Florence Robert a été bergère dans les Corbières. Elle a témoigné de son expérience dans un livre et dans les médias. Aujourd’hui, elle partage sa réflexion sur le rewilding et la place qu’il accorde aux animaux sauvages vivant en troupeaux.
Le rewilding, qu’on peut appeler réensauvagement, a le vent en poupe. Il s’agit de laisser la nature reprendre ses droits sur des espaces allant de quelques hectares à mille hectares et plus. L’espace ainsi protégé des perturbations humaines est censé retrouver toutes les caractéristiques de la « nature sauvage ». Et c’est vrai, il suffit, même dans un coin de jardin, d’arrêter de cultiver ou de faucher, de ne plus épandre de pesticides, d’aménager un petit point d’eau, de laisser le bois mort, pour que flore et faune se réapproprient ce qui devient rapidement une petite oasis de biodiversité.
Ce qui est vrai pour un petit espace l’est aussi pour un grand. Mais de quelle nature parle-t-on ?
En Europe occidentale, on a longtemps considéré que la forêt est le climax, c’est à dire l’état naturel stable. En Asie centrale, par exemple, les conditions météorologiques et la nature des sols (les conditions pédo-climatiques) ne sont pas favorables à autres chose que la steppe. Le climax est la steppe herbeuse. En haute montagne, le climax est la pelouse d’altitude. Elle est le stade de développement ultime. Aucun arbre ne peut y pousser.
« Dans le cadre du rewilding, l’idéal paraît donc de réintroduire et d’inviter des herbivores à participer à la renaturation des milieux, pour qu’ils s’enrichissent au mieux. »
Depuis une vingtaine d’années, l’hypothèse de la présence historique de grands troupeaux d’herbivores dans notre Europe de l’Ouest a émergé. La notion de climax, en intégrant la présence animale et la pression qu’elle exerce sur le milieu, devient moins prépondérante que la mosaïque de milieux qui résulte de ces interactions faune-flore. La biodiversité extrêmement riche liée aux milieux ouverts (clairières, prairies) n’existe que si le feu et les troupeaux d’herbivores les créent et les maintiennent. Certains écologues se demandent même si le cerf et sa haute ramure est vraiment un animal forestier. Les chevreuils affectionnent les zones ouvertes et semi-boisées. Peut-être est-ce le témoignage de leur interdépendance avec les milieux ouverts depuis des temps immémoriaux.
Aujourd’hui, les feux de forêts sont stoppés le plus vite possible en raison du danger qu’ils représentent. Quant aux herbivores sauvages, ils se sont cantonnés aux bois, aux forêts, et s’invitent régulièrement dans nos cultures, voire cohabitent avec nos troupeaux domestiques, car ce sont ces derniers qui depuis longtemps tiennent ce rôle d’ouvreurs de milieux et, en pâturant les prairies, avantagent cette biodiversité extraordinaire.
« L’urgence à laisser la biodiversité retrouver de la place est immense et le rewilding est une des formes qui y répond parfaitement. »
Dans le cadre du rewilding, l’idéal paraît donc de réintroduire et d’inviter des herbivores à participer à la renaturation des milieux, pour qu’ils s’enrichissent au mieux. À quelles espèces confier ce rôle ? Certains herbivores sauvages européens ont disparu comme le mammouth, le rhinocéros laineux ou l’élan. Les quelques 5000 bisons européens ne vivent plus que dans certains endroits alors qu’ils étaient largement répandus auparavant. Les cerfs et les chevreuils sont plus nombreux, voire pullulent. Les isards et les bouquetins sont liés aux milieux montagnards. On a recréé les aurochs, bovidés européens sauvages décimés par l’homme, et les chevaux tarpans, et ils peuplent des espaces réensauvagés en Europe de l’Est. Dans certains cas, le pâturage des espaces de rewilding est effectué par des espèces comme les vaches et les chevaux.
Repenser la cohabitation entre l’humain et la nature
On pourrait penser qu’une concurrence risque d’apparaître entre les espaces pastoraux et les espaces attribués au rewilding. À l’heure où il est question de faire manger de plus en plus de monde sur la planète, y a-t-il un arbitrage délicat à réaliser entre la production de viande ou de lait d’une part et des espaces non productifs de l’autre ? Les exemples de rewilding existants montrent qu’ils sont pris la plupart du temps sur des espaces abandonnés par l’agriculture. Certains ont été enrichis d’animaux dé-domestiqués, d’autres par des espèces sauvages. D’autres étaient déjà peuplés d’herbivores sauvages. Certains acteurs du rewilding pensent même qu’il sera possible d’y prélever des animaux pour la consommation humaine. Selon eux, il serait logique que la viande de bison ou autre, trouve une place dans nos assiettes. Cette hypothèse doit cependant être mise en perspective avec un versant du rewilding qui paraît fondamental : celui de la régulation naturelle. Car dans la nature, qui dit herbivores dit proies, et donc prédateurs.
« À l’heure où il est question de faire manger de plus en plus de monde sur la planète, y a-t-il un arbitrage délicat à réaliser entre la production de viande ou de lait d’une part et des espaces non productifs de l’autre ? »
Les prédateurs européens sont le loup, l’ours, le lynx et le glouton. Ce dernier ne se rencontre qu’en Scandinavie. On connaît mieux les autres, bien présents en Europe de l’Est mais rares en France, en Allemagne et en Italie. Cette rareté s’accompagne malgré tout de conflits avec les éleveurs. Dans le cadre du rewilding, quelle est leur place ? Si les herbivores sont sous la coupe d’une forme d’élevage, quel sera le statut de la prédation ? Acceptée ou refusée ? Si les herbivores sont « sauvages » et non régulés par un prélèvement humain, doit-on introduire des prédateurs ? Et si ces prédateurs sortent de l’espace de rewilding et s’en prennent aux troupeaux domestiques ? Etc…
« Si les herbivores sont « sauvages » et non régulés par un prélèvement humain, doit-on introduire des prédateurs ? »
Très logiquement, dans un monde où l’emprise humaine est majeure et tournée vers l’utilisation intense de l’espace, qu’il soit agricole, touristique ou urbain, le rewilding vient questionner notre rapport au sauvage, ce qui invite à le concevoir comme un outil d’aménagement de l’espace, même s’il est d’abord un non-aménagement. Il nous demande de penser les frontières entre laisser-faire et interventionnisme, entre risque de débordement et organisation de la contrainte. Voilà pourquoi certains espaces réensauvagés sont clôturés. Mais peut-on vraiment être sauvage et enfermé… Ces questionnements ne doivent cependant pas contribuer à dénigrer l’engouement pour le rewilding. Au contraire, quelles que soient les formes expérimentées, elles font la part belle à la dynamique de la vie, avec son cortège de surprises et son surcroît de vitalité. L’urgence à laisser la biodiversité retrouver de la place est immense et le rewilding est une des formes qui y répond parfaitement.
par Florence Robert, bergère et auteure de Bergère des collines
Texte courtoisie de l’auteura
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