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En Amazonie, la souillure de l’or noir

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Le militant Donald Moncayo Jimenez montre ses mains couvertes de déchets d'hydrocarbures, le 14 janvier 2023 à Lago Agrio, en Equateur © AFP Pedro PARDO

Lago Agrio (Equateur) (AFP) – C’est ici que tout a commencé, un jour de février 1967. Le « puits n°1 de Lago Agrio » fut le premier puits de pétrole perforé en Equateur, par le consortium américain Texaco-Gulf, ouvrant l’ère de l’or noir en Amazonie équatorienne.

« Ce jour là, ministres et officiels se sont baignés dans le pétrole. Puis ils ont tout balancé à la rivière derrière… ça commençait bien… », ironise Donald Moncayo, coordinateur général de l’Union des victimes de Texaco (UDAPT).

Cinquante-six ans plus tard, le pétrole – premier produit d’exportation du pays – continue de couler à flots. Lago Agrio (nord-est) est devenue la capitale pétrolière du pays, la forêt recule inéluctablement et la pollution poursuit ses méfaits, accusent les activistes locaux.

Du puits n°1, il reste aujourd’hui la pompe d’acier à tête de cheval, figée au milieu d’une pelouse verte, surmontée d’une belle pancarte du souvenir. Il a été fermé en 2006, après avoir généré près de 10 millions de barils.

Mais dans toute la région, livrée à la colonisation économique menée par l’Etat depuis les années 1960, sur des millions d’hectares ce ne sont que puits, pipelines, tankers, camions-citernes, stations de traitement et torchères enflammées… en une étrange superposition de noir pétrole et de vert végétal luxuriant.

Le pétrole en Equateur, ce sont près de 500.000 barils par jour, 13 milliards de dollars de revenus par an en moyenne. Une bénédiction pour les caisses de l’Etat et le « développement » du pays, selon les autorités. Une malédiction synonyme de dette, pauvreté et pollution à grande échelle, juge sans concession Donald Moncayo.

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L’homme de 49 ans, « né à 200 mètres d’un puits de pétrole », mène depuis les années 90, avec une poignée d’autres activistes, une difficile et interminable croisade contre Texaco.

L’histoire est connue: en 1993, quelque 30.000 habitants de la région portent plainte contre le géant américain (propriété de Chevron depuis 2001) devant un tribunal new-yorkais.

En 30 ans d’activité, l’entreprise a creusé 356 puits, et pour chacun d’entre eux des bassins de rétention (880 au total) recueillant restes de pétrole, déchets toxiques et eaux contaminées (dont 60 millions de litres ont été déversées au total, selon l’UDAPT).

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Ces « piscines », disséminées un peu partout dans la forêt, ont entraîné un désastre écologique majeur, souvent cité comme l’une des pires catastrophes pétrolières de l’histoire.

Après moult procédures et rebondissements, Texaco, devenu Chevron, est condamné en 2011 par la justice équatorienne à verser 9,5 milliards de dollars pour réparer les dégâts.

Le géant américain obtient cependant en 2018, devant la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, l’annulation du jugement.

« Texaco a saccagé cette partie de l’Amazonie. Depuis, ils ont tout fait pour échapper à la justice, et ils n’ont pas déboursé un centime pour réparer les dégâts. Qu’ils payent! » s’emporte M. Moncayo.

Chevron a assuré, lui, que Texaco avait payé 40 millions de dollars pour dépolluer la zone.

Abandonné en 1994, le puits « Agua-Rico 4 » est désormais dissimulé dans la forêt, au bout d’un petit sentier.

Un bâton suffit pour crever la couche d’humus sur l’ancienne piscine, et faire sortir un épais liquide noir. Un cours d’eau en contrebas est lui aussi souillé.

« Et c’est partout comme ça », souffle Donald Moncayo, dont les gants chirurgicaux blancs sont maculés du brut épongé sur le sol.

Ici, une masure de bois a été construite à deux pas d’une ancienne piscine.

