultivé en Amérique du Sud.

Avez-vous des conseils pour celles et ceux qui voudraient lever le pied ?

Je leur suggère déjà de mesurer leur empreinte écologique et leur empreinte carbone. C’est très simple à effectuer en ligne et les calculateurs sont souvent accompagnés de plein de tutoriels. Cela permet de voir où on en est.

J’ajouterais quil faut que ce soit un plaisir de lever le pied et de chercher des moyens agréables de ralentir, par exemple une petite promenade à vélo ou à pieds. Avec ma compagne, puis avec des amis, à la ville ou à la campagne, nous nous sommes mis à aller au restaurant en marchant. Pour faire 3 ou 4 km, pas besoin de prendre la voiture ou les transports, la marche constitue un petit plaisir qui met en appétit. Elle permet aussi de prolonger un moment convivial. Cela permet de prendre conscience tout simplement de ce qu’on peut faire.

« Il faut que ce soit un plaisir de lever le pied. »

Avez-vous un dernier mot ?

Il est plus agréable de ralentir maintenant que d’attendre de devoir subir un choc pour le faire. S’il n’y a pas d’effort ni de changement collectif, alors dans 5, 10 ou 20 ans, nous serons contraints de ralentir car nous allons droit dans le mur. Les problèmes d’approvisionnement en énergie, électricité ou pétrole deviennent des contraintes brutales. Dans ce cas, autant choisir la voie de la sobriété heureuse prônée notamment par Pierre Rabhi.

[À lire aussi « J’aimerais tant me tromper… » : rencontre avec Pierre Rabhi]

Propos recueillis par Julien Leprovost

Apprendre à ralentir, Blaise Leclerc, éditions Terres Vivantes

Pour aller plus loin sur GoodPlanet Mag’

Anaïs Rocci, sociologue à l’ADEME : « l’objectif de la sobriété est de trouver un modèle de société qui permette à la fois de respecter les limites des ressources planétaires et à chaque personne de vivre décemment »

Francis Hallé : « la forêt primaire offre le maximum de biodiversité, le maximum de captation du CO2, le maximum de fertilité des sols »

Entretien avec Matthieu Ricard : « l’émerveillement donne de l’espoir »

Gilles Vernet : « le vrai enjeu est de savoir si la technologie nous rend dépendant à l’immédiateté »

Alain Damasio : « aujourd’hui, on est dans l’orgie numérique »

« Le plus grand échec n’est pas le Jour du Dépassement, mais de refuser d’y prêter attention » Mathis Wackernagel, créateur de l’empreinte écologique à l’occasion du Jour du Dépassement

Hadrien Klent, auteur de Paresse pour tous : « limiter le temps de travail offre à tout le monde l’opportunité d’arrêter d’être dans une course effrénée au temps et à la consommation »

Guillaume Pitron : « nos téléphones sont un obstacle à la compréhension de la réalité de ce qu’est l’enfer numérique »

Gilles Vernet, le financier devenu instituteur, questionne la prépondérance de l’argent dans nos vies dans son dernier livre Tout l’or du monde : « plus on consacrera de temps à l’argent, moins on disposera de temps pour ce qui est essentiel »

The Denial, le court métrage percutant de Fridays For Future le mouvement de Greta Thunberg et des jeunes défenseurs du climat

De l’empreinte écologique à l’empreinte égotique, entretien avec le philosophe Patrick Viveret

Ecrire un commentaire

Patrick Criqui, directeur de recherche au CNRS à propos des enjeux de la COP29 : « réduire les émissions de gaz à effet de serre est moins coûteux dans les pays du Sud que dans les pays du Nord »

Lire l'article