Par Michel Duru, Inrae et Olivier Therond, Inrae
À l’urgence climatique, à l’injonction de ne pas dépasser les limites planétaires – perturbation du cycle de l’azote, érosion de la biodiversité – et aux crises sanitaires, s’ajoute maintenant le débat sur la sécurité alimentaire du fait de la crise en Ukraine. L’élevage et la consommation de produits animaux jouent un rôle clef dans ces crises interdépendantes.
Or, dans les champs scientifiques, médiatiques ou politiques, les visions portées et les solutions promues sont souvent focalisées sur un enjeu et s’appuient donc sur un nombre limité de critères. Ce réductionnisme soutient des politiques publiques en silo qui ne s’attaquent pas aux racines des problèmes voire ne font que les déplacer.
Il crée aussi de la confusion chez les consommateurs en polarisant l’attention soit sur les impacts négatifs de l’élevage et de la consommation de protéines animales, soit au contraire sur les services qu’ils rendent.
Pour être à même de hiérarchiser les enjeux et d’avoir un point de vue critique argumenté sur les politiques et les informations qui circulent, penchons-nous sur trois questions : que sait-on des atouts et limites des protéines animales et des protéines végétales ? Quel est le niveau de compétition entre l’alimentation des animaux et la nôtre ? Pour une même production animale, les différentes façons de produire se valent-elles ?
Des produits animaux plus impactants
Il est clairement établi que les produits animaux ont un impact sur les ressources (énergie, surface, eau) et sur l’environnement (émissions de gaz à effet de serre, pollutions azotées) bien supérieur à celui des produits végétaux, céréales et surtout légumineuses.
Les ruminants (bovins, ovins) affectent par ailleurs jusqu’à cinq fois plus l’environnement que les monogastriques (porcs, volailles). La viande issue de troupeaux laitiers, tout comme le fromage, ont cependant moins d’impacts que ceux provenant d’élevages spécialisés en bovin viande.
Environ 50 % de l’azote apporté en agriculture est perdu dans l’eau et dans l’air. Ces pertes qui contribuent à l’érosion de la biodiversité, à l’eutrophisation des eaux et aux émissions d’ammoniac sont nocives pour notre santé et sont 10 fois plus importantes pour les productions animales en comparaison des cultures.
Les enjeux en matière de santé
En matière de santé, notre consommation moyenne de protéines excède les recommandations d’environ 30 % et les besoins de 50 %. Un régime plus végétalisé est meilleur pour la santé, et jusqu’à 50 % de protéines végétales dans notre assiette, les apports en acides aminés sont équilibrés. À partir de 70 %, l’équilibre entre acides aminés n’est pas satisfaisant, mais cela peut être corrigé en associant des légumineuses à des céréales à l’échelle du repas.
Un régime alimentaire plus végétalisé que la moyenne est donc plus bénéfique pour la santé et l’environnement. En France, il a été montré que le 1/5e de la population française qui suit les recommandations alimentaires pour les protéines animales (0,55g par kg de poids corporel par jour) émet 2 fois moins de gaz à effet de serre et nécessite 2 fois moins de surface agricole que le 1/5e qui en consomme le double.
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Ces données scientifiques permettent de définir un ordre de grandeur pour la baisse de la consommation de produits carnés qui serait de l’ordre de 50 % pour respecter les limites planétaires notamment pour le climat et l’azote.
Ignorant ces données scientifiques, les débats sur la place des protéines animales et végétales, ainsi que sur le niveau de consommation de viande sont souvent mal posés. Il est cependant nécessaire d’identifier quel type de viande affecte le plus la sécurité alimentaire.
Compétition entre notre alimentation et celle des animaux
Le fait que les ruminants affectent jusqu’à 5 fois plus l’environnement que les monogastriques a amené un collectif de scientifiques reconnus à préconiser de bien plus réduire la consommation de viande de bœuf (14 g au lieu de 100g/j) que celle de volaille (29 au lieu de 35g/j). Mais ces recommandations ne tiennent pas compte de la compétition entre notre alimentation et celle des animaux pour l’utilisation des produits végétaux.
Les prairies permanentes, qu’il convient de préserver pour leur intérêt environnemental, et les co-produits agricoles, tels que les pulpes de betteraves, n’entrent pas en concurrence avec notre alimentation. Les ruminants (bovins et ovins) utilisent cependant presque autant de terres arables que les monogastriques (porcs et volailles) : céréales (blé, maïs) et oléoprotéagineux (tourteaux de soja, colza et tournesol), soit près de 50 % de la surface agricole utile, sans compter les prairies temporaires et surtout le soja importé !
