Sur quels critères se fonde une pêche durable ? C’est en substance la question à laquelle tente de répondre Didier Gascuel dans le livre La pêchécologie Manifeste pour une pêche vraiment durable publié aux éditions Quae. Cet enseignant chercheur en écologie halieutique, qui dirige le pôle halieutique à l’Institut Agro Rennes, y fustige l’approche purement économique de la gestion durable des ressources marines. Dider Gascuel plaide pour une approche plus globale de l’exploitation de la mer, dans le respect du vivant et dans le souci de faire vivre les littoraux. Il donne le nom de pêchécologie à cette démarche en devenir. Dans cet entretien autour de la pêchécologie, Didier Gascuel explique la démarche.
Vous défendez l’idée d’une pêchécologie. Le néologisme pêchécologie sonne un peu comme agroécologie, mais, au fait, qu’est-ce que c’est concrètement ?
La ressemblance entre pêchécologie et agroécologie ne doit effectivement rien au hasard. Mon idée est de reprendre le même vocabulaire car on a besoin d’une agroécologie de la mer. L’agroécologie consiste à s’appuyer sur le bon fonctionnement des écosystèmes pour produire dans le système agricole. Fondamentalement au départ, l’idée de la pêchécologie est de s’appuyer sur le bon fonctionnement des écosystèmes marins pour mieux pêcher. C’est minimiser l’impact environnemental pour chaque kilogramme de poisson pêché et en maximiser l’utilité économique et sociale.
« On a besoin d’une agroécologie de la mer »
Sur terre, on a transformé les paysages et les écosystèmes pour produire notre alimentation, tandis que, sur mer, on exploite la biodiversité marine naturelle. La pêchécologie a donc deux objectifs principaux. Le premier est de pêcher avec le moins d’impact possible sur les ressources, sur les fonds marins, sur la faune sous-marine, les poissons, les mammifères ou les oiseaux marins, sur le climat et les écosystèmes. Dans le même temps, il faut garder en tête que les ressources de la mer demeurent un bien rare dont il faut maximiser l’utilité sociale et économique. En clair, il faut pêcher pour nous fournir de la protéine sans oublier que les activités de pêche contribuent à l’aménagement des territoires. Ainsi, la petite pêche fait vivre le tissu économique et social des petites villes côtières. La pêche ce n’est donc pas que les pêcheurs, c’est aussi l’instituteur, le coiffeur et le garagiste…
Existe-t-il un exemple d’approche réussie dans la pêchécologie ?
Plutôt qu’un label ou un état, la pêchécologie s’avère un processus. De nombreux segments de la pêche se sont engagés dans ce processus de réduction des impacts. On peut citer la petite pêche côtière qui se tourne vers la pêche douce, avec des engins à fable impact sur le climat ou le milieu en pêchant avec des lignes, des casiers ou dans certains cas des filets. Ils ciblent en général des ressources qui se portent bien.
Même s’il n’y a pas d’exemple parfait, je peux citer celui des coquilles Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc en Bretagne. Il y a une trentaine d’années, la ressource se portait mal, trop exploitée par les 200 bateaux présents. Si, à l’époque, on avait suivi la logique libérale qui guide la gestion des pêches en Europe, on aurait divisé par 2 puis encore par 2 et ainsi de suite la flotte jusqu’à ne garder que 3 ou 4 gros navires qui exploiteraient ce gisement. À Saint-Brieuc, les pêcheurs ont choisi collectivement de limiter leurs captures. Ils ont ainsi décidé de ne pêcher qu’avec une seule graille à coquilles pendant la moitié de l’année, 2 jours par semaine et durant trois quarts d’heure. Le suivi scientifique montre que la ressource est bien gérée, les 200 bateaux sont encore là. Les petits ports de la côte nord de la Bretagne vivent très bien de ces activités pérennes.
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De nombreux exemples ont déjà montré que les pêcheurs peuvent diminuer de beaucoup leurs impacts. Cela ne se cantonne pas à la petite pêche. La grande pêche industrielle peut aussi abandonner le chalut pour la palangre, par exemple.
Depuis près de 30 ans, on nous parle pourtant de pêche durable. Les chiffres de la FAO ( extraits du rapport sur l’état des pêcheries dans le monde en 2022 – données de 2019) montrent que la surpêche progresse puisque on est passé de 10 % des stocks de poissons pêchés de manière non durable en 1974 à plus de 35 % en 2019… Dès lors la notion de pêchécologie est-elle aussi une manière de dire que jusqu’à présent la pêche durable a une portée limitée, voire qu’elle a failli, et que, de facto elle n’existe pas ? De plus, la question de la durabilité ne se réduit plus seulement au volume des prises, mais à la capacité à limiter les impacts ?
