Ce lundi 28 février, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publie son dernier rapport consacré aux conséquences du changement climatique sur la nature et les sociétés humaines. Il porte sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité de la planète face au réchauffement climatique. Alors que sa réalité ne fait plus aucun doute et qu’elle se manifeste de plus en plus au quotidien, les scientifiques du Giec délivrent un message très clair : tout le monde est concerné et les solutions existent afin de maintenir le réchauffement sous le seuil de 1,5°C prévu dans l’Accord de Paris tout en s’adaptant aux évolutions du climat. Or, l’humanité est déjà à 1,1 degré de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, le temps presse donc pour d’importants changements. Les scientifiques du Giec écrivent ainsi que « le changement climatique affecte partout la nature, la vie des gens et les infrastructures. Ses impacts grandissant et menaçant deviennent de plus en plus évidents dans toutes les régions du monde. »
« Ce rapport est un avertissement urgent à prendre au sérieux sur les conséquences de l’inaction », résume Hoesung Lee, président du Giec « Il montre que le changement climatique est une menace grave et croissante pour nous et la planète. Les actions que nous entreprenons maintenant décideront de la manière dont les populations s’adapteront et de la réponse de la nature à l’augmentation des risques climatiques. » Le rapport de plusieurs centaines de pages a mobilisé 270 auteurs issus de 67 pays. Le document passe en revue la littérature scientifique sur le sujet et met en lumière les relations fortes entre le climat, la biodiversité et la subsistance de l’espèce humaine. Il alerte sur l’augmentation des vagues de chaleur, sur les sécheresses, sur leurs conséquences sur l’accès à l’eau, sur les effets des modifications du climat sur la production agricole. Le rapport porte aussi sur les répercussions sanitaires et économiques tout en mettant en avant des solutions dites d’adaptation et en en plaidant en faveur du développement résilient au changement climatique.
L’impact du réchauffement sur les générations actuelles et futures
Il ressort des travaux du Giec qu’aujourd’hui 3,6 milliards de personnes sont considérées comme très vulnérables au changement climatique, soit un peu moins de la moitié de l’humanité. Actuellement, 30 % de la population mondiale est exposée à une chaleur présentant un risque mortel pour la santé, cette proportion pourrait atteindre 76 % de la population mondiale d’ici la fin du siècle. En effet, le dernier rapport du Giec se projette à court (2040) ; moyen (2060/2080) et long terme (2100) en rappelant que ces 3 échéances ne sont plus des horizons abstraits. Les enfants nés durant la décennie 2020 verront les répercussions du réchauffement, une partie d’entre eux seront encore de ce monde dans 80 ans. Une manière de rappeler aux décideurs qu’il ne faut pas répéter les erreurs passées, notamment celle de ne pas assez prendre en compte le discours des scientifiques. Puisque rappelle Wolfgang Cramer, directeur de recherches du CNRS et auteur du Giec : « ce qu’on présentait comme des risques il y a une douzaine d’années sont maintenant des faits avérés observables. L’adaptation va se heurter à des limites dures s’il n’y a pas un engagement fort dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. »
Delphine Deryng, chercheuse invitée à l’Université de Humboldt, Berlin, experte des impacts climatiques et de l’adaptation des systèmes alimentaires également auteure du rapport, abonde : « le message fort du rapport est qu’avec les mesures d’atténuation du changement climatique, l’adaptation se montre nécessaire. Mais nos efforts ne sont pas suffisants. Il faut tripler nos efforts dans ce sens. »
Les impacts sur la biodiversité
« La biodiversité est centrale », explique Wolfgang Cramer. La hausse des températures va affecter l’ensemble des êtres vivants sur Terre. Dans un monde à 2°C, 18 % des espèces terrestres sont menacées d’extinction. Et, dans l’hypothèse d’un monde à 5°C, c’est la moitié du vivant tel que nous le connaissons actuellement qui fait face à un grave risque d’extinction. Les espèces animales comme végétales, enfin celles qui le pourront, seront conduites à migrer en altitude pour échapper à la chaleur ou en profondeur pour les espèces aquatiques.
L’une des nouveautés de ce dernier rapport du Giec est de mettre en avant les liens forts entre la biodiversité et le climat. Cependant, la biodiversité est aussi menacée par d’autres activités humaines comme la surpêche, la déforestation, les pollutions ou encore l’agriculture. Autant de menaces qui s’ajoutent aux risques climatiques et mettent en péril le rôle du vivant dans la préservation des équilibres climatiques de la planète. Une trop grande dégradation des écosystèmes risquerait de les empêcher de capter des gaz à effet de serre et de stocker du carbone, ce que les végétaux et les océans font naturellement. Voire si les écosystèmes étaient fortement dégradés d’émettre des gaz à effet de serre au lieu de les stocker, accélérant ainsi le réchauffement. C’est pourquoi la protection de 30 % à 50 % des écosystèmes terrestres constitue d’ailleurs une des mesures les plus fortes en faveur de l’adaptation proposée par le rapport.
