La finance durable fait l’objet de critiques alors qu’elle fait partie des leviers importants de la transition écologique. La finance verte permet aux investissements d’aller vers plus de durabilité et de respecter les engagements climatiques. Les fonds verts représentent encore à l’heure actuelle une très faible proportion des encours, ils connaissent une croissance sans précédent. Leur labélisation comme « vert » ou « durable » vient de franchir une étape importante grâce à la mise en place d’une taxonomie européenne sur le sujet. Une avancée vers plus de durabilité. Éléments d’explication.
La part des investissements verts en Europe reste réduite puisque ces derniers ne représentent que 1,3 % du total des encours au 30 juin 2021, selon l’étude « Les limites des fonds verts en Europe » publiée par Novethic en novembre 2021. Leur montant s’élève à 202 milliards d’euros. Dans le même temps, le secteur des fonds verts peut se targuer d’une croissance de 56 % au premier semestre 2021, « ils ont été très attractifs ces dernières années, on l’observe par des collectes massives », résume Julie Nicolas, chargée d’étude finance durable chez Novethic, qui rappelle que derrière l’expression « fonds vert » se trouve une pluralité d’approches.
Une diversité de fonds verts
Dans son étude, Novethic propose trois grandes catégories de fonds verts. Les fonds thématiques —c’est-à-dire ceux qui regroupent des entreprises dont les activités ont un aspect environnemental comme les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique ou la gestion de l’eau et des déchets— constituent la part la plus importante des fonds verts. Viennent ensuite les fonds de réduction des émissions ou les fonds bas carbone qui correspondent aux secteurs se fixant des objectifs de réduction des émissions, peu importe la nature de leur activité, ce qui entre dans le cadre de la nouvelle réglementation européenne SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui correspond en partie à la taxonomie entrée en vigueur en 2021. Cette dernière se base sur l’intensité carbone de l’activité. Leur objectif est d’associer au portefeuille des objectifs de réduction. « L’idée est de pouvoir mobiliser suffisamment de capitaux et de les allouer en priorité aux entreprises qui tiennent le rythme de ces réductions d’émissions », explique l’expert en finance durable Nicolas Redon de Novethic. Enfin, dernière catégorie, les obligations vertes. Elles existent depuis plus d’une décennie et sont des obligations pour lesquelles l’émetteur s’engage à financer des projets durables, le plus souvent des énergies renouvelables, des infrastructures ou de l’efficacité énergétique.
Les limites actuelles des fonds verts
« Les entreprises, sur les marchés côtés, spécialisées dans les activités vertes, il n’y en a pas tant que ça », note Julie Nicolas. Quant à lui, Nicolas Redon pointe des limites à la finance verte actuelle dont les risques de greenwashing ou encore l’origine des émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise prises en compte. En effet, dans le bilan carbone, les émissions dites de scope 1 ou 2 correspondent aux émissions directes des entreprises ou à celles liées à l’énergie, tandis que les émissions de scope 3 sont les émissions indirectes induites par l’activité de l’entreprise comme les déplacements des clients, le transport en amont et en aval, pour ne citer que quelques exemples. Les émissions de scope 3 sont ainsi insuffisamment comptabilisées dans le reporting de certains secteurs d’activités. « Aujourd’hui, on peut construire autant que possible des fonds qui intègrent le scope 3, mais là où il est absent, cela retarde, entre guillemets, la question de l’adéquation de certains modèles d’affaires avec l’enjeu climatique, si ces modèles d’affaires là sont très émetteurs sur le scope 3 », explique Nicolas Redon. À titre d’illustration, pour une agence de voyage, les émissions de scope 1 et 2 correspondraient à l’énergie utilisée pour faire fonctionner les bureaux ou le site Internet, et celles de scope 3 à celles des billets d’avion vendus, ce qui augmenterait considérablement le bilan carbone. Pour une compagnie pétrolière, les émissions de scope 1 et 2 sont celles de l’extraction, et celles de scope 3 sont celles engendrées par l’utilisation de l’essence qu’elle commercialise.
