L’azote (N) représente un élément nutritif essentiel à la croissance des plantes. Constituant principal des protéines et de la chlorophylle, on l’ajoute aux cultures sous forme d’engrais minéraux synthétiques ou organiques (effluents d’élevage, boues de station d’épuration…).
L’ion nitrate (NO3) se forme naturellement par combinaison de l’azote (N) et de l’oxygène (O) du sol. Cette forme de l’azote est la plus disponible pour plantes.
Le nitrate est d’autre part particulièrement soluble et donc facilement véhiculé par l’eau. Entraîné en profondeur par la pluie dans les sols et au-delà (l’ensemble constitué par les sols et les roches sous-jacentes correspondant à ce qu’on appelle « la zone non saturée »), le nitrate va jusqu’à atteindre les eaux souterraines appelées « nappes ».
En France, ces eaux souterraines assurent 65 % de notre alimentation en eau potable.
Des mesures prises depuis 1990
Depuis plusieurs décennies, la surveillance de la qualité des eaux souterraines s’est accrue, en lien notamment avec la production d’eau potable. Le nitrate (NO3) – ou plus exactement sa forme dissoute l’ion nitrate (NO3–) – représente l’un des paramètres les plus mesurés.
La limite de qualité pour les nitrates dans l’eau distribuée (eau potable) est 50 mg/L. Si les nitrates peuvent exister de manière naturelle dans les eaux souterraines, les teneurs attendues sont alors très faibles, généralement moins de 10 mg/L. L’activité humaine (agriculture, industrie, effluents domestiques, etc.) constitue une pression importante en azote qui peut conduire à une augmentation de la concentration dans les eaux souterraines.
Face au constat de contamination des eaux, une Directive de protection est appliquée depuis 1991 au niveau européen.
Elle vise essentiellement à réduire les excédents d’origine agricole. Au niveau français, cette directive-cadre est transposée dans le Code de l’environnement. Des plans d’action nationaux et régionaux sont mis en œuvre dans des zones dites vulnérables, couvrant aujourd’hui environ 68 % de la surface agricole. Environ 39,6 % du territoire de l’EU-27 fait l’objet de programmes d’action.
Des efforts insuffisants à ce jour
Ces plans d’action « nitrate » – ajoutés à une prise en compte générale des impacts des activités humaines sur l’environnement – ont conduit à de nombreuses modifications dans les modes de production agricoles français et européens.
Par exemple, un cahier d’enregistrement des pratiques a été mis en place et l’implantation de couverts végétaux en hiver a été imposée (ces couverts utilisent le nitrate non utilisé par les cultures principales et limitent ainsi le transfert comparativement à un sol laissé sans culture). Des plans prévisionnels de la fertilisation ont également été instaurés, obligeant à évaluer l’équilibre de la fertilisation azotée : les exploitants calculent les besoins des cultures pour dimensionner leurs apports d’engrais.
L’ensemble de ces initiatives a permis de réduire la quantité appliquée d’engrais minéraux tout en sécurisant la production alimentaire.
Mais trois décennies après la mise en place de cette directive européenne, et de sa transcription dans le droit français, préserver et améliorer la qualité de l’eau reste l’un des défis majeurs en France, certaines nappes présentant toujours des teneurs jugées trop importantes en nitrate.
Comment expliquer cette situation ?
Contrôler les temps de transfert
Il peut en effet paraître paradoxal que la qualité de l’eau ne soit pas toujours au rendez-vous alors que des lois sont mises en place au niveau européen depuis les années 1990.
Une des explications réside dans le temps de transfert des nitrates entre la surface et la nappe.
Grâce à des mesures effectuées sur le terrain, il a été en effet possible d’estimer la vitesse moyenne de ce transfert dans plusieurs régions françaises. Ces mesures ont démarré au début des années 1990 dans un contexte crayeux. Depuis, d’autres initiatives, en Normandie ou dans l’Est du Bassin parisien, ont confirmé un transfert très lent au sein de la matrice de la craie.
Le déplacement vertical moyen de nitrate et d’eau est ainsi compris entre 0,5 m et 1,5 m par an. À titre de comparaison, les escargots, pourtant peu réputés pour leur rapidité, peuvent en moyenne parcourir 0,5 m en moins de 10 minutes…
Dans des cas plutôt rares, des approches similaires ont concerné d’autres matériaux. En Alsace, dans des matériaux appelés lœss, des vitesses ont été estimées à quelques décimètres par an.
