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Matthieu Jousset : « 5 % des flux financiers bas-carbone vont dans les pays à faibles revenus »

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Industrie pétrolière près de Hassi Messaoud - torchères - Algérie © Yann Arthus-Bertrand

Le dernier volet du rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sorti en avril dernier présente les solutions pour faire face au réchauffement climatique. Dans leur rapport de plusieurs milliers de pages, les experts du climat ont consacré un chapitre au rôle de la finance et des investissements dans l’atténuation du changement climatique. Matthieu Jousset, directeur du pôle Action de la Fondation GoodPlanet, travaille sur le financement de projets nationaux et internationaux contribuant à la fois à l’atténuation et à l’adaptation aux dérèglements climatiques. Dans cet entretien, il donne des éléments de compréhension, explications et de décryptage de ce que dit le dernier rapport Giec au sujet de la finance carbone.

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Matthieu Jousset © Fondation GoodPlanet

Que dit le rapport du Giec sur l’apport de la finance dans l’atténuation du changement climatique ?

Le chapitre 15 de ce rapport porte sur la finance et les moyens associés à l’objectif de neutralité carbone fixé par l’Accord de Paris. Le rapport met l’accent sur l’atténuation, c’est-à-dire les solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le rapport du Giec dit que le niveau global des investissements est très en deçà de ce qu’il faudrait pour limiter la hausse des températures à 2°C.

« Le rapport du Giec dit que le niveau global des investissements est très en deçà de ce qu’il faudrait pour limiter la hausse des températures à 2°C. »

Si on veut rester dans la trajectoire fixée par l’Accord de Paris, le rapport du Giec estime que les investissements dans la lutte contre le réchauffement doivent être 3 à 6 fois plus importants dans les pays développés tandis que, pour les pays en développement et les pays les moins avancés, il faudrait les multiplier entre 4 et 8 fois. Plus spécifiquement, il pointe les inégalités d’accès à la finance surtout pour les pays en développement et les pays les moins avancés.

Les auteurs du Giec pointent la lenteur de la finance à s’emparer du sujet et le décalage entre l’allocation des flux financiers et les besoins pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, comment y remédier ?

Il y a plusieurs solutions. Un des enjeux est de résoudre les difficultés structurelles d’accès au marché des capitaux pour les pays en développement. Elles s’expliquent par le fait que ces pays ont souvent une dette importante, que leurs systèmes financiers sont très nationaux et moins tournés vers l’international que ceux des pays développés. Ce qui se traduit par une faible intégration aux marchés régionaux et internationaux des capitaux. Dès à présent, il faut davantage flécher les investissements vers des projets bas carbone au niveau mondial et en particulier dans les pays en développement. 5 % des investissements bas carbone vont dans les pays à faibles revenus.

« Il faut davantage flécher les investissements vers des projets bas carbone. »

De plus, il faut réduire le degré d’incertitudes de risques associés à ces investissements. En effet, à part les énergies renouvelables, les projets d’atténuation concernent des innovations et des technologies qui ne sont pas encore testées à grande échelle ni même déployées. Les investisseurs ont besoin d’être rassurés avec une meilleure transparence de ces investissements, avec plus de visibilité donnée à la valeur extra-financière générée. Le tout peut se valoriser grâce à des labels.

[À lire aussi L’essentiel sur le nouveau rapport du Giec consacré aux solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atténuer le changement climatique]

Enfin, le rapport du Giec souligne la nécessité d’apporter des financements transfrontaliers aux pays qui ont des difficultés à lever des fonds aux niveaux régional et international. Le Giec rappelle la nécessité de développer les green bounds ou obligations vertes et l’importance de financer les solutions fondées sur la nature, comme les puits de carbone, grâce, par exemple à des mécanismes comme le REDD+ (la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement) qui consiste à rémunérer la préservation de la forêt. La question de la transition recouvre à la fois de l’atténuation, de l’adaptation et de l’augmentation du volume des puits naturels de carbone constitués par des écosystèmes sains. Cela implique par conséquence d’investir dans leur préservation.

