Charles Hervé-Gruyer figure parmi les pionniers de la permaculture en France. Depuis des décennies, à la ferme du Bec Hellouin, il s’efforce de démontrer l’efficacité d’une agriculture respectueuse de la nature et des saisons. Charles Hervé-Gruyer propose désormais une série de guides pratiques consacrés à la résilience. Les ouvrages de la collection Résiliences aux éditions Ulmer, qui abordent des thèmes concrets comme le jardin nourricier, l’élevage de poules, la constitution de bois de chauffe ou encore la réalisation de buttes de culture, sont basés sur son expérience à la ferme du Bec Hellouin. Cet entretien est l’occasion d’aborder avec Charles Hervé-Gruyer la signification de la résilience et les apports de l’autonomie et de la permaculture sur l’environnement et l’humain tant individuellement que collectivement.
Pourquoi publier une collection de guides consacrés à la résilience maintenant ?
Cette collection s’intéresse la résilience au sens large. Devenir résilient touche tous les aspects de nos modes de vie qu’on habite en ville ou à la campagne. Je suis inspiré par l’éthique de la permaculture qui est de prendre soin de la Terre et des êtres humains tout en partageant équitablement. Je pense que ce sont les 3 piliers de la résilience. Il faut prendre soin de notre merveilleuse et unique planète, de nous êtres humains qui allons être de plus en plus malmenés par les crises. Partager signifie également laisser une planète intacte aux générations futures, or ce n’est pas le chemin que l’humanité prend pour le moment. Force est de constater que les institutions et les grandes entreprises bougent un peu, mais sans doute passez rapidement face, notamment, aux enjeux du changement climatique. Il revient donc à nous, humbles citoyens, de prendre nos vies en main en entamant une démarche de transition écologique. Cette transition doit se montrer joyeuse afin d’inventer des vies qui ressemblent à nos rêves. Cette collection de guide se veut une boîte à outils qui a pour vocation d’accompagner les lectrices et les lecteurs dans leur transition. Avec une trentaine d’ouvrages, chacun pourra y trouver la porte d’entrée vers la résilience qu’il lui convient le mieux. Et parvenir ainsi, par petites touches ou par grands pas, à alléger son empreinte écologique.
Les crises actuelles (environnement et climat, Covid, guerre en Ukraine, prix des énergies) que nous traversons renforcent-elles vos convictions sur la résilience et l’autonomie grâce à la permaculture ?
Effectivement, comme paysan à la ferme du Bec Hellouin, je constate de plus en plus les dérèglements climatiques qui se manifestent par des gels tardifs, des sécheresses, des inondations ou encore des canicules. Produire devient de plus en plus difficile. Nous ne sommes pourtant qu’en Normandie en 2022. Qu’est-ce que cela sera dans les décennies à venir dans d’autres régions, comme les régions méridionales ?
« Créer un jardin nourricier ou une micro-ferme constitue un acte vraiment positif. »
Cela m’inquiète, pourtant, dans le même temps, je pense que nous sommes encore dans une période de relative stabilité et prospérité. Plutôt que de vivre comme des petits oiseaux sans penser aux lendemains, je crois qu’il faut que nous investissions notre énergie dans la préparation du futur en créant des modes de vie résilients, des habitats, des lieux, des fermes et des jardins résilients. Ils seront susceptibles d’aider les communautés locales à encaisser les chocs à venir.
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Une majorité des Français ne se sent pas concernée, mais pour la fraction, disons les 10 à 30 % qui se sentent impliqués et prêts à changer en profondeur leur mode de vie, le meilleur moment pour agir est maintenant. Car, je pense qu’il sera trop tard en 2030.
Vous insistez sur le fait que vos méthodes de culture visent au maximum à se passer des énergies fossiles, comment ?
Le jardin vivrier est probablement l’acte le plus utile qu’on puisse faire pour la planète. Beaucoup d’actions pour la planète sont surtout des « ne pas faire ». Il s’agit d’interdits comme ne pas prendre l’avion, rouler moins, manger moins de viande etc… Or, créer un jardin nourricier ou une micro-ferme constitue un acte vraiment positif. Au Bec Hellouin, la dizaine d’études scientifiques menées sur les méthodes de permaculture ou de cultures bio-inspirées montrent que nous sommes gagnants sur tous les plans, c’est-à-dire que le jardin se révèle 10 fois plus productif par unité de surface sans une goutte de pétrole tandis que, dans le même temps, la teneur en carbone organique augmente jusqu’à 10 % par an. Le fait que le jardin s’avère ainsi plus productif a permis de libérer plus d’espace pour des arbres, des animaux, des mares, des haies, des forêts-jardins. On a vu la biodiversité exploser. La Nature est un fabuleux vivier de solutions. S’en inspirer permet de sortir par le haut des crises actuelles car ces méthodes réduisent les prélèvements en eau douce et le besoin de pétrole ou de gaz.
« Le jardin se révèle 10 fois plus productif par unité de surface sans une goutte de pétrole. »
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Est-ce que cultiver un jardin vivrier implique aussi de consacrer beaucoup de temps à son potager ou jardin nourricier ? Par exemple, combien de temps pour une famille de 2 adultes et 2 enfants ?
Créer un jardin potager nourricier pour une famille ne requiert pas énormément de temps. De plus, cela apporte beaucoup de joie, de satisfaction et d’économies. Pour se nourrir, une heure par jour sur l’année suffit pour répondre à tous ses besoins alimentaires en fruits et en légumes et, on peut y ajouter les œufs si on ajoute les produits d’une petite basse-cour.
Quelle satisfaction personnelle peut-on éprouver en s’engageant sur les chemins de la résilience et de la permaculture ?
