Gilles Bœuf défend l’idée que l’écologie soit une matière à l’école : « comprendre qu’il faut s’occuper de l’environnement est aussi important que d’apprendre le français ou à compter »

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Photo d'illustration : un professeur et ses élèves lors d'un cours en pleine nature à Clave. © Sebastien SALOM-GOMIS / AFP

À l’occasion des élections présidentielles et législatives de 2022, l’association Water Family propose que l’écologie devienne une matière principale à l’école. L’idée a plu au scientifique Gilles Bœuf (ancien directeur du Museum National d’Histoire Naturelle). L’opportunité pour nous de poursuivre notre série d’articles consacrés aux enjeux écologiques de cette élection en nous entretenant avec Gilles Bœuf sur l’éducation à l’écologie et la place de la science dans la société. Dans la continuité des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat en faveur de l’éducation à l’écologie, Water Family propose donc de faire de l’écologie une matière à part entière et centrale. L’association, dont le projet est soutenu par Gilles Bœuf, affirme que « moins de 1 lycéen sur 3 dispose d’un socle de connaissances approfondies sur l’écologie et le changement climatique. Les constats scientifiques donnent moins de 10 ans pour changer les modes de vie ». Water Family propose un manifeste et une pétition.

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L’écologue Gilles Boeuf © AFP PHOTO / JACQUES DEMARTHON (Photo by JACQUES DEMARTHON / AFP

Pourquoi soutenir Water Family dans son appel aux candidats à la présidentielle pour instaurer l’écologie comme matière principale à l’école ?

Je suis d’abord un scientifique écologue et je trouve que l’idée de Water Family est très bonne car l’écologie n’est pas assez, voire pas du tout, enseignée en France. De plus, la période actuelle ne favorise pas l’enseignement des sciences de la vie et de la terre, alors qu’elles sont nécessaires pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Je soutiens d’autant plus cette initiative que depuis 2 ans, avec le Covid, on entend que des opinions, or la science n’est pas une opinion. Il faut ramener dans le crâne de nos concitoyens, de l’école maternelle à l’École Nationale d’Administrations en passant par les collèges, les universités et les écoles d’ingénieurs que l’écologie est la plus belle des sciences car elle tisse des relations entre tous les êtres vivants et leur milieu.

« L’écologie est la plus belle des sciences car elle tisse des relations entre tous les êtres vivants et leur milieu.« 

Concrètement, comment imaginez-vous cette éducation à l’environnement ?

Il faut mettre l’écologie à l’honneur en expliquant aux enfants, dès leur plus jeune âge, qu’ils font partie du vivant. Ils sont eux aussi une construction biologique. Il faut leur faire comprendre qu’ils sont plein de bactéries, qu’ils ne mangent que de la biologie et qu’ils coopèrent avec de la biologie. C’est normal d’avoir des acariens dans son lit le matin ou des bactéries sur soi, dans la bouche ou les cheveux, sans eux, on serait malade.

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Il faut amener de la connaissance scientifique, montrer des images, expliquer, afin d’aller vers l’harmonisation de l’humain avec son milieu. Il faut montrer aux élèves un champ, ce qu’est un sol vivant ou encore une goutte d’eau de mer comme nous l’avons fait avec Tara. Il faut faire comprendre que l’humain ne peut pas vivre sans l’environnement. À force de parler de l’humain vivant, on en oublie le non-vivant humain qui est pourtant essentiel.

Quels atouts une telle éducation peut donner à la jeunesse afin de mieux s’engager en faveur de l’écologie ?

Elle peut leur donner l’émerveillement. Le vivant et l’environnement ne sont certes pas parfaits, mais ils sont géniaux. Ils émerveillent sans cesse. Si on ne donne pas d’émerveillement à nos enfants, alors ils n’auront pas envie de l’avenir qu’on leur propose. En plus, on leur parle de sujets qui les plombent complétement comme la nécessité de remettre de la vie dans les sols pour nourrir 8 milliards d’êtres humains ou encore le fait que continuer à abimer les océans rend impossible la survie de l’humanité. Comprendre qu’il faut s’occuper de l’environnement est aussi important, pour moi, que d’apprendre le français ou à compter. La beauté de la nature est un allié important dans cette prise de conscience.

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Est-ce réaliste dans un pays comme la France où 80 % de la population vit en ville ? et se trouve de fait éloigné des espaces naturels et du vivant ?

La nature est la principale chose à regarder. Justement, les gens s’en sont éloignés, ils en crèvent et on en crève. Aujourd’hui, on ne pense même pas qu’on est vivant. On s’en rappelle quand on souffre ou quand on est malade. Il faut changer tout ça en acceptant l’idée que l’humain fait partie du vivant, ce qui est merveilleux et fantastique. Même les entrepreneurs commencent maintenant à comprendre que la préservation du vivant est un sujet important.

« Mettre l’écologie à l’honneur en expliquant aux enfants, dès leur plus jeune âge, qu’ils font partie du vivant. »

Est-ce aussi un moyen de redonner plus de place aux sciences dans les enseignements ?

Tout à fait. En ce moment, l’enseignement des sciences de la vie et de la terre est massacré au lycée. La biologie est devenue une option en Terminale. Il ne s’agit pas seulement de connaissances mais aussi de moyens de développer l’esprit critique surtout dans une époque où les fake news abondent. Jamais, sans connaissances en biologie, nos enfants seront en mesure de prendre à bras le corps les défis du changement climatique et de l’effondrement du vivant. 

