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La répartition de la biomasse dans les océans, qui suit une règle immuable depuis toujours, est aujourd’hui cassée dans la partie supérieure du spectre. La preuve que l’Homme n’est pas un prédateur comme les autres, montre une nouvelle étude.
En 1972, les scientifiques ont découvert que la vie océanique suivait une règle mathématique immuable : plus un organisme est de petite taille, plus il est abondant dans l’océan. Le krill par exemple est un milliard de fois plus petit que le thon, mais il est un milliard de fois plus abondant. Et cette règle est incroyablement précise : en analysant des échantillons d’eau prélevés dans l’Atlantique et le Pacifique, Ray Sheldon, un océanologue du Bedford Institute of Oceanography au Canada, a constaté que pour chaque tranche de taille de plancton, on obtient exactement la même biomasse. Dans un litre d’eau par exemple, vous aurez en masse un tiers de plancton entre 1 et 10 micromètres de diamètre, un tiers de plancton entre 10 et 100 micromètres et un tiers entre 100 micromètres et 1 millimètre. La concentration est variable selon la profondeur (il y a moins de biomasse dans les eaux profondes), mais les proportions restent inchangées.
Une règle valable des bactéries jusqu’aux baleines
Il s’avère que cette règle se répète pour tous les animaux marins, depuis la plus simple bactérie jusqu’aux baleines. En 2019, un chercheur russe a même découvert qu’elle s’appliquait aux organismes présents dans le sol. De nombreuses hypothèses ont été avancées pour expliquer ce phénomène, comme le métabolisme, la vitesse de consommation de nourriture et de reproduction ou encore le taux de mortalité, toutes corrélées à la taille des organismes vivants.
« La biomasse des poissons de plus de 10 grammes et des mammifères marins a diminué de 60 %. »
Cette harmonie naturelle est pourtant en train d’être bouleversée, avertit aujourd’hui Eric Galbraith, professeur à l’université McGill à Montréal (Canada). Coauteur d’une étude parue en novembre dans Sciences Advances, le scientifique avance que cette règle n’est plus respectée pour les animaux de très grosse taille. « Les impacts humains semblent avoir considérablement tronqué le tiers supérieur du spectre », explique-t-il. Les chercheurs ont estimé pour la première fois la répartition par taille de la biomasse de 12 grands groupes d’organismes marins sur environ 33.000 points de l’océan mondial. Ils ont ensuite reconstruit ces mêmes données avec ce qu’elles étaient avant le début de la pêche industrielle en 1850. Et le constat est sans appel : si la fameuse règle de répartition reste bien valable pour la grande majorité des cas, elle semble s’être cassée chez les gros poissons et mammifères. « La biomasse des poissons de plus de 10 grammes et des mammifères marins a été réduite d’environ 2 gigatonnes depuis 1850, soit une réduction de 60 %, et les classes de taille les plus importantes semblent avoir connu une réduction de près de 90 % de la biomasse depuis 1800 », décrypte le chercheur. Et le coupable est tout trouvé : la surpêche et la chasse à la baleine.
L’Homme, un prédateur pas comme les autres
« Les humains sont maintenant le principal prédateur de l’écosystème marin, après avoir extrait la plupart des poissons et mammifères prédateurs qui occupaient auparavant les plages supérieures du spectre de taille. Cela soulève la question : les humains jouent-ils aujourd’hui le même rôle que celui joué auparavant par les prédateurs que nous avons éliminés ? Agissons-nous maintenant comme un prédateur fonctionnellement équivalent ? La réponse est clairement non », tranche Eric Galbraith. Il suffit d’ailleurs de comparer la biomasse humaine à celle des gros poissons et mammifères que l’Homme a éliminés pour constater qu’elle reste ridiculement petite.
Les BOFFFF, premières victimes de la surpêche
Le problème, c’est que la pêche vise prioritairement les créatures marines les plus valorisables et les plus faciles à trouver, que les scientifiques surnomment BOFFFF (Big, old, fat, fecund, female, fish – soit gros, âgé, gras, en âge de féconder, femelle et poisson). Cette préférence déstabilise complètement l’équilibre naturel, puisqu’il empêche les espèces de se reproduire correctement. De manière générale, on observe d’ailleurs que les gros animaux sont plus affectés par les activités humaines que les petits, notamment parce qu’ils sont plus sensibles aux modifications de l’écosystème. Ce n’est pas un hasard si les mammouths et la mégafaune préhistorique ont aujourd’hui disparu.
La bonne nouvelle, c’est que si l’Homme fait disparaître les espèces à un rythme accéléré, il a aussi le pouvoir de les protéger. Dans son dernier rapport sur la liste rouge des espèces menacées, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a ainsi noté que quatre espèces de thon sur les sept les plus pêchées sont en voie de rétablissement, grâce à la mise en place de quotas. La population de bisons recommence à augmenter en Europe et une dizaine d’espèces d’oiseaux sont sorties de la catégorie en danger critique d’extinction. Un effort qui reste toutefois une goutte d’eau dans l’océan.
L’activité humaine a « cassé » une des lois fondamentales de la nature
Un article de Céline Deluzarche, retrouvez d’autres articles sur Futura.
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Claude Courty
Ici et maintenant, parce qu’il doit impérativement ne serait-ce que se nourrir, se vêtir, se loger et se soigner, l’être humain plus que tout autre est un consommateur. Et il l’est depuis sa conception jusqu’après sa mort, se doublant d’un producteur dès qu’il est en âge de travailler. Il est ainsi, avant toute autre opinion ou considération, un agent économique au service de la société, mais aux dépens de son environnement. Et plus le nombre de ces agents augmente, plus leurs besoins s’accroissent – outre ceux qu’ils s’inventent toujours plus nombreux –, plus ils produisent, consomment, échangent et s’enrichissent, avec l’aide du progrès scientifique et technique, quelles que soient les conditions du partage de leurs richesses. Qu’il s’agisse de ressources non renouvelables ou de pollution, les atteintes à l’environnement augmentent d’autant et s’ajoutent à celles d’une nature jamais avare de catastrophes inopinées ou cycliques.
Tous les malheurs du monde, que l’homme a la capacité de maîtriser, en découlent et sont aggravés par le caractère incontournablement pyramidal de la société, dû au fait que richesse et pauvreté existent l’une par l’autre, dans leur relativité – sans riches point de pauvres et réciproquement –, et qu’un destin aveugle assigne à chacun, à sa naissance, sa place au sein de cette pyramide sociale, quels que soient les aléas heureux ou malheureux de son existence par la suite et jusqu’à sa mort. En raison de ce caractère pyramidal de notre structure sociale, les pauvres s’y multiplient à une cadence qui est plusieurs fois celle des riches. C’est dans ces conditions, que sous la pression de 220 000 êtres humains qui viennent s’ajouter quotidiennement à la population mondiale, que la pyramide sociale s’atrophie toujours plus et que son sommet s’éloignant incessamment de sa base, les écarts de richesse entre ses occupants se creusent inéluctablement d’autant.