Ce jeudi 28 juillet est le jour du dépassement. Cela signifie que l’humanité a consommé l’entièreté des ressources renouvelables disponibles sur Terre pour l’année. Nous vivons désormais à crédit sur la planète, et ce jour arrive de plus en plus tôt chaque année. Dans cet entretien pour GoodPlanet Mag’, Mathis Wackernagel, créateur du concept de l’empreinte écologique et fondateur de l’ONG Global FootPrint Network, revient sur les enjeux de l’empreinte écologique en 2022. Cette année est marquée par la guerre en Ukraine, les risques de pénuries énergétiques, les alertes sur le climat et la biodiversité et la démographie. Pour des questions de métrologie, le calcul du Jour du Dépassement 2022 n’a pas pu prendre en compte tous ces facteurs.
L’Europe connaît une crise énergétique sans précédent qui l’a contrainte plus que jamais à revoir sa consommation à la baisse. De nombreuses solutions sont mises en place pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures. Est-ce que ces dernières permettront de retarder le jour du dépassement dans les années à venir ?
S’il y a de vraies solutions, les décideurs les mettront en place. Je ne peux cependant pas prédire l’avenir. Nous décrivons seulement ce qu’il risque de se passer. Étant donné que le conflit perdure, les économies vont commencer à réaliser que nous avons besoin de nous fournir en énergie autrement. Il est par ailleurs très intéressant de voir qu’aux États-Unis par exemple, d’un côté, Joe Biden fait pression pour des politiques tournées vers le climat et que d’un autre côté, il se rend en Arabie Saoudite pour les prier de pomper plus de pétrole hors des sols. Il est encore trop tôt, difficile de savoir quelle tendance l’emportera. L’une des premières réactions à la crise énergétique actuelle a été de rouvrir des mines de charbon et des centrales. Or, dans le même temps, on prend conscience qu’il y a urgence à aller au plus vite vers l’efficacité énergétique. Je sais que la demande pour les pompes à chaleur a également énormément augmenté.
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Peut-on voir dans cette crise énergétique un déclic pour une prise en compte de l’empreinte écologique dans l’agenda politique ? Et dans les comportements individuels ?
Pouvons-nous considérer cette crise énergétique comme le déclencheur d’une meilleure prise en compte de l’empreinte écologique dans nos comportements individuels et dans l’agenda politique ? C’est trop tôt pour le dire. Dans l’ensemble, j’ai le sentiment que l’agenda sur le climat et la biodiversité a été affaibli par la pandémie et la guerre en Ukraine. Au Global Footprint Network, nous pensons toujours que la manière la plus positive et productive d’effectuer la transition est de souligner l’importance de la sécurité de nos ressources. Dans un monde où le dépassement persiste, le risque de ne pas disposer de ressources suffisantes est de plus en plus important.
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L’ONU vient d’annoncer que la population humaine dépassera les 8 milliards d’individus en novembre 2022. Quel est votre point de vue sur la question démographique ? Faisons-nous face à une crise de la surpopulation ? Est-il possible de réduire l’empreinte écologique et de retarder le jour du dépassement tout en ayant une population mondiale qui continue de croitre ?
Nous devons regarder l’empreinte écologique totale, et pas seulement les empreintes par personne. Nous avons demandé à de nombreux jeunes si nous devions parler de la population et avons répertorié les réponses en ligne. Par exemple, l’une des jeunes femmes que nous avons rencontrées revient justement sur les naissances nombreuses dans les pays à faible revenu et pointe quelque chose : l’injustice d’une telle situation. Elle dit “Avez-vous visité nos pays ? Êtes-vous allés dans les zones rurales qui constituent la majorité de nos pays ? Avez-vous senti l’odeur de la pauvreté et de la faim ? Avez-vous remarqué des enfants qui traînent autour de leurs mères affamées ? Avez-vous trouvé un ménage avec environ 5 enfants de moins de 5 ans et un autre dans le ventre – avec les filles les plus âgées mariées à 13 ans ?”
Si nous aimons sincèrement les autres, nous devons leur donner une meilleure chance de s’épanouir. Si nous atteignons vraiment les 11 milliards d’habitants en 2100, mais que nous ne disposons pas non plus d’assez de combustibles fossiles pour qu’ils puissent accéder facilement à l’énergie, alors la vie sera injustement difficile pour eux.
Donc, si nous aimons vraiment les êtres humains, encourager les familles moins nombreuses, principalement en s’assurant que les femmes ont les mêmes droits que les hommes et qu’elles peuvent accéder en toute sécurité au planning familial, serait une excellente chose.
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« Le contraire de créer de la motivation est de continuer à alimenter le jumeau toxique du privilège et de la résignation. »
Le dernier rapport de l’IPBES pointe la marchandisation de la biodiversité et le manque de prise en compte des autres valeurs de la nature. Un commentaire ou une réaction ?
L’enjeu n’est pas de déterminer si cela est bien ou mauvais. Je pense que le problème se situe autre part. Economiquement, tous les bénéfices générés sont destinés à un capital de type urbain. Le marché, la théorie économique, et les décideurs économiques demeurent encore largement ignorants de l’importance de la nature. Pourtant, quand on se déplace et qu’on visite les mangroves, vous trouverez les personnes aux revenus les plus faibles qui y vivent.
Que peuvent faire les citoyens pour contribuer au recul du jour du dépassement ?
Mais, il faudrait déjà se demander : veulent-ils y contribuer ? Le problème est le manque de motivation de la société à contrer le jour du dépassement. Les gens sont coincés dans un mode « vérité qui dérange », ils croient de manière sous-entendue que le fait d’en savoir plus sur le défi que représente le recul du jour du dépassement leur donne un fardeau moral plus lourd et limite leurs capacités d’action. Le contraire de créer de la motivation est de continuer à alimenter le jumeau toxique du privilège et de la résignation.
Ce dont nous avons besoin, c’est de susciter une motivation intrinsèque pour mettre fin au dépassement. Cela signifie renforcer d’abord le désir d’agir, en affirmant que je veux opérer un changement, puis l’organisation, en se disant que cela est possible. Enfin, la curiosité, même si nous ne savons pas encore exactement comment faire, c’est ce qui rend la transformation des modes de vie et des sociétés encore plus excitante. Et, ces transformations ont besoin de moi.
Propos recueillis par Romane Pijulet
Article édité le 28 juillet à 10h40 pour corriger une erreur sur le jour de la date dans l’introduction.
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