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Utiliser l’ADN pour suivre avec précision la trace des animaux dans leur milieu naturel

adn especes milieu

Laurentides, province de Québec, Canada © Yann Arthus-Bertrand

Par Valérie Langlois, Institut national de la recherche scientifique (INRS); Caren Helbing, University of Victoria; Jérôme Dupras, Université du Québec en Outaouais (UQO) et Louis Bernatchez, Université Laval

Le Canada subit une pression croissante de ses citoyen·ne·s et ses groupes écologistes pour équilibrer la protection de l’environnement avec l’exploitation du territoire.

Par exemple, on ne peut plus modifier les habitats essentiels d’espèces en péril au Canada, comme c’est le cas pour la rainette faux-grillon de l’Ouest. Ces contraintes obligent le Canada à équiper les ministères, les provinces, les municipalités, les organismes de conservation de l’environnement, les peuples autochtones et l’industrie avec de nouveaux outils de surveillance de la biodiversité afin qu’ils produisent des données fiables et de qualité.

Il existe peu de techniques rigoureuses et socialement responsables de suivi de la biodiversité. Parmi ces rares techniques, on retrouve la technologie de l’analyse de l’ADN environnemental (ADNe), c’est-à-dire l’analyse du matériel génétique relâché par les organismes dans leur environnement via leurs excréments, écailles, urine, salive, peau, poils, plumes, etc.

De biologiste à détective

À l’image d’un détective qui découvre l’identité d’un meurtrier sur une scène de crime en prélevant un cheveu ou un échantillon de sang, l’ADNe permet d’identifier une espèce présente dans un environnement donné avec une grande précision. En effet, l’ADN de chaque être vivant représente un code à barres qui lui est propre.

En analysant ce code, à partir de matériel génétique laissé derrière lui, il est possible de traquer la présence d’un animal à partir d’un simple échantillon d’eau, de sol, de sédiment, de poussière ou d’air, sans avoir à le manipuler ou à perturber son habitat. L’analyse de l’ADNe comporte ainsi de nombreux avantages pour la gestion et la conservation des espèces. Cette méthode révolutionnaire peut s’avérer plus efficace et moins coûteuse que les méthodes conventionnelles de capture des animaux, par exemple la pêche, ou d’observation visuelle.

C’est à cette fin que le nouveau projet de recherche pancanadien intitulé « iTrackDNA : Génomique de précision non destructive pour le suivi de l’impact environnemental à l’ère du changement climatique mondial » a récemment été financé dans le cadre d’un programme de subvention de Génome Canada, totalisant un investissement de près de 12 millions de dollars. Je codirige ce projet audacieux à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) avec mes collègues Caren Helbing (Université de Victoria), Jérôme Dupras (Université du Québec en Outaouais) et Louis Bernatchez (Université Laval).

Une première norme canadienne d’analyse de l’ADNe

Réalisant les avantages offerts par l’analyse de l’ADNe, les gouvernements fédéral et provinciaux, les peuples autochtones, les consultants en environnement, l’industrie, les exploitants de ressources naturelles et les organisations non gouvernementales (les ONG) font pression pour des investissements en génomique afin de démystifier les « codes à barres » de tous les organismes vivants.

Lorsque le code-barres ADN d’une espèce est identifié, les résultats peuvent être significatifs. Par exemple, des communautés autochtones ont utilisé la technologie de l’ADNe pour connaître la distribution du saumon Coho sur le territoire des Premières Nations Teslin Tlingit Council, Carcross and Tagish, Ta’an Kwäch’än Council, Champagne and Aishihik, and Kwanlin Dün. Cette recherche a permis de démontrer l’applicabilité de l’ADNe pour connaître la répartition des aires de distribution de cette espèce culturellement importante au Yukon.

Toutefois, les outils et procédures actuellement utilisés pour l’analyse de l’ADNe peuvent produire des erreurs, qui se traduisent soit par une absence de détection malgré la présence réelle de l’espèce dans l’écosystème, ou inversement, une détection positive malgré l’absence de l’espèce dans l’écosystème. Lorsqu’elles surviennent, ces erreurs sont commises par les outils d’analyse qui contiennent des failles dans leur conception.

