par Laurent Lespez, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Marie-Anne Germaine, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
À l’approche des Jeux olympiques de 2024, la baignade dans la Seine revient dans l’actualité. S’il soulève de nouveaux défis en matière d’amélioration de la qualité de l’eau, cet objectif fait suite à des projets centrés sur les fleuves et les grandes rivières qui ont consisté à valoriser les fronts d’eau en ville comme cela a été le cas avec les berges de la Seine à Paris, des bords du Rhône à Lyon ou de la Garonne à Bordeaux.
Dans l’ombre de ces cours d’eau, les petites rivières urbaines ont longtemps été délaissées. Elles représentent pourtant la part principale du réseau hydrographique qui traverse les grandes agglomérations (73 % en Île-de-France) et le cadre de vie d’une grande partie des citadins.
Elles peuvent offrir une réponse à la demande croissante de nature en ville exacerbée par la crise sanitaire en fournissant une connexion avec une nature de proximité, mais aussi contribuer à des enjeux rendus urgents par le changement climatique tels que la réduction de l’îlot de chaleur urbain ou la préservation de la biodiversité.
Des cours d’eau dégradés et oubliés
Mal traitées au fil du temps, les petites rivières urbaines sont souvent enterrées, busées, rectifiées et ont fini par être oubliées, car assimilées à un égout ou un fossé comme la Bièvre que l’on redécouvre aujourd’hui.
Avalées par l’extension urbaine et associées à une image négative du fait de leur artificialisation, elles constituent également une des dimensions de l’eau en ville les moins étudiées. Les analyses hydrologiques ont depuis longtemps démontrées qu’elles souffrent de l’urban stream syndrome lié à l’augmentation des zones imperméables, des réseaux de drainage et à la canalisation.
L’accroissement du ruissellement entraîne une amplification et une accélération des inondations aggravant la vulnérabilité des populations riveraines. Il provoque aussi l’incision et l’élargissement des lits mineurs, menaçant l’équilibre du système fluvial et la sécurité d’infrastructures (ponts, berges aménagées) et de terrains riverains.
Les petites rivières urbaines sont également soumises à une diminution des débits estivaux voire des assecs. Elles se distinguent enfin par une dégradation généralisée de la qualité de l’eau) et des habitats et donc de la biodiversité aquatique.
Souvent classées comme des masses d’eau fortement modifiées, elles sont considérées à l’échelle mondiale comme « our least restorable ecosystems ».
Un renouveau du regard
Pourtant, les petites rivières urbaines constituent l’une des rares infrastructures naturelles encore disponibles en ville pour fournir des services écosystémiques. Depuis une quinzaine d’années, elles redeviennent des [enjeux du projet urbain].
Certaines font l’objet d’emblématiques remises à ciel ouvert, de reméandrage, de restauration des berges ou encore d’enlèvement de seuils. Encouragés par la directive-cadre sur l’eau et visant à « réparer » ces cours d’eau, ces projets s’inscrivent souvent dans une stratégie de lutte contre les inondations.
S’accompagnant de la restauration d’espaces d’expansion des crues et de plantations, ces projets ont aussi pour but de participer à la préservation de la biodiversité. Les outils génériques utilisés par les gestionnaires (CARHYCE, I2M2, etc.) peinent cependant à définir des trajectoires d’amélioration de ces rivières.
Il apparaît alors nécessaire de développer des diagnostics hydro-écologiques plus appropriés tenant compte des conditions locales propres à chaque cours d’eau et chaque tronçon afin de proposer des pistes d’amélioration durable plutôt que des solutions standardisées. Il s’agit par exemple de dépasser le diagnostic préférentiel des milieux aquatiques à l’échelle du chenal pour promouvoir des indicateurs intégrant la biodiversité terrestre (trame turquoise) et intégrer les corridors écologiques fournissant des services majeurs).
Une gestion morcelée
Paradoxalement, les cours d’eau suburbains sont les plus appropriés pour associer les populations locales au projet écologique. À l’inverse des grands fleuves navigables dont la gestion est assurée par l’État, la propriété des berges et du fond du lit des petits cours d’eau est morcelée entre une multitude de propriétaires formant une mosaïque d’espaces publics et privés complexifiant leur gestion. Le projet doit donc être multidimensionnel, incluant l’amélioration du potentiel récréatif et du cadre de vie et intégrer riverains et populations locales à la définition des objectifs ainsi qu’à l’action.
Alors que la loi de 1992 reconnaît l’eau comme patrimoine commun de la nation, l’État s’engage à améliorer la qualité de l’eau et des milieux sans maîtrise foncière tandis que les propriétaires riverains sont eux absents des instances de gouvernance de l’eau.
