Rumah (Arabie saoudite) (AFP) – Dans les dunes dorées du désert saoudien, l’éleveur Hamad al-Marri émet des cris incompréhensibles pour tous, sauf pour ses dromadaires, qui réagissent instantanément et se rassemblent derrière lui en ordre de marche, perpétuant ainsi une tradition orale séculaire.
Accompagnée de chants et de gestes, cette forme d’expression appelée Alheda’a permet de diriger des troupeaux de camélidés à travers les larges étendues de sable de la péninsule arabique.
Inscrite en février 2022 par l’Unesco sur la liste du patrimoine culturel immatériel, l’Alheda’a met en relief les liens particuliers entre ces animaux et les éleveurs de la région du Golfe.
« Il y a un langage spécial entre le propriétaire et son dromadaire », explique ce fonctionnaire âgé de 36 ans, qui fait paître une centaine de bêtes à 150 km au nord-est de la capitale Ryad.
« Les dromadaires reconnaissent le son de la voix de leur propriétaire et lui répondent immédiatement », ajoute-t-il, soulignant qu’ils ne « répondent pas » à des voix inconnues.
Appelés les « navires du désert », les chameaux d’Arabie à une bosse ont longtemps été l’un des principaux mode de transport dans le royaume, soutenant une activité d’élevage lucrative.
« Il y a de nombreuses inscriptions rupestres montrant des dromadaires peints et racontant (leur) histoire, que ce soit dans la guerre ou pour le commerce », souligne Jasser al-Harbash, qui dirige la Commission saoudienne pour le patrimoine.
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La demande d’inscription de l’Alheda’a sur la liste de l’Unesco, déposée par l’Arabie et deux pays voisins – Oman et les Emirats arabes unis – vise à « protéger » cette tradition du Golfe, et soutenir « son développement », explique le responsable saoudien.
Répertoire unique
Chaque éleveur, selon l’Unesco, utilise un répertoire unique de sons pour guider son troupeau, ou pour rassembler rapidement les bêtes en cas de danger imminent, comme une tempête de sable.
Les dromadaires sont entraînés « à différencier la droite de la gauche, à ouvrir la bouche quand on le leur demande et à s’agenouiller pour être montés », explique l’Unesco sur son site internet soulignant le « lien fort » crée avec l’animal.
La pratique se « transmet au sein des familles et des communautés, les enfants accompagnant les adultes lors de leurs déplacements quotidiens », ajoute la même source.
C’est en observant son père et ses grands-pères que l’homme d’affaires Mansour al-Qatula dit avoir appris l’art de parler aux animaux.
A son tour, il partage avec ses trois enfants un « héritage transmis de père en fils depuis des centaines d’années ».
« Mes enfants adorent ça, ils demandent toujours à venir ici, et leurs voix aussi sont reconnues », raconte-t-il à l’AFP.
Concours de beauté et lifting
Avec une centaine de bêtes dans son cheptel, l’éleveur a participé au début du mois au prestigieux festival de chameaux du roi Salmane ben Abdelaziz Al-Saoud, un événènement très suivi organisé chaque année dans le royaume.
Au menu, des courses et un celèbre concours de beauté reposant sur des critères exigeants.
Les animaux sont jugés sur leurs lèvres, leur cou, leur bosse ou leur couleur, avec à la clé des prix dont le montant total atteint 350 millions de riyals (86 millions d’euros).
Lors de la dernière édition, plusieurs participants avaient été disqualifiés pour avoir injecté du botox à leurs camélidés.
Pour Mansour al-Qatula, l’Alheda’a permet de tisser des liens uniques avec les animaux.
« Lorsque le propriétaire s’intéresse à son chameau, prend soin de lui et lui rend visite régulièrement, il le lui rend bien », explique-t-il en caressant l’une de ses bêtes.
Lorsqu’il commence à chanter pour lui, l’animal laisse échapper un blatèrement.
« Regardez », dit-il en riant. « Il partage mes sentiments. »
© AFP
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