Une des grandes idées de la pêchécologie est de dire que ce qu’on appelle aujourd’hui la pêche durable est entre guillemets « une arnaque ». En réalité, on appelle pêche durable une situation dans laquelle on laisse juste assez de poissons pour que les populations puissent se reproduire. Compte tenu de l’incroyable fécondité des animaux marins, il suffit d’un très petit nombre de géniteurs pour renouveler une population. Un poisson pouvant pondre des dizaines voire des centaines de milliers d’œufs, si ce n’est plus selon les espèces. Si on se contente de cet objectif-là, on peut se retrouver avec des océans dépeuplés où vivent majoritairement des juvéniles. Par exemple, en Mer du Nord, on a fait disparaître toutes les morues de plus de 4 ou 5 ans. Plus de 95 % des spécimens de cette espèce ont moins de 4 ans. Ce qu’on appelle actuellement la pêche durable correspond à une vision productiviste qui aboutit à des océans dépeuplés et des engins de pêche d’une taille démesurée qui labourent les fonds marins tout en émettant beaucoup de CO2 pour capturer les rares petits poissons restant.
« Ce qu’on appelle aujourd’hui la pèche durable est entre guillemets « une arnaque ». »
Or, l’ambition de la pêchécologie est de substituer à cette situation, qui nécessite beaucoup de moyens pour exploiter une ressource rare, une situation de ressource plus abondante qu’on peut exploiter grâce à la pêche douce. On pourrait multiplier par deux l’abondance des poissons dans la mer, tout en pêchant autant qu’aujourd’hui, mais avec des méthodes moins impactantes sur la biodiversité.
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Pour rebondir sur la biodiversité, la création d’AMP (aires marines protégés), pourtant au centre de toutes les attentions quand on parle de protection des océans, ne semble pas suffire pour garantir une restauration de la biodiversité. En dépit de leurs succès et d’études qui ont démontré leur intérêt, les AMP montrent un rôle somme toute assez limité dans la régulation de la pêche. Pour quelles raisons ?
L’un des problèmes avec les AMP réside dans le fait que plus on en crée plus on diminue le niveau de protection. Dans certains cas, il arrive même qu’on chalute plus à l’intérieure d’une aire marine protégée qu’à l’extérieur. La France se targue d’être une bonne élève dans ce domaine avec 30 % de ses eaux couvertes par une aire protégée. On voit néanmoins que les discours sur la durabilité sont en décalage avec la réalité.
« Plus on crée d’aires marines protégées, plus on diminue le niveau de protection. »
On a besoin de mettre en place un vrai réseau cohérent d’AMP. Parvenir à réellement protéger 10 % des eaux françaises, dont au moins 5 % en métropole afin que la protection ne concerne pas que les zones quasi-vierges de l’outre-mer. Cela multiplierait par 20 les efforts de protection. Dans le même temps, au lieu de se lancer dans une course en avant aux AMP, il vaudrait mieux appliquer partout les principes de pêchécologie. Ce qui implique de mettre en place un plan de déchalutisation de la pêche française. Apprendre à se passer du chalut est compliqué, on n’en sortira certainement pas demain matin car il représente plus de la moitié des prises. Il est toutefois envisageable de se fixer des objectifs pour y parvenir progressivement. Il faut discuter avec les acteurs d’un plan pour viser une réduction 30 % du chalut en 2030 avec l’objectif de tendre vers zéro chalut à l’horizon 2050. Réduire le chalut permet à la ressource de se reconstituer, puis de redevenir abondante et ainsi de développer une pêche douce capable de remonter autant de poissons avec des techniques alternatives au chalutage dont l’impact sur l’environnement est moindre.
« Mettre en place un plan de déchalutisation de la pêche française. »
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La pêchécologie insiste sur les autres dimensions de la durabilité de la pêche comme l’emploi, la culture de la pêche, la préservation des réserves halieutiques, des milieux et semble induire un retour à une pêche plus petite, moins industrielle. Sur le papier, la démarche vertueuse fait envie, mais, dans la pratique, comment y parvenir ? Comment éviter aussi que la pêchécologie ne soit récupérée par les industriels pour verdir leur image ?
Ce n’est pas parce que des gens font du greenwashing qu’il faut s’empêcher de vouloir préserver la biodiversité marine. La pêchécologie concerne toute la filière de la pêche, elle ne se limite pas aux petits pêcheurs. Elle doit d’abord reposer sur le respect de principes. On aura encore besoin de grands bateaux pour pêcher loin des côtés. Toutefois, la pêche au niveau de la bande côtière doit être l’apanage des petits bateaux. Parvenir à réduire l’impact des activités de pêche doit permettre de maintenir un mode de vie et une culture dans les villes littorales. Il faut également, dans un pays comme la France entendre la pêche en tant qu’outil d’aménagement du territoire.