Néanmoins, le Giec estime que « compter seulement sur la nature ne sera pas suffisant » et qu’il faut aller vers un modèle de résilience climatique qui passe par « une réduction drastique des émissions humaines de gaz à effet de serre » et « une transformation des modes de vies » afin « de mettre les sociétés humaines sur le chemin du développement durable ».
L’impact sur l’agriculture et les ressources en eau
« Certaines régions risquent de devenir incultivables », avertit Delphine Deryng. « Dans le secteur agricole, on propose des mesures résilientes comme changer les cultures pour s’adapter et réduire les émissions du secteur. »
Selon le rapport, même avec un réchauffement maîtrisé aux ambitions de l’Accord de Paris, 8 % des terres agricoles mondiales ne seront plus cultivables. De plus, un monde plus chaud rend plus difficile la culture des aliments, ainsi que leur transport et leur conservation. Le Giec alerte aussi sur les difficultés d’accès à l’eau et les pertes de rendements agricoles. Le rapport consacre un chapitre à l’agroécologie afin d’explorer les solutions existantes qui concilient l’impératif de nourrir le monde et celui de préserver le climat.
Les impacts et l’adaptation en Europe et en France
La France et l’Europe font face à des risques climatiques importants pour leur production agricole. Les vagues de chaleur menacent la santé de la population, notamment les personnes habitant dans les villes. La biodiversité risque aussi de fortement souffrir. Et la région fait face aux risques d’inondations fluviales et marines.
[À lire aussi Ce que dit le rapport du Giec sur l’avenir climatique de l’Europe]
Selon Gonéri Le Cozannet, chercheur au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), spécialisé sur les impacts du changement climatique sur les risques côtiers et co-auteur du rapport du Giec, « le changement climatique est déjà perceptible en Europe. L’adaptation progresse en Europe, mais demeure insuffisante. La France a mis en place beaucoup d’actions pour préparer l’adaptation, mais se montre peu efficace pour les implémenter. Par exemple, la France se base sur un scénario d’élévation du niveau des mers de 60 centimètres tandis que le Royaume-Unis et les Pays-Bas tablent sur une hausse de 1 mètre. » Il souligne que construire des digues risque de poser problème à terme puisque ces infrastructures dégradent l’environnement marin. Les scientifiques parlent alors de « maladaptation », il s’agit de fausses bonnes solutions, comme la climatisation. Cette dernière entraîne par exemple une hausse des émissions de gaz à effet de serre si l’énergie dont elle dépend n’est pas décarbonée. De plus, une augmentation de la demande en énergie s’avère d’autant moins durable que le manque d’eau risque d’affecter la production d’électricité dans le sud de l’Europe.
« Ce nouveau rapport apporte beaucoup plus de détails au niveau des régions », affirme Wolfgang Cramer. Le rapport du Giec propose de s’attarder davantage sur les répercussions du réchauffement au niveau régional en proposant notamment une liste des freins à l’adaptation. Pour l’Europe, le manque de sentiment d’urgence face à la crise climatique ainsi que l’absence de leadership sur le sujet, le faible engagement de la société civile et des acteurs économiques et financiers auxquels s’ajoutent le fait qu’il est difficile de transformer en profondeur tout un réseau déjà existant d’infrastructures. En Amérique, c’est la désinformation sur le climat qui est mis en cause.
Un futur basé sur le développement résilient au changement climatique
Toutes ces répercussions du réchauffement en cours sur les sociétés humaines exposées dans le rapport du GIEC soulèvent aussi des questions de sécurité et de santé. François Gemenne, spécialiste des relations internationales et du climat, explique que le GIEC a du mal à s’en saisir. Il déplore l’absence d’un chapitre à part entière consacré aux migrations. Car : « « le i de GIEC veut dire intergouvernemental, pas international, ce qui signifie que ce sont les gouvernements qui décident des sujets abordés. Dès que le réchauffement touche à des questions sensibles, certains pays ne veulent pas qu’on aborde ce type de sujets. C’est pour cela que le rapport du GIEC ne peut pas dire grand-chose sur la sécurité et les migrations. Il faut bien comprendre que les études sur ces sujets existent mais que des États se montrent réticents à en parler. »
Cependant, les auteurs du rapport concluent que « la conscience des risques climatiques présents et à venir a progressé au niveau mondial » et notent que « 170 pays prennent désormais en compte l’adaptation dans leur politique climatique. » Ils rappellent aussi qu’il faut continuer d’en faire davantage, car plus le temps passe plus les possibilités d’adaptation se restreignent. Or, elles dépendent des limites biophysiques de la nature et des populations humaines.[2] Le rapport accorde donc une importance toute particulière à la notion de développement résilient au changement climatique et aux objectifs de développement durable. Gonéri Le Cozannet, auteur du Giec, synthétise en 1 phrase l’enjeu : « le rapport montre que s’adapter est possible à condition de limiter le réchauffement à 1,5°C. Tout délai supplémentaire pour atténuer et s’adapter au changement climatique compromet l’avenir ». L’enjeu est de taille, car, selon Wolfgang Cramer, « au-delà de 1,5 degré, la probabilité de dépasser un point de bascule augmente avec chaque dixième de degré en plus ».
