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Liban : le procureur général inculpé dans l’affaire de l’explosion du port

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Le port de Beyrouthe avec ses silos en ruines, le 9 avril 2021 © AFP/Archives JOSEPH EID

Beyrouth (AFP) – Le juge chargé de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth en 2020 a continué de défier le pouvoir mardi en inculpant le procureur général, une décision inédite dans l’histoire du Liban, rejetée par le parquet.

A la surprise générale, Tarek Bitar avait décidé lundi de reprendre son enquête sur cette explosion qui avait fait plus de 215 morts et 6.500 blessés, après une suspension de plus d’un an, malgré les énormes pressions politiques auxquelles il est soumis.

Il avait commencé par inculper lundi deux hauts responsables de la sécurité pour « homicide avec intention probable ».

Mardi, M. Bitar a inculpé le procureur général près la cour de Cassation, Ghassan Oueidate, et sept autres personnes parmi lesquelles trois magistrats, a indiqué un responsable judiciaire à l’AFP.

Le parquet a rejeté toutes les décisions du juge Bitar, lui signifiant qu’il ne pouvait pas reprendre son enquête, selon un document obtenu par l’AFP.

« Puisqu’il (Bitar, ndlr) considère le parquet comme inexistant, nous le considérons aussi comme inexistant », a affirmé M. Oueidate à l’AFP.

Le juge, qui n’a pas d’affiliation politique connue, s’est mis à dos une grande partie de la classe politique, notamment le puissant parti Hezbollah pro-iranien qui avait exigé son remplacement.

Les autorités libanaises refusent depuis le début toute enquête internationale.

 Anciens ministres

« Enquête sur le port: Tarek Bitar est devenu fou », titrait mardi le quotidien Al-Akhbar, proche du Hezbollah qui domine la vie politique au Liban.

L’énorme explosion du 4 août 2020 avait été provoquée par le stockage sans précaution de centaines de tonnes de nitrate d’ammonium dans un entrepôt au port.

Elle a été imputée par une grande partie de la population à la corruption et la négligence de la classe dirigeante, accusée également par les familles de victimes et des ONG de torpiller l’enquête pour éviter des inculpations.

Selon le responsable judiciaire, M. Oueidate avait supervisé en 2019 une enquête des services de sécurité sur des fissures dans l’entrepôt où était stocké le nitrate d’ammonium sans mesures de sécurité.

Le juge Bitar a fixé les dates pour les interrogatoires de 14 personnes, entre le 6 et le 13 février, selon le responsable judiciaire. Parmi elles figurent l’ancien Premier ministre Hassan Diab et d’anciens ministres.

M. Diab, qui dirigeait le gouvernement lors de l’explosion du 4 août 2020, avait déjà refusé de comparaître.

Lundi, le juge Bitar a décidé en outre d’inculper le puissant directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, considéré comme proche du Hezbollah, et du chef de la Sûreté d’Etat, Tony Saliba, proche du président sortant Michel Aoun.

Le magistrat a décidé de reprendre l’enquête après une tentative des autorités ces derniers mois de nommer un juge suppléant à leur solde pour le court-circuiter. Mais elle a tourné court.

 « Ordres américains »

Le juge Bitar avait cependant dû interrompre son enquête en décembre 2021, du fait de dizaines de poursuites lancées contre lui par des responsables politiques, notamment ceux qu’il souhaitait interroger.

Le quotidien Al Akhbar l’a accusé mardi d’agir « sur la base d’ordres américains et avec un soutien judiciaire européen ».

M. Bitar avait rencontré la semaine dernière deux magistrats français, venus à Beyrouth dans le cadre de l’enquête ouverte en France, des Français figurant parmi les victimes de l’explosion.

Le porte-parole du Département d’Etat a assuré que les Etats-Unis exhortaient autorités libanaises « à mener une enquête rapide et transparente », selon un tweet mardi de l’ambassade américaine à Beyrouth.

« Les autorités libanaises ont systématiquement et sans aucune honte entravé le cours de la justice », a pour sa part estimé Amnesty International dans un communiqué.

« Au lieu de créer de nouveaux obstacles, le gouvernement devrait prendre toutes les mesures pour garantir que l’enquête locale reprenne sans ingérence politique », a souligné l’ONG.

Le Liban est plongé depuis 2019 dans une crise socio-économique sans précédent, largement imputée à la corruption et l’incurie de la classe dirigeante.

Selon l’agence officielle NNA, des manifestants ont bloqué des routes mardi soir à Beyrouth et dans d’autres villes pour protester contre la détérioration des conditions de vie et l’affaiblissement de la livre libanaise, qui a atteint la semaine dernière le seuil des 50.000 livres pour un dollar américain sur le marché parallèle.

© AFP

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