Offrez un cadeau qui fait sens pour cette fin d’année : soutenez GoodPlanet Mag’ et les projets engagés de la Fondation GoodPlanet

Mathieu Merino : « Si l’Afrique se met à vraiment polluer, on sera victimes aussi de leurs émissions de gaz à effet de serre »

Raffinerie de pétrole de Secunda (combustible issu de la technologie du charbon) Mpumalanga, Afrique du Sud ©Yann Arthus-Bertrand

À la veille de la COP26, tous les regards sont tournés vers les pays industrialisés et leurs engagements climatiques. Mais, pour l’Afrique, les négociations climatiques ont une autre dimension car le continent, qui n’émet que 4 % du total des gaz à effet de serre, est l’une des régions les plus exposées aux conséquences du réchauffement. Qu’attend l’Afrique de la COP26 ? Quels sont les enjeux pour cette région du monde ? Mathieu Merino, enseignant chercheur en sciences politiques et expert des questions environnementales en Afrique, répond à ces questions pour GoodPlanet Mag’.

Que doit attendre l’Afrique de la COP26 au vu de ses particularités ?

Pour commencer, l’Afrique doit espérer un meilleur investissement de la classe politique africaine qui se désintéresse des COP et des questions environnementales. C’est dommage, mais ce n’est pas une priorité pour les dirigeants africains car ils sont d’abord confrontés à des questions de survie de leurs populations. Les enjeux climatiques sont donc plus éloignés que les questions sécuritaires par exemple. Je pense aussi que l’Afrique mériterait plus d’attention de la part des autres parties du monde. Le continent est particulièrement menacé et vulnérable face aux changements climatiques et les conséquences sont graves : insécurité alimentaire, pénurie d’eau, déplacement de populations… Ces paramètres alimentent un contexte déjà conflictuel dans certaines zones, le facteur climat risque d’exacerber les conflits déjà présents.

Enfin, se pose aussi l’épineuse question des financements de l’action climatique. Le coût de l’adaptation climatique est très élevé pour le continent et ça va s’accentuer dans le futur. Il faut mettre en place le fonds vert pour assurer une transition écologique.

Les financements et le fonds vert sont en réalité des prêts et non des subventions. Est-ce un moyen pour les pays du nord de garder une « emprise » sur les pays du sud ? Ces prêts ne risquent-ils pas finalement d’empirer la situation économique de ces pays déjà surendettés ?

Cela ne va pas amplifier la dépendance des états africains mais cela va certainement la maintenir. C’est le même schéma qui se répète, la question environnementale est une question transversale qui touche toute la planète. Or, à partir de là, on maintient le même modèle de dépendance depuis les colonisations, ce qui perpétue donc les limites inhérentes à ce modèle.

L’Afrique peut-elle se représenter comme « une entité » plutôt que comme un continent pluriel ? Et avec quelle ambition ?

L’Afrique est très hétérogène. Il y a l’Union Africaine certes, mais il n’existe pas de panafricanisme à proprement parler pour les questions environnementales. Il n’y a pas vraiment d’unité avec une feuille de route pour les enjeux climatiques pour le continent. La Cop26 à Glasgow sera peut-être l’occasion de se concentrer sur l’Afrique. La question sous-jacente reste celle du développement général du continent.

Les négociateurs africains sont-ils à la hauteur des enjeux ?

Tant qu’il n’y aura pas un leader charismatique africain pour porter ces questions environnementales à l’échelle internationale, faire tendre la voix de l’Afrique va être compliqué. Il s’agit de diplomatie, c’est-à-dire de rechercher des consensus et de marchander. Or, sans personne qui s’empare clairement de ces questions, c’est difficile d’imaginer peser dans les négociations.

Une demande de réparation pour les dommages climatiques subis est-elle légitime ?

Je n’aime pas cette idée de réparation. C’est culpabiliser une partie des citoyens contre les autres. Nous ne sommes pas responsables en tant que citoyens des dégradations environnementales des pays du sud. Par contre, un meilleur partage des richesses et des ressources est essentiel. On a le devoir de reconnaitre les conséquences du changement climatique sur les populations les plus vulnérables. Les pays riches doivent faire un effort de soutien envers les pays du sud.

L’heure est au débat sur la sobriété énergétique en Europe. Elle est perçue comme l’une des solutions principales aux enjeux environnementaux. Est-ce que ce débat peut émerger en Afrique alors que la majorité des Africains émettent déjà peu de gaz à effet de serre ?

Il faut surtout mener des politiques énergétiques intelligentes dès le début. L’Afrique est un continent en pleine expansion avec une démographie croissante. La zone est amenée à devenir le continent le plus peuplé de la planète. Dans les décennies à venir, les besoins énergétiques seront colossaux, tout comme la demande alimentaire. Il faut donc dès à présent mettre en place des orientations qui vont, non pas réduire les émissions de gaz à effet de serre puisqu’elles sont déjà faibles mais, tenter de faire différemment de l’Occident en exploitant directement les énergies renouvelables.

