Architecture et écologie : points de vue
par Clément Jeanneau du blog Nourritures terrestres
Cela faisait longtemps que je voulais parler ici d’architecture, pour son rôle essentiel dans la transition écologique. Avec l’envie de dépasser la focalisation sur les seuls matériaux, qu’il s’agisse de matériaux durables ou biosourcés ou des débats sur le béton ou le bois : ces sujets sont importants (et j’y reviendrai une autre fois), mais il y a bien plus à dire. C’est l’objet de ce numéro. L’architecture doit repenser ses pratiques et sa culture, jusqu’à, par exemple, ses modes de rémunération, explique plus bas Christine Leconte, présidente de l’ordre des architectes. Changer son ADN ? Non, plutôt revenir à ses principes originels, à en croire l’architecte Philippe Rahm, qui revient ci-dessous sur les liens historiques entre architecture et climat.
Mais avant de découvrir leurs points de vue, revenons d’abord sur cette nouvelle réjouissante de mars dernier : l’attribution du prix Pritzker 2021 – considéré comme le prix Nobel d’architecture – aux Français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal.
S’ils ont reçu le prix le plus prestigieux au monde en architecture, écrit Isabelle Regnier dans Le Monde, c’est avant tout « pour la philosophie de l’architecture qu’ils ont patiemment développée et mise à l’épreuve du réel, que l’on peut résumer ainsi : dépenser moins – moins d’argent, moins de matériaux, moins de CO2… – pour produire le plus – plus d’espace, plus de plaisir, plus de possibles… ».
« L’architecture des Lacaton-Vassal n’est pas de celles qui font pousser des « waouh ! » ébahis, mais c’est celle qu’on mérite aujourd’hui – celle d’une humanité qui a épuisé les ressources de la planète et qui n’en reste pas moins légitime à vivre libre. Qu’elle s’ancre dans des leçons qu’ils ont apprises au Niger, dans cette idée que la pénurie peut stimuler l’inventivité et la poésie, n’est pas anodin. Qu’elle irrigue, depuis la crise de 2008, toute une mouvance, frugale et poétique, de l’architecture française, ne l’est pas non plus ».
L’un des exemples emblématiques de leur approche est leur projet pour la place Léon-Aucoc, à Bordeaux, en 1996, dans le cadre d’un programme d’embellissement de la ville : « après avoir étudié la place en profondeur, en discutant notamment avec des riverains, ils ont considéré qu’elle était « déjà très belle », « authentique et sans sophistication ».
Ils ont alors réfléchi au terme « embellissement » : « S’agit-il de remplacer un matériau de sol par un autre, un banc en bois par un banc en pierre, au design plus actuel, ou un lampadaire par un autre plus à la mode ? » Au bout du compte, ils ont proposé de ne rien changer, simplement d’améliorer l’entretien des arbres, la propreté, et de légèrement modifier la circulation. »
De son côté, la journaliste spécialisée Maryse Quinton voit dans l’attribution de ce prix un « signal fort : celui d’une architecture moins dispendieuse, plus attentive à ceux à qui elle est destinée et en rupture franche avec les logiques obsolètes de tabula rasa. »
« Refusant systématiquement toute démolition, qu’ils considèrent comme une aberration écologique et économique, ils ont toujours considéré que ce qui était déjà là prévalait ».
« Avec eux, le premier acte consiste d’abord à interroger la commande, quitte à la reformuler totalement et à répondre de la manière qui leur semble la plus juste. Ils transgressent ainsi systématiquement la commande, sortent du cahier des charges. ».
Ainsi à Londres, « en 2016, les Lacaton-Vassal ont concouru pour le déménagement du Museum of London vers le West Smithfield Market. Ils ont proposé de n’utiliser que la moitié du budget alloué (130 millions de livres), considérant qu’il était bien supérieur à la somme nécessaire pour transformer l’ancien marché en espace muséal. Ils ne furent pas lauréats. »
Je terminerai cette introduction par deux citations d’Anne Lacaton :
- « La démolition est une décision de facilité et de court terme. C’est un gaspillage de beaucoup de choses – un gaspillage d’énergie, un gaspillage de matière et un gaspillage d’histoire. De plus, cela a un impact social très négatif. Pour nous, c’est un acte de violence. »
- « Il y a cette folie de détruire, en disant qu’on va remplacer par quelque chose d’exemplaire sur le plan environnemental. Mais c’est trop facile. Si on veut parler de durabilité, il faut partir de l’amont. »
Après cette introduction, voici maintenant deux points de vue d’architectes lus cette année, que je trouve intéressants.
