Les travers de la mode sont le reflet des travers de notre époque : surproduction et surconsommation effrénées se traduisent par un immense gaspillage. Catherine Dauriac alerte sur cette gabegie et s’efforce de proposer des alternatives et des manières de mieux consommer des produits textiles depuis des années avec l’association Fashion Revolution France qu’elle préside. Dans son dernier livre écrit en collaboration avec Isabelle Brockman, Fashion, de la collection Fake or Not chez Tana éditions, l’auteure revient une nouvelle fois sur l’impact écologique et social du secteur textile, de l’habillement et de la fast-fashion. GoodPlanet Mag’ s’est entretenu avec Catherine Dauriac pour comprendre les enjeux et les solutions pour une mode plus éthique et responsable.
Pourquoi parler de mode plutôt que d’habillement ?
Nous avons choisi le titre Fashion pour le livre, mais il porte de fait plutôt sur l’industrie textile et sa chaîne de valeur. La mode, c’est bien sûr l’habillement, mais de nombreux sujets émergent derrière ce thème. Comment nous enjoint-on à acheter trop de vêtements ? Quels sont les impacts environnementaux et sociaux du secteur ? Le livre aborde simplement ces sujets très complexes.
À quel moment le secteur du textile est-il parti à la dérive ? Comment l’expliquer ?
L’emballement du secteur textile ne démarre pas avec l’avènement du prêt-à-porter dans les années 1960, il existait déjà avant ! Il y a plusieurs étapes pour comprendre que cette dérive s’avère antérieure à l’époque contemporaine. Elle remonte à la révolution industrielle et à la naissance du capitalisme agressif. La fabrication de masse de vêtements débute au XVIIIe siècle avec les uniformes pour habiller l’armée et la marine. La révolution industrielle accompagne la production de masse avec l’invention de la machine à vapeur, les premières machines à coudre et l’exode vers les villes des paysans pauvres qui fournissent une main d’œuvre bon marché abondante.
« L’emballement du secteur textile ne démarre pas avec l’avènement du prêt-à-porter dans les années 1960. »
À la fin du XIXe siècle, les progrès de la chimie et la Première guerre mondiale voient se développer les matières synthétiques, comme le nylon, qui remplacent progressivement les fibres naturelles comme la soie, le lin ou le chanvre. Tout est lié à la guerre et l’expansion coloniale, dont une grande partie, bien documentée, s’est faite sur le coton. Le textile est donc très politique.
Après la Seconde guerre mondiale arrive le prêt-à-porter accessible à tout le monde. Puis, dans les années 1990, l’arrivée de la fast-fashion accélère encore le mouvement. Cela participe d’une expansion du capitalisme.
La sobriété étant d’actualité, qu’entendons-nous par « s’habiller sobre » ?
Le contexte actuel de renchérissement du prix de l’énergie devrait nous conduire à revoir nos habitudes. En effet,75% des textiles qu’on produit sont à base de pétrole. Le Polyester représente 65 % de la production mondiale de textile et les fibres artificielles environ 10 %. Donc, si on veut décarboner, il va falloir apprendre à s’en passer et à consommer différemment. La sobriété, cela ne s’applique pas qu’aux vêtements, c’est consommer moins mais mieux. Cela serait d’acheter de la seconde main, de recourir aux trocs de fringues où l’argent se montre moins prégnant. Ces tendances se développent plutôt chez les jeunes et les personnes sensibilisées à l’environnement. Dans le même temps, il y a une partie de cette même jeunesse sensibilisée aux enjeux écologiques qui achète Shein, une marque d’ultra fast-fashion qui renouvelle sans cesse ses collections, proposant en permanence de nouveaux produits à 5 ou 10 euros. Ils ont fait 10 milliards d’euros en chiffres d’affaires. Il y a cette dichotomie au sein de la population entre vouloir mieux consommer sans être prêt à revoir certaines pratiques.
« 75% des textiles qu’on produit sont à base de pétrole. »
Puisqu’on parle de dichotomie, le souci de l’habillement, ne serait-ce pas d’être à la croisée entre l’indispensable (se vêtir) et le superficiel (l’hyper-distinction issue de l’individualisme forcené) ? Et donc que la mode repose à la fois sur une production de masse et une différenciation forte des produits ?
Absolument, c’est tout à fait ça. Quand on parle de mode, on ne peut pas être raisonnable car nos désirs de vêtements sont bâtis sur quelque chose d’irrationnelle. La surproduction et la surconsommation sont de grands problèmes de notre civilisation qui est en bout de course. La surconsommation et la surproduction se retrouvent partout que ce soit dans la mode ou dans l’agro-alimentaire. Le schéma est identique. On produit trop de nourriture, ou du moins elle est mal répartie. Résultat : dans les pays riches, la moitié de la population est en surpoids, voire obèse. Pour les vêtements, c’est pareil. Nos placards sont obèses. On produit 150 milliards de pièces par an pour 7 milliards d’individus dont la moitié n’achète pas de vêtements et dont la moitié de l’autre moitié n’a pas les moyens de faire des achats compulsifs. Donc, au final, pour 1,5 milliards de consommateurs, on produit 150 milliards de pièces.