Les enjeux de la taxonomie européenne pour la finance durable
La définition de ce qu’est un investissement vert dépend des méthodologies retenues. Jusqu’à récemment, celles-ci n’étaient pas harmonisées. Or, depuis mars 2021, l’Union Européenne propose une réglementation dite SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui conduit à classer les fonds en fonction de leurs exigences sur certains critères environnementaux. Pour évoquer cette classification, on parle de « taxonomie ». Elle va très rapidement conduire à définir ce qu’est un investissement vert et doit devenir un standard pour la finance. L’Europe n’est d’ailleurs pas la seule à avoir instauré une taxonomie pour la finance verte puisque la Chine le fait déjà.
Derrière ce terme de « taxonomie » se trouve en fait une classification afin d’identifier les activités contribuant à la transition écologique et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, la Commission européenne écrit sur son site que : « l’acte délégué relatif au volet climatique de la taxonomie de l’UE vise à promouvoir les investissements durables en donnant une vision plus claire des activités économiques qui contribuent le plus à la réalisation des objectifs environnementaux de l’UE. » L’Europe s’est engagée à réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.
Laurence Caron Habib, responsable affaires publiques chez BNP Paribas Asset Management (le groupe BNP Paribas est un mécène historique de la Fondation GoodPlanet), définit la taxonomie « comme une sorte de grand dictionnaire d’activités économiques considérées comme vertes ». Laurence Caron Habib a pour mission de suivre les évolutions réglementaires pour les métiers de la gestion d’actifs et, selon elle, la taxonomie environnementale « contribue à l’introduction d’un langage commun qui permet de dire si une entreprise contribue à l’objectif de défense d’une finance durable sur les aspects environnementaux ».
Aurélie Baudhuin, directrice de la recherche ISR (investissement socialement responsable) chez Meeschaert Amilton AM (partenaire de la Fondation GoodPlanet) perçoit la taxonomie comme « une révolution très forte qui va transformer fondamentalement le marché. La taxonomie sera utilisée par les autorités, la BCE, les entreprises et les investisseurs. Elle permet, pour la première fois, de disposer de façon transparente d’informations équivalentes. Ainsi, cela favorisera la comparabilité entre les entreprises et les fonds ».
Aux origines de la taxonomie
En 2018, la Commission européenne décide de faciliter les investissements durables grâce à une réglementation spécifique afin de les identifier et les définir. À partir de là, va naître la taxonomie verte. Actuellement, elle fait l’actualité et débat sur l’intégration, encore sujette à discussion au moment de l’écriture de ces lignes entre les États-membres de l’Union, de certains secteurs de l’énergie comme le gaz ou le nucléaire.
Elle a été élaborée par un groupe de 35 experts venus de la société civile (économistes, membres d’ONG et d’associations, mais aussi financiers, gestionnaires de fonds et membres de banques de développement). Stéphane Voisin, un des 3 Français qui a participé à l’élaboration de la taxonomie, expert en finance durable et membre du conseil scientifique de la Fondation GoodPlanet explique l’importance de la démarche : « cela apporte une grammaire à la finance durable et évite le greenwashing puisque la taxonomie repose sur une base scientifique très détaillée. Pour chaque activité, les experts de la Commission européenne identifient et définissent les seuils qui font qu’une activité peut être considérée comme verte ou pas. Par exemple, pour l’automobile, une voiture est définie comme verte si elle émet moins de 50 grammes de CO2 par kilomètre. » Avec ces seuils, les entreprises ont ainsi des objectifs chiffrés et clairs à atteindre en matière de durabilité. « 50 grammes de CO2 par kilomètre, cela élimine la plupart des moteurs thermiques et certains hybrides. C’est assez sévère », commente l’expert en finance. Pour revenir une seconde à l’automobile, les marges de progression sont énormes et ambitieuses, car, selon l’ADEME, en 2020, un véhicule neuf mis en circulation en France émet en moyenne 97 grammes de CO2 par kilomètre parcouru.