S’engager activement pour la planète, pas seulement par le biais de son jardin, donne un sens à notre vie. Contribuer à bousiller la seule planète qu’on a, ne rend personne heureux, parce qu’on vit avec un sentiment latent de culpabilité. On veut tous laisser le meilleur à nos enfants et à ceux qu’on aime. S’engager pour le bien-commun, le nôtre, celui de nos enfants et de notre communauté, des oiseaux, des vers de terre, des coccinelles et de tous les êtres vivants, est extrêmement satisfaisant et épanouissant. Cela conduit à élargir notre perception aux besoins de toutes les formes de vie. On est tous reliés. Mais, nous comme êtres humains, avons une responsabilité particulière de prendre soin du monde en étant les gardiens de cette Terre pour toutes les formes de vie. On peut le faire au niveau local en mettant les mains dans la terre avec beaucoup de respect.
Avez-vous justement un conseil pour les personnes intéressées pour prendre le chemin de la résilience en mettant les mains dans la terre ?
Il faut savoir que ce n’est pas difficile. Il faut commencer par mettre les mains dans la terre et apprendre. Devenir autonome est un chemin exigeant qui demande beaucoup de connaissances, mais on peut avancer pas à pas, et à son rythme, d’autant plus que les connaissances et les savoir-faire existent. Il y a beaucoup de bons livres et de guides, cependant il ne faut pas oublier que le savoir peut se transmettre par l’échange. C’est vrai qu’autrefois existait cette tradition d’une transmission au sein des familles parce que tous les anciens avaient leurs jardins. Il faut donc se réapproprier des savoirs oubliés mais disponibles. De plus, c’est chouette, il y a de nouveaux savoirs dont on ne disposait pas autrefois grâce aux progrès des sciences du vivant. Le fonctionnement des sols, des cycles de l’eau, du carbone, de l’azote sont mieux compris. Et, sur le plan concret, on accède plus facilement à des outils performants et des semences diversifiées. Chacun peut donc disposer de tous les atouts pour réussir.
« Chacun de nous est plein de talents qu’il peut mettre au service du bien commun. »
Et, si on habite en ville, comment fait-on ?
En ville, le champ des possibles est bien plus vaste que ce qu’on peut imaginer. On peut cultiver des plantes aromatiques et des graines germées dans sa cuisine. Le livre « Mon balcon nourricier en permaculture – Des récoltes abondantes sur 4 m² » de Valéry Tsimba donne des exemples de ce qu’on peut créer sur un espace réduit. C’est une jungle foisonnante avec des dizaines de variétés de légumes. Sinon, il y a les jardins partagés et si on n’y a pas accès, il est toujours possible d’aller voir les élus pour développer l’agriculture urbaine. Il ne faut jamais croire que c’est impossible. Il faut y aller pour oser transformer la ville et la rendre plus agréable pour tout le monde.
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Avez-vous un dernier mot ?
Il me semble que l’écologie n’est pas une punition. Bien au contraire, l’écologie, c’est prendre soin du vivant. Ce dernier est somptueux, il nous remplit d’émerveillement. On est trop habitué à être des Terriens, nous ne réalisons pas que nous avons la chance d’habiter une petite bulle de vie perdue dans le vide intersidéral. Chacun d’entre nous est responsable d’une petite portion de cette unique planète vivante. La noblesse de l’humanité et la dignité humaine résident dans la préservation de ce joyau qui nous a été confié. Cela peut sembler des grandes phrases en l’air, mais la meilleure manière d’incarner cette vision est de s’engager pour la planète. Chacun de nous est plein de talents qu’il peut mettre au service du bien commun, et je pense qu’on y est tenu au vue de la dégradation du monde. S’engager permettra de laisser un beau monde aux générations à venir.
Propos recueillis par Julien Leprovost
Pour aller plus loin,
Le site de la ferme du Bec Hellouin de Charles Hervé-Gruyer et la collection Résiliences aux éditions Ulmer.
Vous vous intéressez à l’alimentation et l’agriculture durable, sachez que la Fondation GoodPlanet vous propose d’en savoir plus sur le sujet grâce à l’école GoodPlanet et aussi avec ses recettes de cuisine.
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2 commentaires
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Guy J.J.P. Lafond
Très beau témoignage de Charles Hervé-Gruyer. Merci! @:-)
Ses publications seraient donc à recommander fortement aux enfants qui veulent découvrir toute la beauté du monde.
Avec reconnaissance et avec amour pour la France,
@GuyLafond @FamilleLafond
(Québec), Canada, les Amériques.
https://twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329
Claude Courty
« le jardin vivrier est probablement l’acte le plus utile qu’on puisse faire pour la planète »
Non ! l’acte le plus utile est d’ordre démographique, à l’échelle planétaire.
Comme chaque représentant du vivant, « avant toute autre considération, l’être humain est un consommateur » Gaston Bouthoul (1896-1980). Parce qu’il doit impérativement ne serait-ce que se nourrir, se vêtir, se loger et se soigner, il l’est depuis sa conception jusqu’après sa mort – les marchés du prénatal et du funéraire en attesteraient s’il en était besoin – et il se double d’un producteur dès qu’il est en âge de travailler. Il est ainsi un agent économique au service de la société, aux dépens de son environnement. Et plus le nombre de ces agents augmente, plus leurs besoins s’accroissent – outre ceux qu’ils s’inventent toujours plus nombreux – ; plus ils produisent, consomment, échangent et s’enrichissent, avec l’aide du progrès scientifique et technique, quelles que soient les conditions du partage de leurs richesses.
Qu’il s’agisse de gestion de ressources non renouvelables comme de déchets, ou de pollution, les atteintes à l’environnement augmentent d’autant et s’ajoutent aux effets des caprices d’une nature jamais avare de catastrophes inopinées ou cycliques.