Makokou (Gabon) (AFP) – Sous le couvert verdoyant de la forêt ancestrale de Massaha, dans le nord-est du Gabon, Arsène Ibaho se dresse face aux larges racines d’un Kévazingo, un arbre à l’essence très recherchée: « Pour nous c’est un arbre qui parle, il est sacré », explique-t-il.
Un trésor parmi d’autres que sa communauté compte défendre face à la menace des permis forestiers.
Pour accéder à ce sanctuaire, chacun doit se plier au même rituel.
Arsène, 43 ans, prépare le kaolin, un argile rouge qui permet « de se lier aux ancêtres et les avertir de notre venue ».
Une mixture qu’il malaxe minutieusement avec ses doigts dans une feuille de bananier, avant de l’appliquer sur le front de ses invités.
Chacun peut alors marcher jusqu’à l’arbre, où Arsène pratiquera un rite en kota, la langue de la communauté éponyme.
Arsène est l’un des 200 habitants du village de Massaha, à 56 kilomètres à l’est de Makokou dans l’Ogooué-Ivindo, une vaste province gabonaise plus grande que la Belgique.
Une fois par an pendant la saison sèche (juin-juillet), une pêche traditionnelle sur de longues pirogues de 15 mètres, baptisée Etoubili, nécessitait systématiquement d’accomplir un rite au pied du Kévazingo sacré. « Après ça, on remplissait un bateau entier de poisson et tout le village pouvait en profiter », s’enthousiasme Arsène.
Mais ce site sacré et huit autres le long de la Libumba, rivière affluente du fleuve Ivindo, ainsi que les territoires de vie et les sites d’anciens villages, en amont de la rivière, ont été absorbés dans un permis forestier attribué par l’administration.
Dans les clairières des villages d’autrefois, l’entreprise avait installé un parc à bois, relate Arsène. Boîtes de conserves, barils et jerricanes, dont on devine la rouille derrière la nature qui reprend déjà ses droits, sont les derniers témoins de l’activité humaine.
En lisière de forêt, il y avait trois tombes, mais « on ne peut plus reconnaître l’endroit car des bulldozers sont passés », déplore Arsène, machette en main pour dégager la végétation.
« Ils sont allés sur place sans savoir où se trouvaient nos vieux villages, maintenant c’est notre histoire qui est coupée à moitié », regrette Serge Ekazama-Koto, porte-parole de la communauté, le regard ému.
Devant son « foyer natal » au coeur du village, Béatrice Itsetsamé, 69 ans, raconte se rendre presque quotidiennement dans la forêt. Elle y trouve du nkumu, une petite liane comestible, mais aussi de la viande de brousse pour les cérémonies. « La forêt est riche pour nous, ça nous aide », glisse-t-elle, enveloppée dans un boubou bleu aux motifs jaunes.
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« Nous avons été défaillants »
Infractions présumées, irrégularités du plan d’aménagement, atteinte au « patrimoine bioculturel »: dès 2020, le village demande le déclassement de 11.300 hectares du permis forestier, une surface presque équivalente à la ville de Paris, dans l’espoir d’en faire la première aire conservée communautaire du pays.
En mars 2022, l’activisme des habitants et de ses relais provoque même la visite de Lee White, l’emblématique ministre des Eaux et forêts de ce petit pays d’Afrique centrale. Il fait cesser l’exploitation, somme l’entreprise de retirer ses engins, et avance l’hypothèse d’un nouveau statut d’aire protégée.
Car aucun statut actuel ne correspond aux attentes de la communauté, soucieuse d’allier préservation des sites traditionnels, exploitation raisonnée des ressources, et surtout gestion participative.
Elle « veut être au centre de la gouvernance de ce territoire », or les aires protégées répondent à « un modèle étatique de gestion », fait remarquer Alex Ebang Mbélé, président de l’ONG Nsombou Abalge-Dzal Association (NADA), qui accompagne la communauté dans ses démarches et encourage la création d’un nouveau statut.
« Que des bulldozers arrivent dans une forêt sacrée pas loin d’un village, cela signifie que sur toutes les étapes du plan d’aménagement, nous avons été défaillants », concède Lee White, qui confirme à l’AFP que l’administration avait pourtant délivré son agrément à l’entreprise.
« On est en train d’étudier : est-ce qu’il faut un statut un peu plus fort? », interroge-t-il à haute voix.
Cogestion
Trois ans après sa demande, la communauté salue des avancées favorables, notamment la visite, constatée par l’AFP, d’une délégation du ministère début février pour géolocaliser ses lieux sacrés.
En coulisses, autorités, communauté et ONG sont autour de la table pour élaborer un nouveau statut d’aire protégée en s’inspirant d’autres modèles, notamment en Afrique de l’Ouest.
« Souvent, c’est l’Etat qui impose la création d’aires protégées. Pour une fois qu’une communauté a la volonté de préserver un espace, ça signifie qu’elle commence à s’approprier le concept de conservation », se réjouit Lucien Massoukou, directeur général de la faune et des aires protégées (DGFAP).
Plusieurs études, notamment socio-économiques sont en cours, précise le DGFAP, et à travers cette demande, « on voit qu’il est nécessaire d’intégrer d’autres types d’aires protégées, notamment le modèle communautaire avec une cogestion », poursuit-il, en rappelant la priorité de recueillir des « données scientifiques » sur place.
Dans l’attente d’une issue favorable, le village attend impatiemment de voir sanctuariser sa forêt. Son nom est déjà trouvé, souffle Arsène: Ibola Dja Bana Ba Massaha, « la réserve de tous les enfants de Massaha », en kota.
© AFP
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