6 domaines d’évaluation de l’impact pour entrer dans la taxonomie
La taxonomie européenne doit aider à mesurer l’impact d’un investissement dans 6 domaines : atténuation du changement climatique, l’adaptation au réchauffement, l’eau et les ressources marines, l’économie circulaire, la prévention de la pollution et la biodiversité. Pour le climat et l’énergie, l’intensité carbone constitue l’un des critères principaux retenus afin de déterminer la durabilité d’une activité.
En 2021, en période post-covid, la taxonomie s’inscrit dans le cadre du Pacte Vert (Green Deal) de l’Union européenne car établir des critères pour définir la finance durable aide ainsi à flécher les décisions d’investissement, ainsi qu’une partie des sommes allouées par l’UE à la relance. « On regarde si chaque activité a une contribution substantielle aux 6 objectifs du Green Deal, sans dommages collatéraux ou préjudices aux autres », résume Stéphane Voisin. Le spécialiste de la finance donne l’exemple « d’un barrage hydroélectrique qui aurait des effets positifs sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre pourrait ne pas être éligible à la taxonomie en raison de son impact sur la biodiversité si sa construction perturbe voire détruit l’écosystème ».
Une taxonomie pour guider les investissements
Disposer d’une telle taxonomie sert de référentiel commun afin de mieux déterminer quelles sont les activités et les investissements durables. Un des moyens mis en avant pour garantir le succès de la transition énergétique réside justement dans la réorientation des flux financiers vers les entreprises en capacité de réduire leur impact ou de proposer des alternatives technologiques aux secteurs polluants. Depuis plusieurs années, cela s’est traduit par un mouvement du désinvestissement, notamment dans les secteurs charbonniers et pétroliers. La taxonomie européenne devrait rentrer en vigueur en 2022 ; elle prévoit que les entreprises présentent des informations relatives à la durabilité de leurs activités, mais elle ne contraint pas les financiers à orienter leurs investissements. « Il n’y a pas d’obligation pour les financiers à investir dans la taxonomie. En revanche, s’ils prétendent investir de façon verte, alors ils sont obligés de respecter la taxonomie », détaille Stéphane Voisin.
La taxonomie vue par les professionnels de la finance
L’arrivée de la taxonomie bouscule le secteur de la finance et se répercute sur les métiers. « La taxonomie constitue une révolution, cela représente quelque chose de très nouveau, qui demande des adaptations significatives pour l’ensemble des acteurs économiques », explique Laurence Caron Habib de BNPP-AM puisque, à partir de 2022, les entreprises devront fournir les informations relatives à leur impact dans les domaines concernés de la taxonomie. « Nous, qui sommes gestionnaires d’actifs, allons collecter cette information pour donner le taux d’alignement de nos produits financiers avec la taxonomie. C’est une obligation réglementaire. Ces informations permettront aux investisseurs d’évaluer si les produits proposés correspondent à leurs objectifs. Nous disposons en interne de notre méthode de scoring ESG [Note de la rédaction : outil d’évaluation de la performance dans la gouvernance environnementale et sociale]. La taxonomie va faire partie des éléments pour définir nos politiques d’investissements », précise-t-elle. De nombreux clients ont fait part de leurs questions sur cette transformation en cours de la finance et les acteurs du secteur s’accordent à dire qu’un important travail de pédagogie sur le sujet reste à entreprendre car, selon Laurence Caron-Habib, le sujet reste « extrêmement compliqué à ce jour ».
