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Julien Vidal, auteur de Mon métier aura du sens : « aller sur des métiers de sens signifie aller dans des filières prometteuses »

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Julien Vidal, militant du changement et auteur de mon métier au du sens © Photo ask who / Cédric Helsly

Depuis des années, Julien Vidal s’est engagé pour un monde plus durable et solidaire au travers du mouvement « ça commence par moi » puis de son podcast « 2030 glorieuses ». Début 2023, Julien Vidal propose un livre Mon métier aura du sens, aux éditions Vuibert. C’est à la fois un guide qui présente plus de 50 métiers d’avenir et une réflexion sur le sens du travail. Il se démarque par son éclectisme et le fait qu’il donne la parole à des personnes exerçant déjà ces métiers qui font la part belle à un mode de vie plus durable, plus solidaire, plus axé sur le lien avec le vivant et l’autre. À l’occasion de la sortie de ce livre qui a vocation à inspirer et à montrer que le changement est possible dès à présent, GoodPlanet Mag’ est allé interviewer Julien Vidal.

Trois ans après le premier confinement qui a relancé le questionnement sur le sens du travail et sa place dans nos vies, pourquoi faire un livre consacré aux métiers de demain et à leur signification ?

Le confinement a été un moment de pause forcée dans nos vies qui nous a conduit à regarder notre quotidien différemment. Il a abouti à questionner nos habitudes ainsi que certains aspects de nos existences responsables de souffrances, dont notre relation au travail. Elle peut s’avérer toxique. Le travail, sous sa forme actuelle de générateur de croissance, consiste bien souvent à passer du temps à détruire le vivant. C’est pourquoi, de ce fait et en plus de la perte de sens de leur activité, depuis le Covid, de plus en plus de personnes font le minimum au travail. Ce phénomène s’appelle le quiet quitting. Les personnes attendent de franchir la porte de leur travail pour se remettre à vivre avec intensité. Je le vois comme une frustration folle. Je pense que, au lieu de moins travailler pour émettre moins de gaz à effet de serre, il est préférable  de mieux travailler en œuvrant à créer de nouvelles abondances, à avoir des impacts positifs sur le vivant, les autres et soi-même. 

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Vous employez d’ailleurs le terme métier plutôt que travail dans le titre du livre. Le mot métier n’est pas neutre puisqu’il se rapporte à un savoir-faire et une activité qui s’inscrivent dans la durée. Envisagez-vous l’emploi demain comme autre chose que du travail ?

Derrière ce changement sémantique se trouve un changement philosophique. La notion de travail renvoie en effet à l’idée d’être corvéable à merci afin de générer de la croissance. L’être humain est alors davantage vu comme une ressource qu’on épuise pour créer de la richesse. Cette dernière, dans une économie capitaliste, va en grande partie à une infime minorité. Cela dit tout des limites de notre modèle économique néo-libéral. Il enferme l’individu dans des micro-tâches et des micro-responsabilités.

« Au lieu de moins travailler pour émettre moins de gaz à effet de serre, il est préférable de mieux travailler en œuvrant à créer de nouvelles abondances. »

La notion de métier, quant à elle, permet de voir plus large. Elle implique l’idée de savoir-faire, de talent et de se poser la question des impacts et de la finalité de l’activité. Le métier embrasse plus de lien et de responsabilité.

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À qui s’adresse ce guide des métiers de demain ? Aux jeunes ? Ou aux personnes déjà dans la vie active et qui sont en recherche d’autre chose ?

Il s’adresse aux deux. Mais, il faudrait idéalement mettre ce livre entre les mains des jeunes qui n’ont pas encore démarré leur carrière. Il doit leur permettre de se rendre compte qu’ils peuvent dès maintenant travailler à ce monde de demain. Ils pourront mettre tout de suite leur énergie au service de quelque chose qui leur est chère et se montrer à la hauteur des enjeux. Il ne s’agit plus de limiter l’impact, mais bien de régénérer et de créer. De plus, changer de paradigme sur la signification du travail permettrait d’empêcher des crises de la cinquantaine, devenues plus précoces qui surviennent à la quarantaine voire dès la trentaine. Elles sont en grande partie provoquées par de la souffrance au travail.

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Ce livre peut aider les personnes, qui sentent que quelque chose ne va pas dans leur vie professionnelle, à se réorienter. Les fiches métiers, les profils et les témoignages présents dans « Mon métier a du sens » montrent des parcours variés, des cheminements, des erreurs et des bifurcations. Leurs récits rappellent qu’une carrière professionnelle n’est jamais linéaire, ni simple, ni évident. Il n’y aucun mal, parce que ces expériences développent nos compétences et nous enrichissent. Elles aident à s’affirmer et à savoir ce qu’on souhaite.

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« Des parcours variés, des cheminements, des erreurs et des bifurcations. »

Enfin, ce livre peut servir de passerelle entre les parents et les enfants. Il aide en effet à parler de l’orientation et des métiers de demain. Il rassure sur le fait qu’aller sur des métiers de sens signifie aller dans des filières prometteuses.

