En raison du risque de cancer colorectal provoqué par l’ingestion de nitrites et de nitrates, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) préconise de réduire l’exposition à ces substances dans l’alimentation. L’agence a publié cette recommandation le 12 juillet dernier en rappellent que « plus l’exposition à ces composés est élevée, plus le risque de cancer colorectal l’est également dans la population ». Nitrates et nitrites se retrouvent dans l’environnement et dans l’alimentation. Ainsi, les nitrates peuvent se trouver par accumulation dans les végétaux et aussi dans les sols naturellement du fait du cycle de l’azote. Cependant, leur concentration peut augmenter en raison de l’utilisation d’engrais ou de lisier. Les nitrites, quant à eux, sont utilisés comme additifs dans la charcuterie et les viandes transformées. Ces additifs alimentaires sont désignés par les lettres E249, E250, E251, E252 dans la composition des aliments. Ces molécules donnent à la charcuterie ses couleurs. Leurs propriétés antimicrobiennes font qu’ils servent de conservateurs dans la charcuterie et les viandes transformées principalement.
L’Anses s’adresse à la fois aux producteurs et aux consommateurs. Elle invite ces derniers à ne pas consommer plus de 150 grammes de charcuterie par semaine et à varier leur alimentation. La consommation de charcuterie industrielle demeure le premier facteur d’exposition aux nitrites dans la population française. L’Anses recommande également de mieux maîtriser la présence de nitrates dans l’environnement c’est-à-dire dans les sols et dans les eaux. Se faisant elle en appelle aussi aux agriculteurs et à l’agro-industrie. Aux premiers de mieux gérer les épandages d’engrais et d’effluents d’élevage. Aux seconds, de moins recourir aux nitrites en modifiant la composition des recettes ou en revoyant les dates limites de consommation. L’Anses propose concrètement que : « par exemple, pour le jambon cuit, la réduction des nitrites pourrait s’accompagner du raccourcissement de la date limite de consommation. Pour le jambon sec, cela supposerait un contrôle strict du taux de sel et de la température au cours des étapes de salage, de repos et d’affinage du produit. »
Nitrates, nitrites et composés nitrosés, le trio infernal
Cette recommandation de l’ANSES marque une évolution dans la prise en compte du risque d’exposition aux substances toxiques. En effet, elle survient alors que l’Agence écrit dans le même communiqué qu’ « en France, toutes sources d’exposition confondues, près de 99 % de la population ne dépasse pas les doses journalières admissibles (DJA) établies par l’Efsa et jugées pertinentes à ce jour pour les nitrates d’une part et les nitrites d’autre part. » La DJA est une norme employée en toxicologie remise en cause par des spécialistes puisqu’elle ne tient pas compte de l’accumulation, des effets seuils ou des effets cocktails de l’exposition à certaines molécules. [À ce propos, mais sur un autre sujet, lire aussi notre interview Fongicides SDHI : Fabrice Nicolino alerte sur une catastrophe sanitaire « plausible » et épingle la proximité des agences sanitaires avec les industriels dans laquelle ce sujet est bordé]. Toutefois, poursuit l’agence : « pour prendre en compte les risques liés à la co-exposition, l’Anses a utilisé une démarche dite MOE (évaluation des marges d’exposition). Cette démarche conduit à des résultats analogues à l’analyse par les DJA pour une large majorité de la population. Pour autant, l’Agence recommande de mener une réflexion pour établir une valeur toxicologique de référence globale incluant nitrates et nitrites compte-tenu de leur transformation en composés nitrosés. »
Les composés nitrosés se trouvent dans le corps humain et résultent de l’ingestion et de la transformation partielle des nitrates et de nitrites. Ces composés nitrosés possèdent un caractère génotoxique et cancérogène.
Le chimiste et toxicologue André Cicolella préside le réseau Environnement Santé. Il note que : « l’ANSES avance prudemment. La réglementation s’appuie sur le concept de DJA. Or, il s’avère de plus en plus obsolète. Il faut donc établir de nouvelles normes. Le paradigme a changé, ce n’est plus la dose qui fait le poison, c’est la période. La relation dose-effet n’est plus linéaire. La notion de norme basée sur la DJA perd alors son sens. » Il rappelle également que les nitrates sont des perturbateurs endocriniens.
La réaction du gouvernement
Suite à l’alerte de l’ANSES sur le lien entre les cancers et les nitrates et les nitrites, le gouvernement a annoncé dans la journée du 12 juillet un plan pour répondre à l’enjeu sanitaire. Il s’agit, selon le ministère de la Santé, d’un : «plan d’actions coordonné [qui] sera mis en place afin d’aboutir à la réduction ou à la suppression de l’utilisation des additifs nitrés dans tous les produits alimentaires où cela est possible sans impact sanitaire et cela le plus rapidement possible. »Pour le moment, une réunion est programmée en juillet. La portée et les contours de cette annonce restent encore imprécis. Elles dépendront de ce qui sortira des discussions.
« C’est le début d’une prise de conscience, mais ce n’est pas la réponse à l’enjeu », commente le toxicologue André Cicolella avant de rappeler que « le problème est déjà connu depuis une trentaine d’années. »
Quelques heures avant ces annonces, l’ONG FoodWatach réagissait dans un communiqué sur la démarche volontariste préconisée par l’ANSES en appelant à la plus grande vigilance : «une simple réduction des doses de ces additifs sur base volontaire, idée proposée par certains, ne pourrait en effet être une solution acceptable pour la protection de la santé publique. Et ce d’autant plus que les industriels prouvent tous les jours dans les rayons des supermarchés qu’ils parviennent à se passer de ces additifs avec de larges gammes « sans nitrites » dont ils se vantent régulièrement dans des publicités, et qu’ils vendent souvent plus cher. »
Le conseil alimentation la Fondation GoodPlanet pour éviter les nitrates et les nitrites
Mieux manger, c’est préserver sa santé et celle de la planète. Cette alerte de l’ANSES renforce cette conviction. Marie-Sarah Carcassonne, chargée de mission alimentation durable conseille : « de manger moins de viande, en limitant surtout le porc et la charcuterie industrielle au profit de meilleurs produits non-transformés. Cela peut se faire en achetant et en soutenant des producteurs qui pratiquent l’agriculture biologique ou s’engagent en faveur de la préservation des sols. » En effet, préserver les sols permet d’éviter de recourir aux engrais azotés et réduit donc la présence de nitrate dans l’alimentation. De plus, même si la consommation de viande recule en France, un Français consomme en moyennes aux alentours de 84 kg par an dont une grande partie est produite industriellement ou transformée. Cela engendre des répercussions, à la fois sur l’environnement avec la pollution des sols, les gaz à effet de serre, le développement de la monoculture pour le fourrage et des conséquences socio-économiques puisque la filière de l’élevage intensif se fait aussi au détriment des éleveurs qui perçoivent peu de revenus de leur travail, sans parler des conditions de travail dans les abattoirs. Afin d’aider chacun à changer ses habitudes, la Fondation GoodPlanet proposera à la rentrée un festival baptisé Miam ! les 17 et 18 septembre prochains à Paris, ainsi qu’un livre dédié à l’alimentation durable disponible début septembre.
Julien Leprovost
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