Philippe Rahm : « La finalité même de l’architecture est climatique. L’architecture doit revenir à des principes météorologiques, climatiques et physiques »
Pour l’architecte suisse Philippe Rahm, interrogé en avril par la revue Urbanisme, « les formes urbaines ont une raison climatique ». « Vitruve (Ier siècle av. J.-C.) le dit : l’architecture transforme artificiellement le climat dans ce qu’il a d’inconfortable pour le rendre habitable. Le toit agit contre le soleil, le mur contre le vent et le froid, le tapis contre l’humidité du sol. (…) C’est le climat qui donne les formes et la fonction ».
Les citations ci-dessous viennent de l’interview de Philippe Rham dans la revue Urbanisme.
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Des idées anciennes qui méritent d’être à nouveau suivies
« À la Renaissance, Leon Battista Alberti (1404-1472) explique que si on fait une pièce pour l’hiver, le plafond doit être bas pour contenir l’air chaud ; dans une pièce d’été, il doit au contraire être élevé pour évacuer la chaleur ».
« Pour Viollet-le-Duc (1814-1879), le choix du marbre pour la construction des églises de Rome obéit au besoin de rafraîchir, bien plus qu’à une dimension symbolique. La forme du dôme, par exemple celui de la villa Rotonda d’Andrea Palladio (1508-1580), a été conçue pour évacuer l’air chaud ».
« Ces formes qu’on croit symboliques ont une visée pratique. La sala des palais vénitiens entre le canal et le campo [la place] est un couloir à vent, généré par les différences de température entre l’eau du canal, plus froide la journée et plus chaude la nuit, et celles du campo, plus chaud le jour et plus froid la nuit. On retrouve ce principe dans les villas du sud des États-Unis, avec les dogtrot, ces passages sous les maisons qui les ventilent ».
« Il en va de même des villes. Vitruve explique que Néron a eu tort d’élargir les allées de Rome, alors que la taille des rues avait été calculée pour créer de l’ombre et entraîner le vent dans une bonne proportion ».
Ce type d’idées a été éclipsée par la vision actuelle de l’urbanisme et l’architecture, dans laquelle « on cherche moins à comprendre pourquoi on crée une rue qu’à en connaître le sens. Une rue droite signifie forcément le pouvoir ou l’élégance ». Alors que « ces thèses ont occupé l’urbanisme et l’architecture de 1950 à nos jours », il appelle, face au défi climatique, à revenir à une vision plus matérielle de l’urbanisme et de l’architecture. Il faut revenir à « des principes météorologiques, climatiques et physiques » pour l’architecture.
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Réengager les questions environnementales au cœur de l’urbanisme
« Les postmodernes ont désynchronisé la question esthétique de la question pratique. [Mais] ce mouvement reste un épiphénomène dans l’histoire humaine. »
« Le Paris d’Haussmann a été réalisé pour lutter contre le choléra en ventilant la ville, et non contre les révolutions et les barricades comme on l’a dit. Quand Le Corbusier veut refaire Paris, c’est pour des raisons sanitaires : il veut se battre contre la tuberculose – ce qui n’a d’ailleurs aucun sens puisque la tuberculose ne se balade pas dans l’air, mais c’est sa motivation. »
« Avec le réchauffement climatique, avec la pollution, peut-être même avec le Covid-19, (…) on doit réengager le réel, le climat, la question de l’air, des températures, de la lumière, de l’humidité, de l’eau comme des éléments fondamentaux de l’urbanisme. »
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Une « nouvelle esthétique décorative » poussée par la transition écologique ?