« Pour 1,5 milliards de consommateurs, on produit 150 milliards de pièces. »
Pour en sortir, il faudrait d’une part cesser de trop produire et arrêter de surinformer. Les marques font preuve d’une obsession à envahir les réseaux sociaux de publicité. Or, il faudrait mieux informer le grand public, l’information sur les impacts de la mode existe. Mais, il faut avoir la curiosité de comprendre comment sont fabriqués les vêtements, de comprendre en quoi ils peuvent se montrer toxiques. Par exemple, aujourd’hui, on trouve dans les teintures des substances chimiques toxiques comme des perturbateurs endocriniens, du chrome, du cadmium etc. connu pour leurs effets sur la santé.
« Quand on parle de mode, on ne peut pas être raisonnable car nos désirs de vêtements sont bâtis sur quelque chose d’irrationnelle. »
Pour en finir avec la fast-fashion, faut-il avant tout en finir avec la pub et le diktat de l’égo qui se manifeste par l’image qu’on veut renvoyer ?
La publicité assurément. L’égo, c’est compliqué parce que la mode est une façon de se présenter au monde. Pourtant, quand je regarde la rue, je constate une uniformisation des looks sans que les gens soient pour autant bien habillés. Tout le monde achète dans les mêmes grandes enseignes. Il faut lutter contre l’uniformisation des lignes grâce à la seconde main qui permet de varier les pièces.
« Il en va de la responsabilité de chacun d’ajuster sa consommation de vêtements à ses valeurs. Les personnes ayant une conscience écologique développée achètent moins de vêtements. »
Les consommateurs sont-ils prêts à changer leurs habitudes ?
Je pense que oui pour une partie d’entre eux. Il en va de la responsabilité de chacun d’ajuster sa consommation de vêtements à ses valeurs. Les personnes ayant une conscience écologique développée achètent moins de vêtements. Le sujet de la production des vêtements est peu évoqué dans les rassemblements écologistes alors que c’est une des industries les plus polluantes et les plus mondialisées. En France, des marques essayent de produire proprement sur le territoire ou dans les pays voisins. Ce sont bien sûr des petites marques qui n’ont pas les capacités de communication des grandes enseignes.
« On peut sortir de la surconsommation à outrance en adoptant un vestiaire réduit. »
Justement, quelles sont les pistes pour sortir du grand paradoxe d’un secteur qui se définit par l’éphémère et le renouvellement permanent ?
La mode durable est oxymore. Ce n’est pas possible pour la mode d’être durable puisqu’elle repose sur le changement perpétuel des saisons et des couleurs, ce qui se révèle une forme d’obsolescence programmée. On peut sortir de la surconsommation à outrance en adoptant un vestiaire réduit avec quelques pièces bien pensées qu’on renouvelle au fur et à mesure sur 10 ans, par exemple.
« On ne met qu’un tiers de ce qui se trouve dans nos placards. »
De toute façon, la situation économique dramatique actuelle et les changements climatiques risquent de se traduire par des pénuries et des difficultés d’approvisionnement, en particulier dans la filière du coton. Il ne sera pas possible de produire en Inde où les températures pourraient atteindre les 50°C. Les prix devraient donc augmenter avec la hausse du coût des matières premières. Les vêtements ne sont déjà pas vendus à leur juste prix puisque les ouvriers qui les fabriquent sont bien souvent sous payés et exploités.
[À lire aussi Valérie Guillard, auteure de Comment consommer avec sobriété ? : « il existe un marketing de la sobriété »]
Enfin, personne n’aime gaspiller. Le piège du gaspillage est qu’au moment de l’achat, on ne se rend pas forcément compte que ce qu’on va acheter ne servira pas beaucoup. Avez-vous des conseils pour bien acheter ?
Il existe des questions simples à se poser avant d’acheter un vêtement, qui peuvent aussi s’appliquer à d’autres achats. Est-ce que j’en ai vraiment besoin ? N’ai-je pas déjà l’équivalent ou quelque chose d’approchant ? Est-ce que je peux attendre une semaine ou deux ? Il faut éviter l’achat coup de cœur compulsif. On peut se faire plaisir de temps en temps, on n’est pas des ayatollahs, mais il faut remettre en cause sa façon de consommer. C’est souvent des achats émotionnels : on a eu une épreuve ou une déception, on s’achète des choses pour se faire plaisir.
« Il existe des questions simples à se poser avant d’acheter un vêtement. »
D’autres conseils ?
Trier son vestiaire et regarder ce qu’on porte vraiment. Essayer de trier son vestiaire est la première chose à faire. Il faut regarder ce qu’on porte vraiment car en général on ne met qu’un tiers de ce qui se trouve dans nos placards. Ensuite, il faut se demander ce qu’on fait du reste. Est-ce qu’on le donner ? Est-ce qu’on l’échange avec des ami(e)s ? Est-ce qu’on le trie ? Une fois qu’on a regardé ce qu’on porte et ce qui nous va, on renouvelle sa garde-robe en fonction de ses besoins.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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2 commentaires
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xavier64
elle a juste totalement raison. je retiens sa phrase qui me révolte : » On produit 150 milliards de pièces par an pour 7 milliards d’individus dont la moitié n’achète pas de vêtements et dont la moitié de l’autre moitié n’a pas les moyens de faire des achats compulsifs. Donc, au final, pour 1,5 milliards de consommateurs, on produit 150 milliards de pièces. »
En conclusion heureusement que des sites comme Vinted existe !!
Claude Courty
Qu’allons-nous faire des innombrables chômeurs qui viendront grossir les rangs de la grande pauvreté ?