Avec Bloom, l’association qu’elle a créée, Claire Nouvian défend les océans contre la surpêche. Son combat a été salué par le Prix Goldman pour l’environnement en 2018. À quelques jours du premier tour du scrutin présidentiel, GoodPlanet Mag’ a interrogé Claire Nouvian sur le bilan du quinquennat sur la préservation des océans et la place de ces sujets dans la campagne en cours.
Quel bilan tirez-vous du quinquennat qui se termine en matière de protection des océans et en particulier de lutte contre la surpêche ?
Zéro pointé !
Le One Ocean Summit est un bel exemple de la politique d’affichage menée pendant ce quinquennat concernant l’écologie et plus particulièrement la protection des océans. Derrière les belles annonces, il apparait que les promesses faites ne sont aucunement contraignantes. Le problème de la surpêche a été très peu abordé pendant ce sommet. L’inclusion de la réserve naturelle des terres australes et antarctiques françaises (TAAF) dans les aires marines protégées, en d’autres termes une zone éloignée où l’effort de pêche est relativement faible, permet au président Macron d’éviter avec brio les sujets essentiels et réellement contraignants.
« L’océan est le parent pauvre de la lutte contre le changement climatique. »
De récentes études ont par ailleurs montré que les aires marines protégées de l’Union Européenne sont soumises à une intensité de chalutage 1,5 fois supérieure aux zones non protégées, ce qui montre la nécessité de mettre en place des restrictions et des contrôles plus forts dans ces zones pour y interdire l’accès aux engins de pêche destructeurs.
Les questions environnementales liées à la surpêche sont-elles assez abordées dans la campagne en cours ? Remettre en question les pratiques de pêche, n’est-ce pas un sujet tabou pour la majorité des candidats car l’emploi dans le secteur de la pêche diminue, il ne reste que 13 500 pêcheurs en France, mais ils arrivent à se faire entendre comme l’a montré le conflit franco-britannique sur les quotas de pêche ?
L’océan est le parent pauvre de la lutte contre le changement climatique et le problème de la surpêche est absent des débats publics. La surpêche est pourtant la première menace qui pèse sur l’océan, devant la pollution plastique. La campagne présidentielle n’échappe pas à ce constat.
Rappelons que la pêche industrielle est justement responsable de la destruction de l’emploi et de l’océan. Leurs pratiques et la taille des navires sont incompatibles avec une exploitation dite « durable ». Ces navires concentrent les quotas de pêche et s’accaparent des subventions publiques, tout en asphyxiant la petite pêche. Pourtant, les politiques publiques continuent d’encourager les pires pratiques de pêche, comme le chalut.
« La mesure phare pour préserver les océans et la vie marine est de remettre sérieusement en question la pêche industrielle et la logique du rendement économique. »
Lors du Brexit, ce sont d’abord les gros navires qui ont eu accès aux eaux britanniques. A cette date, les petits fileyeurs de Boulogne-sur-Mer n’ont toujours pas obtenu leur licence pour accéder à la bande côtière des 6-12 milles britanniques. Ironie du sort, les pêcheurs britanniques ont voté à plus de 90% en faveur du Brexit pour reprendre le contrôle de leurs eaux.
Quelle mesure en faveur des océans voudriez-vous voir reprise par les candidats à la présidentielle pour être adoptée en priorité ? Pour quelles raisons ?
La mesure phare pour préserver les océans et la vie marine est de remettre sérieusement en question la pêche industrielle et la logique du rendement économique. Cela demande d’agir au niveau structurel – et non à la marge et de façon superficielle – car le secteur de la pêche est défaillant dans toute sa structure. Et cela commence par l’arrêt des subventions nocives, notamment celles qui financent des engins de pêche actifs (chalut de fond, dragues, senne démersale, etc.) et des navires de grande taille. Une étude publiée par BLOOM en 2021 montre que les navires français de plus de 12 mètres utilisant des engins actifs à fort impact sur l’environnement marin ont perçu plus de 70 % des subventions européennes (FEAMP) dans le cadre des arrêts temporaires pendant la crise du COVID.
Dans vos combats contre le chalutage profond et la pêche électrique, vous n’avez eu de cesse de dénoncer le poids des lobbys. Quelles mesures prendre afin de réduire l’influence des lobbys qui défendent l’intérêt particulier souvent au détriment de la protection de l’environnement et de l’intérêt général ?
Il faut de la transparence dans les prises de décisions publiques. On rencontre de l’opacité partout : opacité des négociations qui précèdent les décisions politiques, opacité des subventions publiques allouées au secteur, opacité des quotas et de leurs modalités d’attribution. Cette récurrence empêche les critiques qui forment pourtant le point de départ d’un contre-pouvoir efficace. Il est donc indispensable d’y remédier au plus vite en instituant des mécanismes concrets de transparence : sur les calendriers politiques, les acteurs qui interviennent, les positions qu’ils soutiennent et sur la justification des arbitrages. Cela passe par la publication exhaustive des subventions allouées au secteur, y compris à l’échelle des collectivités territoriales, et par le chiffrage des aides indirectes et de l’allocation des quotas de pêche. C’est par ce biais qu’il sera possible de rééquilibrer la représentation politique du secteur auprès des décideurs, celle-ci étant actuellement trustée par des industriels qui ont toute latitude pour façonner les politiques publiques selon leur bon vouloir.