« Il faut isoler ces bâtiments qu’on appelle des passoires thermiques. [Mais] à Paris, on ne peut pas mettre des doudounes aux bâtiments haussmanniens, très mal isolés, car on en perdrait la valeur d’image patrimoniale et touristique ».
« Si on est obligé d’isoler par l’intérieur, on perd 20 cm sur des mètres linéaires, et donc à chaque fois des dizaines de milliers d’euros au prix du m² de l’immobilier à Paris. Il y a pourtant tout un nouveau champ esthétique à réinventer aussi dans ces questions d’aménagement d’intérieur.
C’est ce que j’ai proposé avec l’idée de « style anthropocène », où l’isolation thermique devient une nouvelle sorte de tapisserie ; le pare-vapeur, un genre de papier peint ou de tenture. En réalité, les nouvelles exigences thermiques et écologiques sont en train d’inventer une nouvelle esthétique décorative ».
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Rendre blanches les surfaces minérales horizontales
« L’albédo correspond au pouvoir réfléchissant. Les surfaces horizontales blanches réfléchissent la lumière, les surfaces sombres absorbent la chaleur. Entre le bitume des routes et les toitures, les villes ont des albédos très faibles, sauf dans le sud de l’Europe ou au Yémen. Il faudrait rendre blanches les surfaces minérales horizontales pour éviter cet effet d’îlot de chaleur urbain. (…) Les études les plus abouties publiées dans Nature montrent qu’un toit blanc est bien plus efficace pour diminuer la température qu’un toit planté. »
(NB : c’est ce que propose la jeune entreprise nantaise Aircool dont je suis les avancées depuis sa création : salut amical à son fondateur, Maxime Claval).
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Des résistances dans la profession
« [Longtemps] j’ai mené ce combat de manière un peu solitaire, en suscitant beaucoup d’incompréhension. Ce n’était pas urgent. Aujourd’hui, la dimension climatique devient essentielle. Au départ, la génération actuelle d’enseignants n’était pas attentive à cette dimension ; elle est obligée de se reformer. On a vu certains architectes très en colère contre la norme HQE (haute qualité environnementale), Rudy Ricciotti par exemple, parce qu’elle impose d’isoler le bâtiment et qu’il ne peut plus faire ses structures en béton apparent brut ; il est obligé de les couvrir de mousses. Sa structure mentale est liée à une architecture qui ne peut plus exister parce qu’elle dépense trop d’énergie. Il y a un effort à faire. »
(Source : entretien dans la revue Urbanisme)
Avant de lire le point de vue suivant, petit interlude avec une anecdote racontée par Le Corbusier (Œuvre Complète, 1952-1957), qui fait écho aux propos précédents :
« C’est en pays tempéré, à Paris, que j’ai ressenti les effets inamicaux du soleil à certaines saisons (l’été) derrière un pan de verre. Ce vitrage qui est adorable pendant dix mois devient un ennemi à la canicule. Il fallait donc inventer quelque chose. C’est dans mon atelier privé de la rue Nungesser-et-Coli que j’ai ouvert l’œil sur le brise-soleil, que je les ai imaginés, que je les ai baptisés de ce terme devenu aujourd’hui universel : le brise-soleil. »
Christine Leconte : « Pour une culture de la réparation »
Christine Leconte est architecte-urbaniste et présidente du Conseil national de l’ordre des architectes. En janvier dernier, elle a échangé avec Sylvain Grisot, urbaniste et fondateur de l’agence et du site dixit.net.
Sylvain Grisot développe l’idée, dans ses articles et dans son livre « Manifeste pour un urbanisme circulaire », que « faire la ville est long, et même très long » et qu’en conséquence « la ville de 2030 est déjà là et les trois quarts de celle de 2050 nous entourent déjà. La ville du futur n’est pas à rêver ou à construire, elle est déjà là. Il faut travailler sur l’existant. »
Or il pointe plusieurs paradoxes qui freinent ce travail sur l’existant :
- « Les pratiques professionnelles sont obsolètes car elles sont prévues pour faire du neuf en étalement, alors que « réparer » demande de nouvelles compétences et de nouveaux comportements ».