Là, ce sont des vaches qui broutent l’herbe, alors que du brut émerge de sous terre. « Le bétail mange tout ça comme du chewing-gum… », grogne l’activiste.

 « Partenaire minoritaire »

A l’époque, c’est l’Eglise catholique locale qui a donné le signal d’alarme, devant la hausse inexpliquée des problèmes de santé, fausses couches et cancers.

En quittant l’Equateur dans les années 1990, Texaco a cédé ses forages à l’entreprise publique Petroecuador, qui a poursuivi l’exploitation. Les piscines laissées par la compagnie américaine n’ont, pour la plupart, pas été décontaminées, selon l’UDAPT.

Chevron soutient que Texaco n’était alors « qu’un partenaire minoritaire » d’un consortium avec Petroecuador. Et que cette dernière, malgré un accord en 1995 avec Texaco, « n’a pas procédé à l’assainissement de l’environnement auquel elle était tenue et a continué à exploiter et à développer ses activités (…) ».

« Les problèmes ont continué avec Petroecuador », soupire M. Moncayo.

Depuis 1995, l’entreprise réinjecte l’eau contaminée dans les sols, un procédé considéré comme plus propre. « Mais à mon avis, seulement là où nous surveillons. Ailleurs, ils jettent cette eau toxique dans les rivières », soutient-il.

La pollution provient aussi des fuites de brut des pipelines et canalisations (entre 10 et 15 par mois selon une étude de l’université de Quito avec l’UDAPT) ou des 447 torchères qui brûlent nuit et jour.

 « Résistance » et schizophrénie

« Ca chauffe, ça fait du bruit. Je dois fermer les fenêtres quand je cuisine », raconte une vieille paysanne, dont la maison de bois jouxte un forage.

« Un jour ils ont installé ce puits, on n’a rien eu à dire. On n’a touché aucune compensation. Depuis c’est comme ça… », témoigne-t-elle, dans le vacarme de la pression des gaz enflammés.

Suite aux plaintes des écologistes, un tribunal équatorien a ordonné la fermeture de la totalité des 447 cheminées d’ici mars. La sentence est exécutoire, mais reste pour le moment apparemment ignorée.

Des conflits locaux opposent par ailleurs communautés paysannes et indigènes locales à l’entreprise nationale. Ils sont la plupart du temps résolus par des accords ponctuels d’indemnisation ou de compensation (travaux d’infrastructure, services…).

A Rio Doche 2, près de la ville de Shushufindi, où vivent 133 familles, une barrière de métal et des trous dans la route empêchent les camions de récupérer le brut d’un forage.

Un filet d’eau peu ragoûtant s’en écoule vers une bâtisse de bois en contrebas. « Mes poules et mes canards ont commencé à mourir. L’eau du puits s’est assombrie; Impossible de la boire et même de faire la lessive. Les filles ont eu des problèmes de peau », raconte Francesca Woodman, propriétaire de la petite « finca », forcée de quitter les lieux avec ses huit enfants.

« Nous, ici, on subit la pollution, les fuites, la fumée des cheminées, on avale la poussière des camions, pendant qu’ils encaissent les dollars à Quito! » peste Patricia Quinaloa, l’une des leaders des protestataires.

Rio Doche 2 témoigne aussi de la schizophrénie des populations locales, coincées entre pauvreté et recherche d’emploi d’un côté et pollution de l’autre. « Tant qu’on a un peu de travail et d’argent, même si ce ne sont que des miettes, pour l’instant ça tient, les gens acceptent… », observe Wilmer Pacheco, chauffeur dans une ONG locale.

Selon les statistiques officielles, la pauvreté dans les trois provinces amazoniennes et pétrolières de Sucumbios, Napo et Orellana, dépasse les 44%, alors qu’elle est de 25% au niveau national.

Au lendemain de son arrivée au pouvoir en 2021, le président Guillermo Lasso a promis de doubler la production de pétrole, jusqu’à un million de barils par jour.

Sollicité, Petroecuador n’a pas répondu aux différentes demandes de l’AFP.

© AFP

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