« L’océan est un bien commun et notre meilleur allié pour lutter contre le réchauffement climatique. »
L’océan est un bien commun et notre meilleur allié pour lutter contre le réchauffement climatique. Pourtant, les décisions qui concernent l’océan sont principalement prises en concertation avec le Comité national des pêches. Cette instance de représentation est verrouillée par les industriels qui défendent leurs intérêts privés. La société civile devrait pouvoir participer aux prises de décision afin que les règlementations soient en adéquation avec l’intérêt général.
Avez-vous une réaction aux récentes annonces de l’IFREMER sur l’amélioration de l’état des ressources halieutiques en France depuis 20 ans ?
[À lire aussi Ressources halieutiques françaises : nette amélioration en 20 ans]
Certes, on constate des améliorations sur certains stocks. Mais tout n’est pas aussi positif que l’IFREMER le dit. Il y a aussi des dégradations qui interviennent pour des stocks dont l’état s’était amélioré. Il faut aussi rappeler que le bilan présenté par l’IFREMER ne concerne que les pêches en Atlantique nord-est et en mer Méditerranée. Or des navires français pêchent le thon albacore dans l’océan Indien en utilisant une technique décriée. De plus, l’IFREMER ne s’intéresse qu’aux volumes de poissons débarqués par les bateaux. Pourtant, la pression de pêche ne se réfère pas seulement aux quantités de poissons rapportées aux ports, mais aussi à l’impact des engins déployés en mer.
En France, environ 70 % des poissons sont capturés en utilisant le chalut de fond. Cette méthode de pêche racle les fonds marins avec des filets lourdement lestés, elle détruit les habitats et n’est pas sélective.
Le problème fondamental, c’est que ces rapports de l’IFREMER sont le fait d’Alain Biseau, très actif pour soutenir le chalutage profond, la pêche sur frayères et la pêche électrique. Sa vision est une vision productiviste, utilisant des indicateurs obsolètes très largement critiqués par la communauté scientifique au niveau international, au détriment d’une approche écosystémique.
Si l’on regarde l’effort de pêche global, celui-ci augmente, ce qui est une conséquence de l’introduction d’engins de pêche toujours plus efficaces comme la senne par exemple, qui provoquent des dommages considérables sur les écosystèmes marins. Ils détruisent les habitats et sont à l’origine d’une concurrence déloyale avec les pêcheurs artisans. Comment, dans ce cas, peut-on oser parler d’amélioration ?
L’enjeu de la protection des fonds marins est-il pris au sérieux par les décideurs ? Qu’en est-il des projets d’extraction sous-marine ?
À travers les Objectifs de développement durable 2030, la France s’est engagée à appliquer l’approche de précaution, à stopper et inverser la perte de biodiversité marine, à prendre des mesures pour restaurer les écosystèmes dégradés et à renforcer la résilience des écosystèmes marins. Mais les actes ne coïncident pas avec les discours et les engagements pris sur la scène internationale.
Par exemple, la France s’est abstenue sur le moratoire contre l’extraction minière en eaux profondes, et entretient le flou entre l’« exploration » et l’« exploitation » des grands fonds. Mais le président Emmanuel Macron ne trompe personne en allouant 600 millions d’euros d’euros à un tel projet.
Avez-vous un dernier mot ?
Durant le One Ocean Summit, le président Emmanuel Macron a enjoint les chefs d’États et les représentants de gouvernements à « synchroniser les agendas ». Autrement dit, à prendre des décisions – qu’elles soient locales, nationales, régionales ou internationales – en conformité avec les engagements et, ceci afin de répondre aux défis urgents qui sont déjà là. Si la France entend véritablement prendre le leadership international en matière de protection de l’océan, alors il convient d’être nous-mêmes exemplaires. Les promesses ne doivent pas être des paroles en l’air. En plus d’être inefficaces, celles-ci nous ôtent tout crédit et renforcent l’attractivité de propositions fondées sur les vieux schèmes productivistes. Seules des actions concrètes et déterminées de notre part seront susceptibles de créer un effet d’entraînement et d’enclencher la transition de l’ordre océanique vers la durabilité.
Propos recueillis par Julien Leprovost
Article édité le 30 mars a 18h pour apporter une précision au chiffre des montants alloués à l’exploration minière sous-marine
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4 commentaires
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Balendard
Mise à part la réalisation Thassalia à Marseille voir
http://rivieres.info/patri/mer-source-energie.htm
je dirais plutot à propos du débat électoral actuel que la chaleur renouvelable est malheureusement la grande oublié des débats sur l’énergie
Balendard
Pour être plus précis
Mise à part la réalisation Thassalia à Marseille avec l’eau salée, voir:
http://rivieres.info/patri/mer-source-energie.htm
je dirais plutot à propos du débat électoral actuel que la chaleur renouvelable cette fois avec l’eau douce est malheureusement la grande oubliée des débats sur l’énergie
Hernan
Claire est une Princesse ! un énorme BRAAAVO pour son formidable travail
Balendard
je voudrais dire à Claire que les océans c’est avant tout de l’eau. De l’eau salée certes mais qui peut comme l’eau douce satisfaire économiquement les besoins thermiques de l’habitat. Ceci grâce à sa chaleur spécifique en la refroidissant en hiver et en la réchauffant en été.