En somme, les nombreux utilisateurs potentiels de la technologie de l’ADNe voudraient des tests d’analyses d’ADNe standardisés, validés en milieu naturel et pertinents pour les espèces animales retrouvées au Canada. Par exemple, ces tests pourraient être développés et optimisés pour les espèces qui revêtent un intérêt particulier, autant du point de vue économique (truite arc-en-ciel), culturel (carcajou) ou environnemental (moule zébrée).

Un caribou dans la nature
Le projet iTrackDNA intègre la détection d’espèces ayant un intérêt culturel pour les peuples autochtones.
Shutterstock

Une méthode d’analyse de l’ADNe standardisée permettrait une plus grande transparence et comparabilité des données. Une meilleure compréhension des facteurs environnementaux affectant la détection de l’ADNe améliorerait également la conception et l’interprétation des tests d’analyse de l’ADNe (la température de l’eau, le débit des rivières, la proximité à des frayères, la présence de contaminants dans l’eau, etc.). Pour pallier ces besoins, l’équipe travaillera à la conception de la première norme canadienne pour l’analyse de l’ADNe ciblé, en collaboration avec l’Association canadienne de normalisation (CSA group).

La détection de l’ADN d’une centaine d’espèces

iTrackDNA mettra au point des outils qui permettront la détection ultra-précise du code-barres ADN de plus de 100 espèces animales qui seront sélectionnées par les différents partenaires du projet, dont 40 choisies par nos partenaires autochtones (Abitibiwinni, Blueberry River, Cris d’Eeyou Istchee, Gitanyow, Blackfoot Confederacy et Haisla).

En outre, le caribou, qui occupe une place culturellement importante pour les peuples autochtones, fera partie de la liste des espèces pour lesquelles un outil de détection sera développé. De cette façon, il deviendra possible de connaître toute l’aire de répartition du caribou au Canada.

En plus de développer de nouveaux outils de génomique de haute précision, l’équipe d’iTrackDNA améliorera l’utilisation de drones spécialisés pour la récolte d’échantillons d’eau pour fin d’analyse de l’ADNe. De plus, iTrackDNA offrira aux professionnels, aux administrateurs et au grand public intéressés par le suivi des espèces animales, des formations sur mesure pour l’analyse et l’interprétation de l’ADNe.

Le projet permettra également le développement d’un logiciel qui permettra de prédire où se trouvent les espèces canadiennes en fonction des caractéristiques clés de chacun des écosystèmes canadiens et comment ces patrons de distribution se modifieront dans un contexte de changement climatique. L’équipe produira également un document d’orientation sur l’intégration de l’analyse de l’ADNe dans les politiques et la réglementation environnementale canadienne.

Des retombées inestimables

Alors que des efforts notables ont été réalisés à plus petite échelle pour résoudre ces problèmes, un effort transnational concerté est nécessaire afin de positionner le Canada comme chef de file en matière d’analyse de l’ADNe. C’est dans cette optique que le nouveau projet de recherche fournira des solutions concrètes et durables qui permettront de contourner les barrières qui font encore entrave à l’utilisation généralisée de l’analyse par ADNe au pays. L’originalité du projet iTrackDNA réside dans son leadership international en génomique et en sciences sociales.

Le projet mènera notamment au développement d’outils de détection des code-barres ADN innovants qui permettront d’intégrer les données environnementales standardisées aux modèles d’évaluation des risques environnementaux de l’industrie et des gouvernements, et ce, dans un futur rapproché.The Conversation

Valérie Langlois, Professor/Professeure titulaire, Institut national de la recherche scientifique (INRS); Caren Helbing, Professor in Biochemistry, University of Victoria; Jérôme Dupras, Associate professor, Université du Québec en Outaouais (UQO) et Louis Bernatchez, Professeur en biologie, Université Laval

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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