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La crise du Covid-19 ouvre-t-elle la voie à une mondialisation moins débridée ?

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Chine © Yann Arthus-Bertrand

La part des Français qui estiment que la mondialisation constitue une menace pour la France est passée de 49 % en 2017 à 60 % en septembre 2020.
Jernej Furman / Flickr, CC BY-SA

Isabelle Bensidoun, CEPII et Jézabel Couppey-Soubeyran, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Isabelle Bensidoun, co-auteure de « La folle histoire de la mondialisation » (Éditions Les Arènes) et adjointe au directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), détaille l’impact du choc sanitaire sur la dynamique de la mondialisation après quasiment deux ans de crise. Elle répond aux questions de Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences en économie (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).


La crise sanitaire a fait prendre conscience des vulnérabilités que nos interdépendances occasionnent. Cela va-t-il changer le cours de la mondialisation ?

Lorsque la crise du Covid est venue braquer le projecteur sur notre dépendance pour des produits essentiels comme les médicaments ou les masques, que nos libertés et notre santé ont été percutées lorsque ces produits ont commencé à manquer, les interdépendances qui étaient autrefois louées sont effectivement apparues comme des sources de vulnérabilités à corriger.

D’ailleurs, la défiance à l’égard de la mondialisation s’est fortement accrue : la part des Français qui estiment que la mondialisation constitue une menace pour la France est passée de 49 % en 2017 à 60 % en septembre 2020, et 65 % considèrent désormais que la France devrait se protéger davantage, contre 53 % en 2017.

Mais le cours de la mondialisation avait déjà changé avant la crise sanitaire.

À l’hypermondialisation, qui régnait dans les années 1990 et 2000, avait succédé depuis la crise financière de 2007-2009 une période que l’on qualifie de « moudialisation » : une période où la dynamique des flux commerciaux et surtout financiers a marqué le pas, comme le montre l’indicateur du taux d’ouverture dans le graphique ci-dessous. Les certitudes quant aux bienfaits de la mondialisation avaient aussi été déjà bousculées.

Ainsi en est-il de l’idée que les pertes d’emploi dans l’industrie étaient avant tout causées par le progrès technique plutôt que par le commerce. À cet égard, en montrant que les importations en provenance de Chine étaient responsables d’une part non négligeable des emplois détruits dans l’industrie américaine et que ces effets étaient durables, les travaux de l’économiste américain David Autor et ses co-auteurs ont sérieusement changé la donne.

Ensuite, les inégalités, qui pendant longtemps étaient considérées comme secondaires par rapport à la pauvreté, sont devenues un sujet de préoccupation pour les organisations internationales. Une évolution bienvenue, car si la mondialisation s’est traduite par une chute de la pauvreté dans le monde, elle s’est aussi accompagnée d’un accroissement des inégalités dans de nombreux pays.

Quant à la présidence de Donald Trump aux États-Unis, elle a sérieusement secoué l’approche libre-échangiste en n’y allant pas de main morte avec le protectionnisme. Le Brexit, tout comme la montée des votes populistes, a également souligné que la libéralisation commerciale était désormais perçue comme mettant en péril la souveraineté nationale et que la mondialisation n’avait pas été heureuse pour tout le monde.

Si les années 2010 ont vu l’hypermondialisation s’interrompre et que la crise actuelle accentue la perception des fragilités que la mondialisation produit, est-ce à dire que l’on entre dans une nouvelle ère de la mondialisation, moins débridée, plus encadrée ?

Assurément. Car la mondialisation est avant tout la résultante de choix politiques qui vont soit la stimuler, comme à partir du début des années 1980 lorsque s’est imposée l’idée qu’il n’y avait pas d’alternative à une libéralisation toujours plus poussée des flux commerciaux et financiers, soit, au contraire, l’encadrer.

Or, il me semble que le choix politique penche aujourd’hui vers plus d’encadrement ou, pour le dire autrement, que l’ordre des priorités est en train de changer. L’ouverture n’est plus considérée comme une fin en soi et plusieurs changements sont perceptibles.

D’abord, la refonte au niveau international de la fiscalité des entreprises multinationales, sur laquelle l’OCDE travaillait depuis qu’elle avait été mandatée par le G20 en 2013, a finalement aboutie.

Avec l’accord sur la taxation des multinationales signé en octobre 2021, les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales, qui occasionnent des pertes annuelles de recettes budgétaires estimées à au moins 245 milliards de dollars au niveau mondial, pourraient bien prendre du plomb dans l’aile. L’un des moteurs de la mondialisation financière pourrait ainsi se trouver sérieusement grippé.

Ensuite, les politiques industrielles, largement décriées jusqu’il y a peu, reviennent sur le devant de la scène pour assurer souveraineté économique, autonomie stratégique et transition écologique.

Enfin, la pandémie a pu agir comme un accélérateur de changement face à l’urgence climatique. Parce qu’elle est venue souligner le dérèglement de nos rapports à la nature et nous rappeler notre vulnérabilité, elle a provoqué un tournant dans la prise de conscience qu’il fallait sauver le climat. Aussi, pour pouvoir mettre en œuvre des politiques climatiques ambitieuses, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a été proposé par l’Union européenne en juillet 2021, et le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni pourraient lui emboîter le pas.

Sur quoi tout cela pourrait-il déboucher ?

Il est encore trop tôt pour le savoir, mais on est clairement dans un nouveau moment de la mondialisation : celui où le consensus de Washington, qui privilégiait privatisations, libéralisation, moins d’État en quelque sorte, vacille.

En juin 2021, le groupe d’experts du G7 a recommandé de le remplacer par le consensus de Cornwell, fondé au contraire sur un renforcement du rôle des États pour atteindre des objectifs sociétaux, renforcer la solidarité internationale et réformer la gouvernance mondiale dans l’intérêt du bien commun. Une approche bien différente de celle qui prévalait jusque-là, mais qui ne pourra vraiment se concrétiser que si la volonté politique est au rendez-vous.

Pour le moment, pas de déclarations fracassantes en ce sens ! La campagne présidentielle mériterait pourtant de placer ces sujets au cœur des débats. Car ce sont bien les engagements qui seront pris en la matière qui dessineront les contours de la mondialisation de demain et la place que la France y occupera.


Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne » un partenariat CEPII – The Conversation.The Conversation

Isabelle Bensidoun, Adjointe au directeur, CEPII et Jézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Cet article est republié à partir de © The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original

 

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