- « On a industrialisé de façon extrêmement efficace la fabrique de la ville, ce qui limite les interactions entre les postes de travail, alors que, « faire la ville sur la ville » nécessite d’être plus nombreux à travailler au même moment. »
- « Dans certaines écoles d’architecture, on hésite même à construire. Le seul objet respectable devient le bois de palette sur l’espace public en tant qu’éphémère. C’est sans doute un objet très intéressant et légitime, mais on a besoin de beaucoup plus pour gérer les transitions. »
C’est à partir de ce diagnostic qu’il interroge Christine Leconte. Voici les extraits que je retiens de cet entretien. Les citations ci-dessous viennent de Christine Leconte.
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Fabriquer une culture commune de la réparation
« Aujourd’hui, il y a énormément d’architectes, surtout des jeunes, qui ont compris que l’on pouvait faire notre métier en partant de l’existant. Même si cela demande beaucoup d’investissement. Investissement en amont, parce que cela demande beaucoup de travail de réfléchir, alors que ce n’est pas encore valorisé financièrement, mais aussi du temps pour argumenter auprès des maîtres d’ouvrages, des bureaux de contrôle, qui n’ont pas encore cette culture. Fabriquer une culture commune de la réparation serait vraiment nécessaire dans les formations continues des professionnels, mais aussi dans leurs formations initiales. »
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Pour les architectes, une nouvelle façon de travailler…et d’être rémunérés ?
« On va peut-être passer plus de temps à participer, observer, diagnostiquer, réfléchir ensemble, pour ensuite peut-être moins intervenir sur le bâti. Cela questionne beaucoup de choses, même la manière dont on se fait rémunérer. Aujourd’hui, les architectes sont rémunérés au pourcentage du montant des travaux. Alors que, parfois, c’est en enlevant le moins et en rajoutant le moins que l’on fait des projets qui fonctionnent mieux. »
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Investir plus en matière grise qu’en béton
« C’est ce qui nous manque dans la fabrique de la ville. Aujourd’hui, dans la profession d’architecte, on va te présenter au promoteur X ou Y, te demander une étude capacitaire pour telle parcelle, et on doit essayer de la bourrer de logements pour répondre à la volonté du promoteur. On doit tous, parmi les acteurs, faire ce quart de tour un peu obligatoire pour fabriquer cette nouvelle ville. »
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Une évolution nécessaire dans la posture
« Il y a un vrai changement à effectuer sur la façon de faire aussi, car les qualités principales d’un architecte aujourd’hui doivent être l’écoute et l’humilité. Pour faire un bon projet, il faut savoir se mettre autour de la table avec tout le monde et considérer ce qui est déjà [là] ».
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Une évolution nécessaire dans le processus de travail habituel
« Tout cela amène des questions prégnantes : où se positionnent l’architecte et le programmiste [qui intervient en amont] ? A l’école d’architecture, on travaille souvent notre programmation, ce qui n’est plus le cas dans la vie professionnelle. (…) Par exemple, pour des grands processus comme Action Cœur de Ville [plan d’investissement public pour redynamiser les centres des villes moyennes], l’architecte arrive trop tard car lorsqu’il arrive, il y a déjà une opération avec de l’argent en jeu. Il pourrait pourtant participer à la définition du projet collectif. Il y a un vrai besoin de repositionnement des acteurs. »
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Renforcer les liens avec les autres professionnels
« Je pense que les liens avec les paysagistes, les urbanistes ou les architectes des bâtiments de France sont déjà beaucoup plus forts qu’il y a quelques années. On commence aussi à construire des liens avec les architectes-urbanistes de l’État qui ont un rôle important ».
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Une évolution nécessaire des normes
« Aujourd’hui, les normes sont faites pour le neuf, alors que c’est 1 % de la production de la ville. On ne peut absolument pas continuer à travailler avec les mêmes normes dans le neuf et dans la réhabilitation ».