Quel développement est alors possible pour l’Afrique en tenant compte des nouvelles contraintes énergétiques induites par la lutte contre le réchauffement ?

La forme de développement que le monde occidental a connu pendant les Trente Glorieuses ne correspondra pas au développement de l’Afrique dans 50 ans. D’ailleurs, si l’Afrique se met à beaucoup polluer, on sera victimes aussi de leurs émissions de gaz à effet de serre, donc c’est aussi de l’investissement pour les pays du nord sur le long terme. L’économie est de moins en moins basée sur un modèle industriel et tend à s’orienter vers les services. Bien sûr, la question des matières premières dont l’Afrique regorge demeure, mais leur rareté et leur utilisation dans le futur restent des inconnues. L’Afrique peut imaginer développer un modèle de société agricole, tout en développant son potentiel dans le secteur tertiaire.

Propos recueillis par Romane Pijulet

A lire également sur GoodPlanet mag’ :

Climat : Guterres  » très inquiet » d’un possible échec de la cop26

Quels enjeux pour la cop26 de Glasgow ?

5 commentaires

Ecrire un commentaire

    • Balendard

    Vu l’importance mondiale que va prendre le continent africain sur le plan démographique, il faut espérer que va émerger, lors de cette COP 26, une autorité africaine. Et ceci bien qu’une cinquantaine de langues différentes soient parlées dans ce vaste continent d’une cinquantaine de pays. Au moment où l’Europe prend conscience à l’aube du réchauffement climatique, qu’il va falloir qu’elle évolue en ce qui concerne ses chaines énergétiques il est important que l’Afrique, ne suive pas notre exemple en ce qui concerne la combustion et le nucléaire. Ceci en choisissant des chaînes énergétiques qui ne passent pas par les hautes températures. Voir le lien ci-dessous si vous êtes intéressé par ces nouvelles chaînes énergétiques
    http://infoenergie.eu/riv+ener/essentiel.pdf

    • michel CERF

    Dans ces pays , comme ailleurs , le court terme passe toujours avant l’intérêt des futures générations .

    • Guy J.J.P. Lafond

    Merci pour cette bonne réflexion.
    J’adore le continent africain.
    J’y ai vécu quelques années pour le travail. J’y suis allé pour le tourisme également. Je crois d’ailleurs que l’Afrique pourrait sûrement devenir la première destination touristique mondiale dans un futur proche si elle prend bien soin de ses magnifiques forêts. Le soir et avant de s’endormir, on y entend une biodiversité si réconfortante.
    Autrement, je suis d’accord que le plus grand défi auquel l’Afrique devra faire face dans les années à venir est probablement l’expansion rapide de sa démographie. Si tous les nouveaux parents se passent le mot que des familles de un ou deux enfants sont des alternatives louables, alors l’Afrique pourrait se concentrer davantage sur d’autres défis comme par exemple la pauvreté.
    La majorité des Africains ont cet avantage de ne pas vivre dans un pays aux hivers rigoureux. Les Africains peuvent se déplacer à vélo presqu’à l’année longue. Tôt le matin ou bien en fin d’après-midi.
    Les Africains peuvent donc réduire plus facilement leur nombre de véhicules à énergie fossile, facteur de pollution et parfois aussi de mauvaise santé.
    À mon ami Balendar dans l’Union européenne et à bien d’autres qui aiment les équations mathématiques: svp, voir aussi cette très bonne réflexion faite par l’écrivain et environnementaliste George Monbiot:
    https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/aug/26/panic-overpopulation-climate-crisis-consumption-environment
    I = PAT
    Une formule de calcul de notre empreinte environnementale.
    À suivre,
    @FamilleLafond
    https://twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329
    https://www.cbd.int/action-agenda/contributions/action/?action-id=5eb4392ee9f0fa00018b947d

    • peyroche

    Le fond du problème réside dans la natalité incontrôlée .

    • Bousquet

    Ce ne sera qu’un juste retour des choses. Je suis européen, français et me demande comment ces africains ont laissé Total, Elf et bien d’autres grands groupes américains, anglais, allemands se servir de leurs ressources? Sans qu’ils n’aient droit qu’à une miette de ces dernières.
    Vous voudriez qu’ils ne prennent pas le même chemin qu’on leur a infligé? Mais si, Mesdames et Messieurs assis tranquillement dans des Hémicycles à cogiter sur le sexe des mouches! Tout en pillant les économies européennes et, peut-être mondiales. A 30 Kg€ mensuels, vous pouvez sourciller lorsque l’on se permet de changer les choses. Moi ? Mon salaire et maintenant ma retraîte n’ont pas augmenté d’un Iota.. Alors, les africains, je les engage à vous faire subir ce que vous leur avez fait durant 100 ans.

2024 en France ou le visage humide du changement climatique

Lire l'article