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L’entretien et les choix de gestion de ces petits cours d’eau soulèvent ainsi de nombreux défis interrogeant le modèle français de gouvernance de l’eau. Ces singularités font des petites rivières urbaines un archétype des environnements ordinaires et conduisent à interroger les modalités d’une co-construction d’un bien commun intégrant l’ensemble des acteurs de la rivière.
Réenchantement
Alors que les commutations automobiles des ménages périurbains ont participé à la déconnexion des lieux de vie quotidiens et dans la perspective de « la ville du quart d’heure », les petites rivières urbaines offrent des aménités de proximité dont la valorisation a été jusqu’alors négligée. Leur restauration est l’opportunité d’intégrer les préoccupations des habitants et usagers en matière d’environnement, de paysage, d’accès ou encore de valeurs et de construire une connaissance de ces cours d’eau, de leur fonctionnement et de leur histoire.
Pourtant, les pratiques des propriétaires riverains, premiers gestionnaires, demeurent très mal connues. De nouvelles connaissances reposent sur la caractérisation de la connectivité sociale des petites rivières urbaines qui intègrent des indicateurs tels que la visibilité et l’accessibilité des berges et de l’eau définissant des potentiels d’usage. Des travaux ancrés dans le champ de la political ecology ont analysé la place accordée aux communautés locales, notamment défavorisées, dans ces projets et la manière dont ils peuvent répondre aux enjeux de justice environnementale.
Finalement, il s’agit de dépasser la proposition d’un décor ou d’une infrastructure naturelle sans lien avec les espaces traversés en considérant que la restauration écologique définit une nouvelle matérialité qui prend place dans des territoires hydrosociaux vivants. Mais alors que la relation ville-rivière est bien documentée pour les grands cours d’eau, elle demeure très peu étudiée pour les petites rivières.
Reconstituer la trajectoire de ces environnements permet de reconstituer l’évolution de la relation à la rivière alors qu’ils sont caractérisés par un renouvellement des populations riveraines limitant la transmission de la mémoire des lieux (risque d’inondation, patrimoine, attachement). Cette dimension permet de compenser le concept d’amnésie environnementale générationnelle et contribue à faire de la rivière un commun au-delà des propriétaires riverains pour favoriser l’émergence d’un attachement à cette nature urbaine et développer une culture de la rivière.
Face à l’urgence écologique, nos travaux conduits en particulier au sein du groupe Paristreams ont [pour objectif] de « rendre visible ce que les autres ne savent plus voir, faire sentir ce à quoi ils ne sont plus sensibles », des macroinvertébrés aux crues, du patrimoine hydraulique à la végétation rivulaire, afin de réenchanter la gestion des petites rivières urbaines pour promouvoir une transition socio-environnementale durable.
Laurent Lespez, Professor, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Marie-Anne Germaine, Enseignante-chercheuse en géographie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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denise
L’eau est recyclable à 100% et à l’infini mais pas en France (0.8%), la seule et unique méthode pour perdre de l’eau douce c’est de la jeter en mer au lieu de la recycler PROPREMENT dans les terres.
L’eau est un bien commun qui commence par la pluie, les villes rejettent 90% des pluies dans la mer via les rivières et épuisent les nappes phréatiques l’été en ne recyclant pas l’eau (et en polluant les rivières …). Pour la ville de Niort le potentiel en eaux usées et pluies dépasse les 40 millions de m3 par an … Pour l’Agglo de Bordeaux c’est 1 million de m3 par jour …
Dans les rapports du GIEC il est clairement écrit qu’il n’y aura pas moins d’eau mais une dégradation dans la répartition annuelle des pluies (inondations et sécheresses) ! Inondation c’est quand l’eau repart trop vite vers la mer, sécheresse c’est quand elle est repartie trop vite…
Après une sécheresse historique il faut mathématiquement se préparer à des inondations historiques !
Une pluie, même forte, n’est pas un raz de marée mais elle ne devient AUTOMATIQUEMENT si on ne retient pas l’eau : Retenir en AMONT pour ne pas inonder en AVAL ! Actuellement les rivières françaises rejettent entre 50 et 70% des précipitations (La Sèvre Niortaise est à 75%) alors qu’il ne faudrait jamais dépasser les 30% … ce qui provoque un assèchement mathématique des bassins hydrologiques. Avec 10% du volume des inondations on ne parlerait plus de sécheresse.
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Avec DEUX fois plus de précipitations on aurait DEUX fois plus d’inondations mais toujours pas assez d’eau l’été. Tous les ans les indemnités sécheresses et inondations coutent des milliards aux contribuables sans parler des vies humaines et de la destruction de la biodiversité.