En avril 2022, le Giec sortira le dernier volet de son 6e rapport qui mettra l’accent sur les solutions et les technologies pour lutter contre le réchauffement climatique, que ce soit pour l’atténuer, c’est-à-dire réduire les émissions de gaz à effet de serre ou pour s’y adapter.
Julien Leprovost
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et tous les éléments du dernier rapport du Giec ARWG2 Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability (en anglais pour le moment)
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5 commentaires
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Samuel
Dommage qu’il faille se battre pour trouver le lien vers le rapport original, y compris sur le site du Giec:
https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/
Julien
Merci, on vient en effet d’ajouter le lien direct.
Bien à vous
La rédaction
Claude Courty
Rien de sérieux n’a encore été fait ni ne se fera, sans prendre en compte la dimension démographique planétaire du problème.
Ici et maintenant, parce qu’il doit impérativement ne serait-ce que se nourrir, se vêtir, se loger et se soigner, l’être humain plus que tout autre est un consommateur. Et il l’est depuis sa conception jusqu’après sa mort, se doublant d’un producteur dès qu’il est en âge de travailler. Il est ainsi, avant toute autre opinion ou considération, un agent économique au service de la société, mais aux dépens de son environnement. Et plus le nombre de ces agents augmente, plus leurs besoins s’accroissent – outre ceux qu’ils s’inventent toujours plus nombreux –, plus ils produisent, consomment, échangent et s’enrichissent, avec l’aide du progrès scientifique et technique, quelles que soient les conditions du partage de leurs richesses. Qu’il s’agisse de ressources non renouvelables ou de pollution, les atteintes à l’environnement augmentent d’autant et s’ajoutent à celles d’une nature jamais avare de catastrophes inopinées ou cycliques.
Roger Kantin
En 2022, les problèmes liés aux pollutions que notre planète subit sont loin d’être résolus. Les particules de plastique et les perturbateurs endocriniens en sont des exemples. Leurs conséquences sur l’environnement et la santé sont tellement complexes, imprévisibles, délétères que, même si on stoppait immédiatement tous les rejets de contaminants dans l’air, l’eau et les sols, ils perdureraient des dizaines, voire des centaines d’années, sans parler du devenir des déchets radioactifs. Et le déclin de la biodiversité – ces animaux, végétaux, microorganismes qui assurent l’équilibre de la planète – qu’il soit dû à la pollution ou aux conséquences du réchauffement climatique, menace l’humanité toute entière.
Nous vivons actuellement dans une période qualifiée d’interglaciaire. Il y a seulement vingt mille ans, au plus fort de la dernière glaciation, une épaisseur de glace de plus d’un kilomètre recouvrait une bonne partie des zones tempérées actuelles. Mais des transitions climatiques qui se passaient auparavant sur des milliers d’années sont accélérées par la présence de l’homme « moderne », et nos enfants ainsi que leurs descendants devront vivre avec ces changements précipités. Tout s’accélère et ce sera à nous de nous adapter aux caprices de la Terre et non pas à la Terre de s’adapter à nos caprices. Des solutions existent. Des technologies aussi. Reste la volonté de les mettre en œuvre, de s’en donner les moyens et, pour cela, il est urgent de se défaire de programmations mentales erronées pour s’entrouvrir à une métamorphose des consciences.
Claude Courty
« plus le temps passe plus les possibilités d’adaptation se restreignent. Or, elles dépendent des limites biophysiques de la nature et des populations humaines.»
Par conséquent, rien ne sera suffisant, sans inscrire aux ordres du jour la dimension démographique de nos problèmes.
Pourquoi ne pas le proclamer clairement ?
Est-ce par respect de l’interdicton qui en a été faite par le Vatican, dès le premier sommet de Rio, et qui perdure depuis ?