[À lire aussi REDD+ ou rémunérer la protection des forêts ]

Le rapport note aussi que 90 % de la finance climat va l’atténuation, est-ce que signifie que l’adaptation est le parent pauvre et que cela signifie que nous risquons de manquer de moyens pour se préparer aux impacts du réchauffement ?

Effectivement, les pays en voie de développement et les moins avancés ont un besoin important en termes d’adaptation aux dérèglements climatiques, étant à la fois les moins responsables et les premières victimes de ceux-ci. Mais la situation est plus contrastée entre les pays du Nord et ceux du Sud. Les financements sont en-dessous des besoins dans les pays en développement qui sont les premiers à subir le réchauffement. Il y a pourtant une urgence réelle sur l’atténuation, même s’il faut agir partout. Lorsque les sommes consacrées à la lutte contre le réchauffement augmenteront dans ces pays alors plus de moyens pourront être alloués à l’adaptation.

« Un grand travail de pédagogie doit aussi être conduit auprès des investisseurs pour les rassurer et leur faire comprendre la nécessité de concilier leurs décisions avec les objectifs de l’Accord de Paris. »

Dans les pays déjà développés, le volume financier dédié à l’adaptation reste très minoritaire, et cela me semble questionnable étant donné qu’ils ont des moyens plus importants et devraient dès maintenant se montrer capable d’anticiper l’avenir. 

[À lire aussi Réchauffement climatique : l’adaptation est aussi à la traîne, selon l’Onu]

Que faudrait-il changer en priorité afin d’accélérer les investissements dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

Il faut au minimum parvenir à tripler les investissements. Pour ce faire, il y a tout un travail d’harmonisation du cadre financier international et du marché des capitaux. Elle permettrait aux flux financiers d’être plus facilement affectés à toutes les régions du monde. Un grand travail de pédagogie doit aussi être conduit auprès des investisseurs pour les rassurer et leur faire comprendre la nécessité de concilier leurs décisions avec les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Il faut leur montrer que des investissements respectueux du climat ont des aspects positifs. Le coût de l’inaction climatique est plus élevé que celui des investissements nécessaires pour y faire face. Le Giec dit clairement dans ce rapport qu’il faut sortir de la logique de l’investissement à court terme sécurisé. 

« Sortir de la logique de l’investissement à court terme. »

[À lire aussi  La charge de la dette externe, une entrave à l’action climatique des pays les plus pauvres]

L’investissement et la finance bas carbone doivent-ils nécessairement passer par un prix du CO2 ? et a fortiori un prix élevé ?

Le coût du carbone répond aujourd’hui à des logiques locales ou nationales ou bien à des logiques de projets, il n’est donc pas uniforme. Il serait pourtant intéressant que le prix du carbone obéisse à des signaux envoyés par les banques centrales et par les organisations internationales afin d’aboutir à des coûts harmonisés au niveau mondial ou régional. Pour autant, une convergence du prix du carbone au niveau mondial pose aussi la question légitime de savoir s’il est possible de demander aux pays en développement et aux pays les moins avancés de supporter un coût prohibitif du carbone alors même qu’ils peinent à capter des investissements ? Pour garantir la justice du système, je pense qu’il faut, dans un premier temps, découpler le prix du carbone entre les pays en développement et les pays développés. Et ensuite, le faire converger.

« Il est très important de continuer à garder une logique de solidarité internationale à l’égard des pays en développement. »

Avez-vous un dernier mot ?

Il est très important de continuer à garder une logique de solidarité internationale à l’égard des pays en développement tant que le système de la finance climatique n’est pas harmonisé au niveau mondial en termes d’accès aux capitaux et de facilité d’investissements de pays à pays que ce soit dans le sens Nord-Sud que Sud-Sud. Cette logique de solidarité internationale peut se faire par de l’investissement à impact sur des marchés bas carbone dans les pays les moins avancés et les pays en développement via de l’aide publique au développement, de la finance carbone ou bien du mécénat environnemental. Ce sont des manières de répondre à l’urgence en attendant une harmonisation de la finance climatique.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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