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Les architectes ont une responsabilité
« On a une responsabilité à chaque fois que l’on signe un permis de construire – et ce d’autant plus quand c’est un permis de construire d’un centre commercial dans la pampa. (…) Il faut être capable de dire « Ce sera sans moi ». Cependant, il faut aussi voir l’état de la profession aujourd’hui. 25% de ses membres gagnent moins de 800 euros par mois. On peut demander la responsabilité à tout le monde, mais en ayant conscience de la paupérisation de la profession ».
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Une évolution de la profession : le développement d’architectes « hors profession »
« Il y a aussi quelque chose que l’on ne perçoit pas bien : il y a des architectes qui ne se disent plus architectes. Ils font partie de collectifs qui ont émergé de la transition vers l’urbanisme transitoire et l’accompagnement de diagnostics en marche exploratoire, etc. Ils veulent faire leur métier d’architecte différemment, pour faire bouger les choses. Ils disparaissent de la profession en tant que telle car ils ne sont pas ou plus inscrits à l’ordre des architectes. Il faudrait aussi qu’il y ait une évolution de l’ordre pour savoir se reconnaître entre personnes qui portent les mêmes valeurs et engagements. »
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Une période de transition pour l’architecture
« Je pense que l’on est à un moment de flottement, entre cette fin de XXe siècle et ce début de XXIe siècle… Avec des questionnements sur les nouveaux moyens que l’on va pouvoir apporter, pour les matériaux biosourcés, la réhabilitation, etc. Finalement, c’est un nouveau manifeste d’architecture qu’il faut écrire. On a besoin de réinventer toute une fabrication de la pratique architecturale. »
(Source : entretien sur Dixit.net)
Le mot de la fin
L’architecte finlandais Juhani Pallasmaa en 1991 :
« Aujourd’hui, je n’imagine pour le futur aucune autre perspective souhaitable qu’une forme de vie écologique, dans laquelle l’architecture reviendrait à l’idéal initial du fonctionnalisme, dérivé de la biologie, et se ré-enracinerait dans son substrat culturel et régional. On pourrait l’appeler : Fonctionnalisme écologique.
(…) Ce point de vue implique une tâche paradoxale: rendre l’architecture à la fois plus primitive et plus raffinée. Plus primitive pour répondre aux besoins humains les plus fondamentaux en privilégiant l’économie d’expression ; plus raffinée pour s’adapter aux systèmes naturels en termes de matière et d’énergie.
L’architecture écologique signifie aussi que le bâtiment est un processus plutôt qu’un produit. Elle suppose une conscience renouvelée de la durée – nos responsabilités excèdent le champ de notre existence individuelle. (…) Après les décennies de richesse et d’abondance, nous allons probablement revenir à une esthétique de la nécessité, dans lequel l’utilité et la beauté sont à nouveau réunies. »
(Conférence prononcée au 5e symposium Alvar Aalto, à Jyväskylä, en 1991 – source ici. A noter que le représentant le plus marquant du « fonctionnalisme écologique » est l’architecte australien Glenn Murcutt : pour le découvrir, voir ici ou ici).
Autres réflexions et articles pour compléter
–Une évolution inédite. Les architectes français mettent désormais le dérèglement climatique en tête de leurs préoccupations, selon la dernière étude « Archigraphie » publiée par l’Ordre des architectes. L’évolution est notable : le défi climatique est aujourd’hui cité par 78% d’entre eux, contre 50 % des répondants en 2018.
–Passionnant. « Histoire naturelle de l’architecture : comment le climat, les épidémies et l’énergie ont façonné la ville » : c’est le titre d’une exposition très intéressante qui s’est tenue cette année au Pavillon de l’Arsenal à Paris, fondée sur un livre de l’architecte Philippe Rahm. Je l’ai vu juste avant qu’elle ne se termine, mais bonne nouvelle, vous pouvez retrouver sur le site de l’exposition :
- Un résumé écrit des points principaux qui y étaient présentés
- Le même contenu avec un format plus agréable : 8 courts films d’animation d’1mn15
- La visite guidée de l’exposition en vidéo (1h), par Philippe Rahm
Parmi ce que j’ai découvert :
- La fonction première des arts décoratifs (tapisseries, boiseries, tentures…) était bien plus l’isolation que la décoration.