La compétition entre notre alimentation et celle des animaux est donc proportionnellement plus forte pour les monogastriques que pour les bovins, en particulier les élevages allaitants. En conséquence, il est suggéré de réduire davantage la consommation de porcs et de volailles que celle de viande de ruminants et de lait.
Récupérer de la surface pour les cultures utiles à notre santé
Ces arbitrages sont cependant à faire au cas par cas, dans les territoires, en fonction de leurs spécificités (comme la présence de prairies permanentes) et en considérant la possibilité de réintroduire des prairies temporaires à base de légumineuses, qui ont de nombreux atouts agronomiques.
Sur ces bases, fonder l’alimentation des ruminants sur l’utilisation des prairies et réduire les monogastriques libérerait une partie des 11 millions d’ha de céréales et d’oléoprotéagineux, tout en permettant de produire de quoi consommer 94 g de viande par jour.
Ces terres pourraient par exemple accueillir les légumineuses dont il faut augmenter les surfaces de 200 000 ha pour en manger comme préconisé 10 kg/an (contre 1,7 kg/an actuellement), ainsi que les fruits et légumes dont le solde net est de -470 000 ha alors même que nous n’en consommons pas assez !
Les services rendus par l’élevage
Considérer les niveaux de compétition entre alimentation animale et humaine est insuffisant pour définir quels types de systèmes d’élevage réduire et garder. Outre les impacts, tenons aussi compte des services rendus à la société : la séquestration de carbone dans les sols, le contrôle de l’érosion, la fourniture de produits riches en vitamines et en Oméga3 à fonction anti-inflammatoire ou encore la conservation de la biodiversité.
La comparaison de 4 filières de production de poulets révèle ainsi que les effets sont plus faibles pour le mode de production conventionnel en comparaison de la filière Bleu Blanc Cœur, mais aussi des labels rouge et bio ! La prise en compte de la fourniture de services et du bien-être animal inverse en revanche le classement ! La hiérarchie entre modes d’élevage est similaire pour le porc.
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Pour la production laitière, un système d’élevage à l’herbe (le plus souvent bio) présente de loin les plus faibles impacts environnementaux et rend des services plus importants à la société. Ces élevages, meilleurs pour notre santé et le bien-être des animaux, exigent toutefois plus d’espace. Consommer bien moins de produits animaux fait plus que compenser ce besoin supplémentaire en surfaces.
Les façons de produire pourraient encore être améliorées, par exemple, en utilisant les déjections animales pour produire du méthane tout en restituant une partie des matières organiques, en pâturant friches et inter-rangs de cultures pérennes enherbées, ou en développant l’agroforesterie pour l’ombrage et le fourrage.
Les formes d’élevage ayant le meilleur score favorisent les synergies entre plantes (légumineuses, arbres…) et animaux, tout en promouvant la biodiversité dans les sols.
Pour un élevage « multifonctionnel »
Adapter la consommation de protéines animales à nos besoins et renforcer la place des légumineuses, baser l’alimentation des ruminants sur les prairies et celui de monogastriques sur les co-produits, et favoriser les conduites d’élevage qui maximisent les services… Ces différents niveaux d’analyse aident à identifier les transformations prioritaires pour une alimentation saine et durable dans un environnement protégé.
Il s’agit donc :
D’une part de ne pas polariser le débat sur les modes d’élevage sans avoir resitué la question de l’élevage et des protéines animales dans un contexte plus large, prenant en compte les enjeux de santé et d’environnement ;
D’autre part d’éviter de s’orienter vers de « fausses bonnes solutions » en ne considérant qu’un nombre limité de critères conditionnés par les centres d’intérêt, notamment pour comparer différentes formes d’élevages ;
De considérer ensuite des spécificités régionales (ex. existence ou non de prairies) pour trouver des solutions pertinentes localement ;
D’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de politiques plus ambitieuses que la PAC pour produire « moins mais mieux », d’autant plus que le projet européen « Farm to Fork » jugé par certains acteurs trop contraignant, ne permet déjà pas d’atteindre les objectifs qu’il se fixe.
Et enfin de sensibiliser les think tank et d’informer les citoyens qui en Europe sont encore loin de mobiliser ces acquis scientifiques.
Michel Duru, Directeur de recherche, UMR AGIR (Agroécologie, innovations et territoires), Inrae et Olivier Therond, Ingénieur de recherche, agronome du territoire, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Francis
Il ne faut pas oublier que si les adultes peuvent être végétariens sans trop de danger, les enfants et adolescents ont absolument besoin de protéines et de matières grasses animales pour la construction de leur cerveau. C’est une spécificité de l’espèce humaine. Attention à ne pas produire des générations de crétins.