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Les légumineuses, pilier pour des systèmes agroalimentaires plus durables en Europe

agrocarburants

Biche traversant un champ de colza dans la vallée de Chevreuse, Yvelines, France. © Yann Arthus-Bertrand

Par Nicolas Guilpart, AgroParisTech – Université Paris-Saclay; David Makowski, Inrae; Marie-Hélène JEUFFROY; Olivier Réchauchère, Inrae et Rémy Ballot, Inrae

L’explosion actuelle du prix des engrais azotés de synthèse, liée à celle du gaz, renchérit les coûts de production de la plupart des grandes cultures comme le blé ou le colza. L’Europe est en outre globalement déficitaire en protéines végétales. Développer la culture des légumineuses, qui ne nécessitent pas de fertilisants azotés, apparaît donc intéressant.

Rappelons que le terme de légumineuses renvoie, dans les systèmes agricoles, à deux groupes : les légumineuses fourragères, utilisées en plante entière dans l’alimentation des ruminants – luzerne, trèfle, vesce… – et les légumineuses à graines (protéagineux ou légumes secs) dont les graines sont récoltées pour l’alimentation animale ou humaine – soja, pois, fève, lentille, haricot…

Les légumineuses peuvent être cultivées pures (une seule espèce dans la parcelle), en cultures annuelles associées, ou en prairies multi-espèces et pluriannuelles. Elles peuvent s’insérer dans les rotations en culture principale, en culture intermédiaire (implantée entre deux cultures principales pour fournir des services autres que la production) ou en plantes de service, cultivées avec une culture principale pour lui apporter divers bénéfices.

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Face à l’instabilité récurrente des marchés agricoles, encourager la culture des légumineuses réduirait la dépendance de nos systèmes alimentaires à l’égard des importations de protéines végétales. Sans compter que les légumineuses représentent une option de diversification des cultures dans les territoires et procurent une série de bénéfices écologiques et socio-économiques. Encore faut-il qu’il existe un potentiel d’extension de ces cultures, et que l’on sache comment les intégrer dans les systèmes de culture.

Moins d’impact sur le climat et l’environnement

Penchons-nous d’abord sur les bénéfices associés aux cultures de légumineuses. Grâce à une symbiose avec des bactéries au niveau de leurs racines, ces plantes sont capables d’utiliser l’azote présent dans l’atmosphère pour assurer leur croissance et synthétiser leurs protéines.

Pour croître, et produire des fourrages et des graines, elles ne nécessitent donc pas d’engrais azotés de synthèse (tels que l’ammonitrate ou l’urée), dont l’utilisation engendre des émissions de protoxyde d’azote (N₂O), puissant gaz à effet de serre (GES). Des émissions qui représentent en France près de la moitié de celles du secteur agricole.

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La fabrication de ces engrais, très coûteuse en énergie (et donc économiquement), induit par ailleurs des émissions de CO2, et leur usage, quand il est excessif, contribue à polluer l’eau par les nitrates.

Une partie de l’azote que les légumineuses prélèvent dans l’atmosphère et laissent dans le sol via les résidus de cultures et le système racinaire se retrouve disponible pour les cultures suivantes dans la rotation. Cette fourniture d’azote par les légumineuses est utile pour réduire la dépendance des systèmes agricoles aux engrais azotés, et constitue une source d’azote essentielle pour les systèmes en agriculture biologique.

Diversification, autonomie alimentaire, santé

Les légumineuses contribuent par ailleurs à la diversification des systèmes de grande culture européens, très spécialisés dans la production de céréales et oléagineux. Cette diversification apporte des bénéfices agroécologiques en matière de qualité des sols et de biodiversité, tout en perturbant le cycle biologique des insectes ravageurs, des maladies des cultures principales et des plantes indésirables.

Produire plus de légumineuses en Europe contribuerait aussi à améliorer l’autonomie alimentaire de nos élevages : en 2021, l’Union européenne a ainsi importé 15 millions de tonnes (Mt) de graines de soja et 16 Mt de tourteaux pour alimenter ses animaux d’élevage. Mais cette substitution de protéines importées par des légumineuses cultivées localement suppose de réduire les surfaces cultivées avec d’autres cultures, ou de transformer les systèmes d’élevage pour donner plus de place à l’herbe et aux légumineuses fourragères.

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Dans nos régimes alimentaires européens, où les protéines animales dominent, le rééquilibrage de la consommation vers les végétales a des bénéfices pour la santé tout en réduisant les surfaces consacrées à la production d’aliments pour les animaux.

Pour développer la culture des légumineuses, il faut travailler à deux échelles : continentale, pour estimer le potentiel agroclimatique de l’extension des légumineuses ; et du territoire et du champ cultivé, pour évaluer le potentiel et la faisabilité du développement de ces cultures.