Comment expliquer ces vitesses moyennes de déplacement ?
De manière simplifiée, on peut considérer que les nitrates migrent généralement à la même vitesse que l’eau. Cela s’explique simplement par le fait que le nitrate se dissout bien dans l’eau (la solubilité du nitrate d’ammonium est du même ordre que celle du sucre blanc – 2kg/L).
Comprendre la dynamique de l’eau depuis le sol jusqu’à la nappe est donc essentiel pour caractériser le déplacement des nitrates.
La circulation de l’eau dans la roche
La circulation de l’eau dans la roche dépend de la présence d’espaces vides, appelés pores (porosité) et de sa capacité à laisser circuler l’eau (perméabilité). La France offre une diversité importante de type d’aquifères présentant des vitesses de circulation de l’eau différentes. On distinguera par exemple les aquifères poreux, composés de roches sédimentaires avec une eau circulant au sein de la matrice, des aquifères fissurés, où l’eau va s’écouler préférentiellement dans les fissures de manière assez rapide, et les aquifères karstiques où vont coexister des écoulements très rapides dans les drains (vides) issus de la dissolution de la roche, et plus lents au sein de la matrice poreuse.
Dans les roches calcaires du nord de la France, le déplacement vertical moyen de l’eau et du nitrate étant de l’ordre du mètre par an dans la zone non saturée située entre la surface et la première nappe d’eau (la plus utilisée pour l’eau potable) et l’épaisseur de cette zone étant régulièrement supérieure à une dizaine de mètres, le nitrate peut donc régulièrement réclamer une décennie pour atteindre la nappe.
En plus du temps nécessaire pour rejoindre descendre la nappe (déplacement vertical), il faut également tenir compte du temps nécessaire à l’eau et au nitrate pour traverser la nappe jusqu’au captage ou la source qui sont utilisés pour produire de l’eau potable (déplacement horizontal). Cette durée est dictée par la distance à parcourir et les propriétés de la roche.
On comprend donc aisément qu’une modification de pratiques agricoles en surface peut se traduire seulement plusieurs années, voire des décennies plus tard, par une amélioration de la qualité des eaux souterraines. Si ces informations sur la durée du transfert sont cruciales, elles restent parcellaires : le coût des carottages, la nécessité de disposer des historiques de fertilisation, etc., limitent la réalisation de telles études. Existe-t-il néanmoins des approches qui peuvent apporter des éléments de compréhension ?
Laisser le temps au temps… mais combien de temps ?
Si les profils nitrate obtenus permettent d’avoir des éléments de réponse de manière très locale, faire le lien entre la pression agricole en prenant en compte son évolution temporelle et la qualité de l’eau reste un challenge.
Dans le cadre du projet de recherche FAIRWAY, des approches statistiques ont été mises en œuvre à la fois pour identifier la voie de transfert dominante et déterminer le temps nécessaire pour que le changement des pratiques en surface soit perceptible sur la qualité de la nappe.
Ainsi, sur le site français étudié (aquifère calcaire), où l’eau circule surtout dans la matrice poreuse, le temps nécessaire varie de 8 à 24 ans selon le captage d’eau considéré. Sur les sites au Danemark, dans un autre contexte hydrogéologique, ce temps dépasse largement les 30 ans !
Des outils mathématiques, comme ceux développés par le BRGM, peuvent aussi être utilisés pour modéliser l’évolution des teneurs en nitrate dans la nappe et ainsi tester l’impact de scénarios de changement de pratiques co-construits entre tous les acteurs d’un territoire.
La modélisation couplée à des approches économiques permet d’orienter les choix agricoles et de conforter les parties prenantes sur la pertinence des actions et de dimensionner les efforts en termes de changement de pratiques tout en estimant le temps nécessaire pour atteindre les objectifs fixés, l’impact pouvant être à court, moyen ou long terme selon les contextes hydrogéologiques.
Nicole Baran (BRGM) est co-autrice de cet article.
Nicolas Surdyk, Modélisateur qualité de l’eau, BRGM et Nicole Baran, Ingénieure hydrogéologue, BRGM
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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