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Déforestation, tempêtes: à Manille, les inondations s’aggravent


Un canot de sauvetage fixé à un mur dans une rue de Marikina, le 13 décembre 2022 dans la banlieue de Manille, aux Philippines © AFP JAM STA ROSA

Baras (Philippines) (AFP) – « On a toujours peur que cela se reproduise »: à 49 ans, Rowena Jimenez ne compte plus le nombre d’inondations de son domicile en banlieue de Manille. Et le problème risque bien de s’accentuer, du fait de la déforestation et du changement climatique.

L’agriculture sur brûlis, l’exploitation forestière illégale, les mines à ciel ouvert et des aménagements stimulés par la croissance démographique ont dépouillé les Philippines, jadis densément boisées, d’une grande partie de leurs arbres.

Or, sans un nombre suffisant d’arbres pour aider à l’absorption des eaux de pluie, d’importantes quantités d’eau dévalent les pentes des reliefs déboisés entourant Manille pour se déverser dans les cours d’eau qui l’alimentent, transformant la métropole de 13 millions d’habitants en marécages insalubres.

Les zones de faible altitude y sont souvent inondées lorsque des tempêtes s’abattent sur la Sierra Madre, une chaîne de montagnes située à l’est de la ville faisant office de barrière naturelle aux intempéries.

C’est le cas de la maison familiale de Mme Jimenez, située à quelques rues de la rivière Marikina, dont les eaux de crue inondent régulièrement le rez-de-chaussée.

« Notre cœur se serre parce qu’on réalise que les choses acquises après avoir travaillé si dur vont être de nouveau détruites », témoigne-t-elle.

Selon Mme Jimenez, ce sont les « atteintes » environnementales perpétrées en amont, dans le bassin versant voisin, qui sont responsables de cette situation.

Ce bassin de quelque 26.000 hectares, essentiel à la régulation du débit d’eau alimentant Manille et qui voit s’écouler les eaux de ruissellement des montagnes, n’étaient recouverts de « forêts denses » que sur 2,1% de sa superficie en 2015, d’après la Banque mondiale.

En 2011, le bassin avait été déclaré « paysage protégé » par le président Benigno Aquino. L’objectif: assurer « la diversité biologique et le développement durable ».

Mais à l’époque, la plupart de ses arbres avaient déjà été abattus pour faire place à des routes, des parkings, des complexes touristiques privés et des lotissements résidentiels.

C’était deux ans après le typhon Ketsana, qui avait submergé 80% de la ville, fait des centaines de morts et poussé la famille de Mme Jimenez à se réfugier sur le toit.

Tempêtes plus humides

Selon Rex Cruz, spécialiste des bassins versants à l’université des Philippines, la conjonction de l’aménagement de cet espace et des tempêtes plus humides dues au changement climatique ont amplifié les inondations à Manille.

« La surface du bassin versant du Marikina a été transformée de telle sorte qu’elle n’est plus capable d’absorber beaucoup d’eau de pluie », explique-t-il, ce qui entraîne également des pénuries d’eau pendant la saison sèche.

La situation va s’aggraver, prédit-il, si « rien ne change » dans le pays, l’un des plus vulnérables au changement climatique.

Certains souhaitent tirer profit du bassin versant pour y établir des carrières ou des cultures, produire du charbon de bois ou construire des établissements touristiques. L’administration pénitentiaire projette aussi d’y installer son siège.

Selon des données officielles, « la couverture en forêts denses » de l’archipel s’est rétrécie entre 2003 et 2010, passant de 2,56 à 1,93 millions d’hectares, avant d’atteindre 2,22 millions d’hectares en 2020.

La Fondation Masungi Georeserve tente depuis des années de reboiser quelque 3.000 hectares du bassin versant, situé à moins de 30 kilomètres de Manille.

Mais la protection des forêts existantes et le reboisement sont rendus difficiles par la corruption et des conflits parfois violents touchant à la propriété et l’utilisation des terres.

L’ONG Global Witness classe les Philippines parmi les pays les plus dangereux du monde pour les défenseurs de l’environnement: 19 y ont été tués en 2021, et 270 au cours de la décennie précédente.

Kuhkan Maas, un garde forestier de 32 ans, a failli perdre la vie en tentant de protéger des terres où poussent des centaines d’arbres plantés par lui.

« Je rêve de voir fleurir tous les arbres que nous avons plantés et de voir cette terre jadis stérile devenir une forêt luxuriante », espère-t-il, laissant apparaître sur son cou une cicatrice laissée par une balle en 2021.

 « Problème épineux »

Sans une politique d’aménagement du territoire et des lois environnementales cohérentes pour régir l’exploitation concurrentielle des ressources naturelles, difficile de se développer durablement, argue l’avocat Tony La Vina, qui évoque un « problème épineux ».

Mme Jimenez l’assure : la maison familiale n’avait jamais été inondée dans les années 1980 ; la rivière Marikina était alors « préservée », entourée de fermes, d’arbres et d’une poignée d’habitations.

C’est au cours des années 1990, au fil de l’aménagement grandissant des terres et de la croissance démographique, que leur domicile a commencé à se retrouver régulièrement envahi par les eaux, une ou deux fois par an, parfois plus.

Le moindre crachin alarme sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer.

« Elle emballe des choses, les met dans un sac en plastique et nous enjoint de (préparer nos affaires) », raconte Mme Jimenez. « C’est triste de savoir que le seul souvenir qui lui reste, c’est celui de la pluie et des inondations. »

© AFP

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