Potentiel agroclimatique du continent européen

Culture de soja en France.
Nicolas Guilpart, Fourni par l’auteur

Pour mesurer le potentiel agroclimatique de l’extension des légumineuses, nous nous sommes ainsi penchés sur le soja, dont le prix a presque doublé en 2 ans alors que les surfaces de soja ont quadruplé en 12 ans sur le continent européen, pour atteindre 5 millions d’ha en 2016. Malgré cela, le soja représente seulement 1,7% des surfaces cultivées. Les importations, notamment du Brésil et de l’Argentine, restent majoritaires (90%) dans la consommation du continent.

La capacité du continent européen à devenir autosuffisant en soja ne devrait pas être remise en cause avec l’évolution du climat. Selon nos modèles d’estimation du rendement du soja en Europe, le continent pourrait atteindre une autosuffisance de 50% à 100% d’ici à 2050 si 4% à 11% des terres cultivées européennes étaient consacrées au soja.

Projections de rendement du soja en climat historique (A) et en climat futur (B). Le climat futur correspond à un réchauffement fort (RCP 8.5).
Adapté de Guilpart N. et al, Nature food, article cité)

Une telle expansion contribuerait à réduire la « déforestation importée » et à diminuer de 4 à 17% l’usage des engrais azotés sur le continent. Les changements d’usage des terres en Europe et à l’international générés par une telle expansion doivent toutefois être étudiés.

Ainsi, atteindre une autosuffisance de 50% impliquerait environ 9 millions d’ha supplémentaires de soja, soit 15% de la surface en blé sur le continent européen. Quel serait l’impact d’une telle hausse sur la production d’autres cultures en Europe et dans le monde ? La question est cruciale, a fortiori dans un contexte d’instabilité des cours des denrées agricoles.

D’autres légumineuses comme le pois ou la féverole présentent un bon potentiel agroclimatique. Mais l’évaluation de ce potentiel ne dit rien des conditions socio-économiques nécessaires au développement concret de ces cultures, notamment leur rentabilité pour les agriculteurs.

Faisabilité territoriale

Face aux nombreux problèmes agronomiques rencontrés par les successions culturales simplifiées à base de colza et céréales d’hiver qui dominent sur le plateau Langrois, en Côte d’Or, les acteurs du territoire se sont mobilisés avec l’une de nos équipes de recherche pour étudier la faisabilité d’une diversification de ces successions, en y introduisant des légumineuses.

Afin qu’émerge une vision commune du territoire intégrant filières, exploitations agricoles et ressources naturelles, de nouveaux systèmes de culture intégrant des légumineuses ont été conçus lors d’ateliers participatifs. Ils ont servi de base de discussion aux acteurs pour définir des objectifs concernant la place des légumineuses dans leur territoire.

Atelier de conception de systèmes de culture en Bourgogne.
Marie-Hélène Jeuffroy, Fourni par l’auteur

4 scénarios contrastés ont été élaborés et simulés, avec des superficies consacrées aux légumineuses (pois, lentille, sainfoin, luzerne) variant de 9 à 23% des surfaces, contre 6% aujourd’hui sur le territoire. Des projets de diversification ont ensuite été initiés sur le territoire; reste à évaluer la pérennité des changements et les conditions de leur généralisation.

L’articulation des deux approches que nous venons de présenter permet d’identifier les espèces de légumineuses et les zones les plus prometteuses à leur développement, tout en accompagnant leur insertion à l’échelle locale.

Enjeu de politiques publiques

Reste enfin la question des politiques publiques pour accompagner et stimuler ces transitions. L’UE a consacré des moyens importants dans les années 70 et 80 pour promouvoir la culture des légumineuses. Les protéagineux ont ainsi dépassé 700 000 ha en France dans les années 1990, mais depuis 30 ans, leur production n’a fait que baisser, la surface chutant à 467 000 ha en 2000 puis à 313 000 ha en 2020, ce qui montre l’intérêt de politiques publiques fortes et suivies.

Depuis 1975, après l’embargo américain sur le soja, les plans protéines se sont succédé sans que la culture de protéagineux ne s’ancre dans les paysages. Les orientations prises avec la PAC 1992 ont contribué à réduire les surfaces, avec un soutien plus orienté vers les céréales.

Il s’agit d’un cas typique de verrouillage sociotechnique, qui explique les faibles surfaces des cultures de diversification : l’ensemble du système (recherche, sélection variétale, production de semences, entreprises de collecte et de transformation, conseil agricole) est organisé et spécialisé autour des cultures dominantes et tend à les renforcer au détriment des cultures de diversification.

L’installation durable des légumineuses dans les territoires requiert donc aussi des politiques publiques incitant l’ensemble des acteurs concernés à s’impliquer de manière coordonnée dans une démarche de changement.


Elise Petzer, chargée de recherche dans l’UMR Agronomie jusqu’en 2020 avant de se mettre en disponibilité de l’Inrae pour rejoindre le réseau des Chambres d’agriculture, a porté une partie des travaux cités et a contribué à la rédaction de cet article.The Conversation

Nicolas Guilpart, Maître de conférences, AgroParisTech – Université Paris-Saclay; David Makowski, chercheur, Inrae; Marie-Hélène JEUFFROY, Directrice de Recherche; Olivier Réchauchère, Ingénieur de recherche, Inrae et Rémy Ballot, Ingénieur de recherche, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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