Caracas (AFP) – « Il faut transformer l’égout en rivière », répète sans se lasser Florinda Amaya, une des animatrices du projet « Rêve de Catuche », petit « barrio » ou bidonville de 5.000 habitants au centre de Caracas.
Le quartier porte le nom de la rivière (« quebrada ») qui le traverse. Pendant des années, des maisons se sont empilées de manière anarchique autour du cours d’eau dans cette zone normalement inconstructible…
Jusqu’au drame en 1999. Des pluies diluviennes ont fait sortir la rivière de son lit, emportant 400 maisons du quartier pour un bilan de 11 morts.
200 familles ont été relogées en amont de la zone, dans des immeubles construits sur des terrains sécurisés et copiant un peu l’organisation du quartier avec passerelles et couloirs reliant les habitations. Une réussite, selon les heureux élus interrogés.
Toutefois, 200 autres familles ont attendu en vain la construction d’autres édifices et ont fini, lassées d’attendre, par réoccuper les zones inconstructibles avant que d’autres le fassent avant eux.
En octobre, la coulée de boue d’une rivière sortie de son lit a fait plusieurs dizaines de morts à Tejerias, à 60 kilomètres de Caracas, après des pluies diluviennes. Selon les autorités, celles-ci étaient dues au dérèglement climatique et les experts estiment que les zones à risques comme Catuche le sont plus aujourd’hui qu’hier.
Le projet « Rêve de Catuche » consiste notamment à reconquérir la zone de l’égout avec des places et un chemin, créer un « corridor écologique », renforcer les berges et interdire de nouvelles constructions, le tout afin d’éviter une nouvelle catastrophe.
« Des gens arrivent et occupent un espace qui ne devrait pas l’être. L’eau peut monter à tout moment (…), emporter votre maison (…), Nous ne voulons pas que d’autres familles, subissent à nouveau » le même drame, explique Mercedes Perez, ancienne du quartier, qui habitait en aval de la « quebrada ». Relogée avant le drame de 1999, elle se souvient d’avoir « vécu dans la peur d’être prisonnière des eaux ».
Elle veut notamment que les habitants « arrêtent de jeter des ordures dans la rivière ». « Réfrigérateurs et matelas », selon Mercedes Perez, mais aussi d’innombrables sacs et emballages plastique, vêtements et déchets organiques sont visibles.
Penser en couleurs
« Cela bouche l’égout et quand les eaux montent, la rivière sort de son lit. C’est ça qu’on veut éviter ».
La collecte d’ordures avec des camions est impossible dans le dédale des maisons. Il n’existe qu’un seul container pour les déposer à l’extérieur du quartier.
Depuis plusieurs années, des étudiants en architecture de Caracas, encadrés par des enseignants de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette, participent au projet de réaménagement en concertation avec les habitants.
« Il faut penser en couleurs », lance l’architecte français Marc Bourdier aux étudiants regroupés sur un petit terrain près de la rivière: « Rappelez-vous: c’est un espace commun mais c’est aussi un endroit de passage ».
« L’idée est de proposer des solutions sur les espaces bordant la rivière afin que l’espace commun soit utilisé par tous et ne soit pas à nouveau envahi », souligne Florinda Amaya.
Une gageure alors que la pression pour se loger est très forte.
A moins de 100 mètres des étudiants, Teodosio Ramirez, 62 ans, lampe à souder en main, construit pour des habitants une échelle-escalier qui passe au-dessus du chemin longeant l’égout.
Avec du matériel de récupération (bois et ferraille) et du ciment, ils sont en train d’ajouter un étage à leur petite maison. « La maison grandit comme la famille », confie Teodosio.
Derrière le petit édifice, en montant par un escalier, apparait un grand trou dans la montagne provoqué par les pluies et le ravinement. Nul besoin d’être un expert pour comprendre pourquoi la zone est inconstructible…
Ca n’émeut pas outre mesure Teodosio qui vit dans le quartier depuis 1971 et a pourtant « tout perdu le 14 décembre 1999. Ma maison est tombée ». Il en a reconstruit une non loin.
Un des éléments clés du projet ce sont « les berges. Il y a tout un travail pour qu’elles ne soient pas réoccupées par des maisons. Et un travail des ingénieurs et des botanistes pour les faire tenir, même lors d’une nouvelle inondation », explique l’architecte Claudio Secci, soulignant que l’enracinement de certaines plantes renforce le terrain.
« Il faut que (la rivière) soit une richesse pour nous », s’enthousiasme Mercedes, citant les fruits et légumes poussant le long des berges: « avocats, citrons, pamplemousses, ignames, piments… »
« On veut pouvoir marcher sur le chemin vert sans salir ses chaussures. On veut vivre dans un endroit sain et beau », s’exclame-t-elle: « On veut une rivière propre pour pêcher la truite ! ».
© AFP
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