- L’entrée des légumineuses dans l’alimentation humaine, avec leur haute teneur en protéines, a été un facteur décisif pour fournir la force musculaire permettant d’élever les cathédrales.
- En 1815, l’éruption du volcan Tambora en Indonésie projette dans la stratosphère un voile de poussière qui va diminuer le rayonnement solaire pendant plusieurs années, déstabiliser le climat mondial (baisse des températures de 2 °C), entraîner une mutation redoutable du germe du choléra, et finalement façonner de ce fait la forme des villes modernes.
–A surveiller. Un article publié dans « The Architect’s Newspaper » montre qu’aux Etats-Unis, certains programmes accordent des labels “verts” à des travaux d’architectes cochant des critères de résilience (notamment face aux inondations et aux tempêtes) en lieu et place de critères bas carbone. Un exemple qui illustre le problème : des équipements d’autosuffisance, comme des groupes électrogènes de secours qui n’ont rien d’écologiques (quand bien même ils peuvent être nécessaires), aident des travaux d’architectes à obtenir un label “vert”. Un immeuble de bureaux à San Juan a ainsi obtenu une note environnementale « Platine » parce qu’il est équipé de dispositifs pour réduire sa dépendance aux services publics.
Certains architectes interrogés justifient ces pratiques ainsi : « La lutte contre le changement climatique, on n’y arrivera pas. Il est trop tard pour faire autre chose que nous protéger contre les forces naturelles déjà enclenchées »…
–Controverses. A l’été 2020, l’architecte Erik Mootz a lancé un pavé dans la mare en dénonçant le « coût environnemental » de la stratégie française de rénovation énergétique des bâtiments. Dans une tribune au Monde, très partagée, il écrit : « Au nom de l’environnement, nous saturons nos façades de produits émissifs », « dérivés du pétrole, d’aluminium, de colles, de mousses polyuréthanes et de produits miniers » . Il affirme qu’« il faut cent fois plus d’opérations de transformation industrielle pour fabriquer la façade d’un bâtiment moderne – répondant aux normes environnementales – que pour construire un bâtiment de la fin du XIXe siècle ». En conséquence, « nos bâtiments sont obèses quand l’urgence climatique exige une architecture ascétique ».
Cela dit, ses arguments sont loin de faire consensus. L’architecte Guillaume Meunier a publié une réponse à un texte qu’il juge « truffé d’inexactitudes et d’approximations ». De même, Bruno Peuportier, directeur de recherche à MinesParistech, a apporté un contre-éclairage plus scientifique (extrait : « Dans le climat de l’Ile-de-France, isoler le mur d’un bâtiment chauffé au gaz avec 10 cm d’isolant économise 200 fois plus de CO2 que ce qui a été émis pour fabriquer cet isolant »). Cependant, comme toujours dans ces cas de figure, ces réponses ont eu nettement moins d’échos que le texte initial…
–Attention aux discours hors-sol. Pour finir ce numéro (qui est très loin d’épuiser le sujet !), un mot de contexte. Gare à ne pas raisonner en dehors des réalités du terrain : une partie de la profession connaît des fragilités économiques et un mal-être qui ne peuvent pas être négligés. Si la transition écologique apparaît justement comme une opportunité de réinvention, en permettant de revaloriser le savoir-faire des architectes, il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, un certain nombre d’agences et d’architectes sont contraintes d’accepter des projets « alimentaires » pour vivre. La responsabilité doit porter sur toute la chaîne (clients, maîtres d’œuvres, etc.).
–Pour la suite, si le sujet vous intéresse, je vous recommande un profil à suivre, sur Linkedin : Guillaume Meunier. Retrouvez ici l’index de ses différents posts et articles déjà parus, très intéressants.
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2 commentaires
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dany voltzenlogel
J’ai très rarement découvert un article aussi intéressant, passionnant et réaliste.
Il devrait être lu au premier jour de formation en école d’architecture.
Rien de neuf mais que du sensé.
Céline Mercier
J’ai très rarement lu un article aussi clair, passionnant, réaliste et courageux ! Il devrait être lu par tous les acteurs et futurs acteurs autour de la ville.