« Ce n’est pas parce que des gens font du greenwashing qu’il faut s’empêcher de vouloir préserver la biodiversité marine. »
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Quel rôle pour la pêche dans l’alimentation au XXIe siècle avec le défi démographique de nourrir le monde, de réduire la part des protéines animales et de vivre dans un monde bas carbone ?
La pêche condense toutes les questions liées à l’environnement. La pêche est au cœur des enjeux de biodiversité puisqu’elle est le premier facteur d’impact sur la biodiversité marine. C’est aussi la seule activité humaine qui dépend de la biodiversité marine. La pêchécologie devrait faire du monde de la pêche le premier défenseur des océans, notamment face au développement d’autres activités menaçant les océans.
Les ressources de la mer sont limitées. Les Nations unies nous disent qu’on peut tirer annuellement de manière vraiment durable de 85 à 90 millions de tonnes par an de produits de la mer. Pourtant, à date, nous sommes probablement aux alentours de 110 à 120 millions de tonnes. Ces protéines ont un rôle à jouer dans l’alimentation humaine en apportant notamment des omega-3, mais il faut garder en tête qu’elles sont limitées.
« On pille les ressources halieutiques du Sud pour donner à manger aux poissons des riches. »
Un Français mange en moyenne 35 kg de produits de la mer par an, dont 25 viennent de la pêche. L’océans nous en fournit de manière durable 8 kg, voire 10 si on cesse de fabriquer des farines animales à base de poisson. Ce n’est évidemment pas chez nous que la question de l’apport en protéine ou en omega-3 se pose en priorité. Nous mangeons aujourd’hui la ration des autres et exportons les problèmes écologiques. C’est pourquoi je dis aux consommateurs, réduisons notre consommation de produits de la mer et soyons prêts à accepter les éventuels surcoûts d’une pêche vraiment durable.
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Justement, avez-vous un conseil pour le consommateur et le citoyen afin qu’il puisse contribuer à l’essor d’une pêche plus vertueuse ?
Pour manger pêchécologie, il faut réduire nos protéines animales issues du poisson, comme il faut le faire pour les protéines animales issues de la viande. Ensuite, il faut limiter la consommation de poissons d’élevage comme le saumon, la truite de mer ou encore le bar d’élevage car ce sont des poissons piscivores. On les nourrit grâce à d’autres poissons qu’on va chercher en mer avec des navires usines qui vont pêcher dans les pays du Sud. Ainsi, par exemple, on pêche 300 000 tonnes de sardinelles en Mauritanie pour les transformer en farine destinée aux élevages aquacoles de saumon en Norvège. La sardinelle servait auparavant à nourrir la population mauritanienne. On pille les ressources halieutiques du Sud pour donner à manger aux poissons des riches.
« Il est possible de pêcher tout en respectant le vivant. »
Enfin, il suffit de regarder l’étiquette pour savoir comment le poisson a été capturé. Pour limiter le chalut, auquel il est difficile d’échapper, il faut donc s’efforcer de privilégier les pêches autres que le chalut comme la phalange, la ligne ou le casier.
Avez-vous un dernier mot ?
On me demande souvent si l’aquaculture est la solution. Je ne le crois pas. Je pense que la pêchécologie est un secteur d’avenir sur lequel on peut s’appuyer pour reconstituer le lien entre l’homme et les écosystèmes ainsi que le lien l’homme dans les écosystèmes. Depuis la révolution du néolithique, l’être humain s’est progressivement détaché des écosystèmes pour produire sa nourriture dans des systèmes artificialisés. La pêche reste un endroit dans lequel l’humain demeure un prédateur immergé dans un écosystème et dont l’alimentation (enfin une petite part de nos jours) dépend de la nature. Avec la pêchécologie, il ne peut pas y avoir d’alliance plus forte : la nature nous fournit une partie de notre alimentation, tandis qu’en retour l’être humain lui accorde sa protection pour le court et le long terme. Il est possible de pêcher tout en respectant le vivant.
Propos recueillis par Julien Leprovost
Article édité le 16 février 2023 à 20h15 afin de corriger des approximations (sur les chiffres de ponte des oeufs, sur la surface d’AMP effective à créer et quelques coquilles) dans la transcription des propos de l’interviewé suite à une relecture par ce dernier du texte en ligne.
Pour aller plus loin
La pêchécologie Manifeste pour une pêche vraiment durable, par Didier Gascuel, éditions QUAE
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Un commentaire
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Maxime
Merci pour cet article
(sur les chiffres de pont des oeufs)
= de ponte