Même si la taxonomie reste encore un sujet d’initiés, le grand public devrait progressivement se l’approprier. « Je pense que l’information sur ce qu’est la taxonomie n’est pas encore connue de tous. Les particuliers sont beaucoup moins au fait que les professionnels, c’est normal. Mais, à partir de 2022, l’évolution réglementaire va conduire à ce que chaque client particulier soit amené à se manifester sur ses préférences en matière de durabilité dans le questionnaire de connaissances client KYC [Note de la rédaction : KYC pour Know your customers, autrement dit en français, connaissez vos clients], en plus de sa connaissance des marchés financiers et de son appétence aux risques », explique Aurélie Baudhuin de chez Meeschaert Amilton AM. Elle pense que « cela va apporter un changement de paradigmes puisqu’aujourd’hui seule une minorité de clients déjà sensibilisés demandent à leur banquier d’intégrer les critères environnementaux et sociaux dans leurs décisions d’investissements. »
Une taxonomie qui doit encore faire ses preuves
« Sur beaucoup d’activités, la taxonomie se montre très exigeante. De fait, actuellement, peu de fonds verts peuvent y prétendre, 30 à 40 %. Il y a peu d’actifs éligibles à l’investissement taxonomique vert. Le risque d’une concentration des capitaux sur ces actifs est fort, ce qui peut générer une bulle verte, ce qu’on veut éviter », ajoute Stéphane Voisin. Les critiques de la taxonomie sont multiples : trop restrictive, peu d’entreprises peuvent y prétendre actuellement et l’inclusion de certains secteurs comme le gaz, le nucléaire ou l’hydrogène demeure en discussion et sujet à controverse.
L’étude des fonds verts européens par Novethic coïncide justement avec l’entrée en vigueur de la taxonomie européenne. « L’entrée en vigueur de la réglementation SFDR en mars 2021 a conduit à la classification par les sociétés de gestion de leur offre de fonds durables selon leur degré d’exigence. Au 30 juin 2021, un gros tiers de l’offre des 381 fonds verts analysés par Novethic n’avait pas de classement, une proportion équivalente était classée en Article 9, catégorie la plus exigeante, et 20% en Article 8. Cette hétérogénéité reflète la grande disparité de l’offre de fonds verts en Europe qui, pour l’instant, semble peu pressée de s’approprier le nouveau cadre européen sur la finance durable. »
La taxonomie doit encore se déployer, ce qui va prendre quelques années. « Pour 2022, seuls deux objectifs seront présentés, ceux liés à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique », rappelle Aurélie Baudhuin. Elle précise que cette année sera donc celle de « l’apprentissage » puisque les entreprises auront l’obligation réglementaire pour la première année de publier des informations relatives à la taxonomie alors que « le lancement de l’information par les fonds d’investissements se fait la même année. C’est donc une période de transition, de tâtonnement et d’estimations. En revanche, d ’ici la fin 2022, les informations et données concrètes des entreprises auront été remontées et présentées », affirme Aurélie Baudhuin de chez Meeschaert Amilton AM. « Dès 2023/2024, quand la taxonomie aura monté en puissance, on aura alors des informations vraiment intéressantes. »
Antonio Celeste, responsable ESG des fonds indiciels chez Lyxor Asset Management, présent lors de la présentation par Novethic de l’étude sur les « limites des fonds verts européens » dans un live LinkedIn, voit dans la situation actuelle « un alignement des planètes » qui explique les « investissements massifs vers la neutralité carbone » du fait de la prise de conscience climatique dans les opinions. Le succès de la finance verte traduit l’adhésion très large des pays, des entreprises et des consommateurs à l’objectif zéro émission nette. Antonio Celeste estime que la transition se fera sur le choix des entreprises capables de réduire leurs émissions car les investisseurs avalisent des business-models : « c’est un processus darwinien. L’investisseur envoie un signal fort à la société. Etre positionné ou ne pas être positionné aujourd’hui dans une stratégie bas carbone est un choix très important qui a un impact sur le cours boursier ».
Quant à elle, Laurence Caron Habib de BNPP-AM souligne le fait que sur la taxonomie « beaucoup de choses ont été faites et que beaucoup restent encore à faire ». Elle évoque notamment le fait que la Commission européenne envisage de développer d’autres taxonomies dont une extension de la taxonomie environnementale avec l’intégration des activités dommageables à l’environnement et une taxonomie « pour prendre en compte le S de l’ESG, c’est-à-dire la prise en compte de la durabilité selon des « critères sociaux » comme une vie sociale inclusive et un accès à la santé et au logement abordable à titre d’exemple », explique-t-elle. « L’intérêt d’une taxonomie sociale réside dans le fait que les investisseurs soient informés sur ces sujets et puissent faire des choix d’investissement et de financement orientés vers ces problématiques. »
Julien Leprovost
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