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Notre époque est plus que jamais marquée par l’omniprésence de la science dans les technologies que nous utilisons au quotidien, comment percevez-vous la place très faible accordée à la science dans les débats électoraux ?

Je suis affligé d’autant plus que la science n’est pas une opinion. Cependant, les candidats se basent sur des opinons plutôt que la science.  Sur les 12 candidats, je pense qu’à peine 2 d’entre eux ont dû lire les rapports du Giec. Dans le débat, s’il y en a, la science est souvent résumée aux mathématiques. Or, l’écologie n’est pas une discipline en silo, il faut de tout pour faire de l’écologie : de la bio, de la physique, des maths, même des sciences sociales et humaines comme de la géographie, de l’anthropologie voire même un peu de philosophie. L’écologie réunit toutes les disciplines. L’écologie est une science transversale, ce à quoi l’école française n’est pas encore suffisamment préparée ni ne prépare suffisamment. De fait, l’écologie ne doit pas être l’apanage des écolos. Tous les partis doivent s’en saisir car c’est la science de la réintégration de l’humain avec le monde qui l’entoure. On arrêterait ainsi de dire des bêtises comme il faut sauver la planète. La planète, elle s’en fiche, ce qu’il faut sauver, c’est l’humain dessus.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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7 commentaires

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    • Alain Uguen

    cyberaction : Instauration de l’écologie comme matière principale à l’école 
    https://www.cyberacteurs.org/cyberactions/instaurationdelyncologiecommematiyo-5329.html

    • Peter

    Me semble très, très important d’enseigner écologie aux enfants, beaucoup plus important que l’autres sujets d’école, c’est le futur du monde et leur futur. Il n’y a pas vraiment beaucoup qui vont l’apprendre de leurs parents!

    • Guy J.J.P. Lafond

    Bonne réflexion. Merci à Gilles Boeuf, à Water Family et à GoodPlanet Info!
    Mise en exergue:
    « L’écologie réunit toutes les disciplines. L’écologie est une science transversale, ce à quoi l’école française n’est pas encore suffisamment préparée ni ne prépare suffisamment. De fait, l’écologie ne doit pas être l’apanage des écolos. Tous les partis doivent s’en saisir car c’est la science de la réintégration de l’humain avec le monde qui l’entoure.  » – Gilles Boeuf
    Très juste!
    Et nous avons déjà accumulé beaucoup de matériel didactique. Pensons seulement à l’excellent documentaire « HOME » de Yann Arthus-Bertrand pour des étudiants de niveau collégial. Et pour capter l’attention de plus jeunes adolescents, pensons même à l’excellent film « Avatar » de James Cameron.
    Le documentaire réfère à l’histoire de la Terre et à l’apparition de la vie sur notre si fragile planète bleue.
    Le film de fiction, lui, suscite l’émotion et rappelle à tous que des biodiversités végétale et animale en bonne santé sont gages de protection de la vie sur une planète verte et bleue avec une atmosphère.
    Espérons que cette suggestion ait un effet domino et atteigne rapidement des pays démocratiques comme le Canada.
    Raisonnablement,
    @GuyLafond
    Un bon papa à Montréal qui continue de faire du bénévolat pour l’ONU en attendant de retourner à son bureau de travail à Ottawa, ON, Canada.
    https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/
    https://twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329

    • Claude Courty

    À la modération :
    Pourquoi mon commentaire vient-il d’être refusé ?
    Et si la présence d’un lien en est la cause, pourquoi un autre commentaire en comportant un est-il publié ?
    Merci

    • Sophie

    Bonjour, votre article est très intéressant et je ne voudrais pas vous contredire. Mais depuis déjà au moins 10 ans, l’écologie fait partie intégrante de l’enseignement à l’école notamment à travers les sciences et dans les domaines 3, 4 et 5 du socle commun de compétences. Auparavant, cette matière s’appelait EDD, l’enseignement au développement durable, qui était fait de manière transversale comme l’est l’histoire des arts ou l’informatique aujourd’hui encore. Peut-être faudrait-il que les parlementaires interrogent les personnes compétentes qui œuvrent au quotidien pour que le monde change.
    A lire avec attention: https://www.education.gouv.fr/l-education-au-developpement-durable-7136

    • Henri DIDELLE

    LES MEILLEURS DIPLOMES S’OBTIENNENT A L’ECOLE DE LA VIE…
    Aujourd’hui, avec Internet le savoir-faire compte beaucoup plus que le savoir académique. Un employeur regarde de moins en moins les diplomes et de plus en plus la personnalité de chacun. L’écologie nous enseigne la manière raisonnable de vivre en symbiose avec la Nature en ne pénalisant pas avance les géénartions futures.
    Alors oui à l’écologie à l’école. Mais de grâce ajoutons-y le secourisme qui devrait être obligatoire car il permettrait de sauver beaucoup de vies et d’argent. En France le mot secourisme est encote tabou. Dommage !!!

    • Hernan

    MAIS ÉVIDEMMENT !!! ET ENCORE !!!! comment pousser tous dans ce sens ? et vite….