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Combien d’emplois seront créés d’ici 2050 dans ces filières ?

 Le Shift Projectestime qu’il y aura environ 300 000 créations nettes d’emploi dans les métiers de la transition d’ici 2050. Ce chiffre tient compte de la création de 1,1 million d’emplois dans le cadre de la transition écologique et la destruction de 800 000 autres.  L’ADEME avance des chiffres allant dans le même sens.

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Qu’est-ce qui vous a frappé en réalisant ce panorama des métiers de 2030 ?

J’ai été surpris de me rendre compte que de nombreux métiers de demain sont déjà là. Je pensais en présenter une dizaine, or on en recense beaucoup plus qu’on ne le croit. Des centaines, voire des milliers de métiers, durables et solidaires existent. Il y a de nombreuses opportunités, mais elles peinent encore un peu à être connue en raison de leur moindre médiatisation et du fait que les personnes impliquées dans ces métiers manquent de temps pour les raconter.

« De nombreux métiers de demain sont déjà là »

Je voulais également éviter le parisianisme dans lequel on peut facilement tomber sur ces sujets-là en pensant que ces métiers sont destinés à des jeunes issus de milieux sociaux aisés ayant faits de longues études. Le livre présente des professions exercées par des personnes de tous les âges, de tous les niveaux scolaires, avec tous les niveaux de salaires et surtout partout en France.

« Il faut continuer de combattre certaines idées reçues sur le travail du futur »

De surcroit, il faut continuer de combattre certaines idées reçues sur le travail du futur qui reposerait sur le tout high-tech, l’IA et la virtualisation. On en est loin. 85 % des métiers de demain sont déjà là. En faisant le livre, j’ai été étonné de constater qu’un fil conducteur relie tous ces métiers : la joie profonde de ceux qui les exercent. Ces professions laissent plus de place à la boussole du bonheur. J’ai senti chez les gens que je suis allé rencontrer pour le livre une profonde recherche de joie et d’épanouissement.

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En plus de l’imaginaire collectif, que faut-il changer à la société et à l’économie pour voir émerger ces nouveaux métiers ? Qu’en est-il de la question du revenu de base ? Des formations ? Ou du temps ?

Arriver à un revenu de base permettrait de basculer dans un autre rapport au travail. Car de nombreux services rendus gratuitement ne sont pas rémunérés dans certains contextes. Par exemple, la garde des enfants par une nounou est considérée comme un travail qui mérite une rémunération, tandis que la même tâche effectuée par des grands-parents gratuitement ne donne lieu à aucune rétribution de ces derniers. Ils font pourtant la même chose. La retraite, à laquelle on essaye de toucher actuellement, était une première forme d’expérimentation du revenu de base. Elle montre qu’il est faux de penser que les gens restent devant leur télévision payés à ne rien faire. En effet, les retraités sont dans les associations, œuvrent à aider les plus fragiles, assurent des services nécessaires comme la garde des enfants dans les familles ou contemplent la beauté du vivant.

« Arriver à un revenu de base permettrait de basculer dans un autre rapport au travail. »

Je pense également qu’il incombe aux individus de faire émerger la tendance vers un monde plus durable caractérisé par un autre rapport au travail. C’est à nous de rendre cette tendance inévitable sans attendre que cela vienne des décideurs politiques. Les politiques sont en général plus suiveurs qu’instigateurs de tendance. En faisant exister ces nouveaux métiers, en les rendant plus visibles, on contribuera à les légitimer et à créer un appel d’air au niveau des formations et des employeurs. Le politique suivra et effectuera alors ce travail de planification et d’orientation des budgets. L’éducation nationale devra donc renvoyer plus vers ces métiers du vivant, du social et de la solidarité. Plutôt que de signer des chèques en blanc pour l’aéronautique, les énergies fossiles et toutes les filières vouées à disparaître, il faut maintenant investir dans la rénovation thermique des bâtiments, l’agroécologie ou encore la filière vélo.

« En faisant exister ces nouveaux métiers, en les rendant plus visibles, on contribuera à les légitimer et à créer un appel d’air au niveau des formations et des employeurs. »

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Difficile de faire un choix parmi tous les métiers présentés dans le livre, mais si vous deviez en exercer un autre que le vôtre, lequel serait-ce ? pourquoi ?

J’aimerais travailler à coordonner un espace de réparation, d’autoréparation et de customisation de vélo. Cet atelier serait aussi un lieu de vie organisant des événements autour de la petite reine comme des cours pour apprendre à en faire, des courses ou encore des expos. Il y a une vraie fierté à travailler le vélo et je crois que je me serais engagé sur cette voie si on me l’avait présentée comme une vraie opportunité.

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« Savoir ce qui nous fait vibrer et savoir où aimerait se mettre tout entier au service de quelque chose qui nous dépasse. »

Sinon, venant d’une famille travaillant dans le bâtiment, j’ai très vite pris conscience que le secteur de la construction/démolition est dans le même temps source de gâchis et de ressources. J’aurais donc aussi apprécié d’être valoriste en bâtiment c’est-à-dire une personne qui œuvre pour le réemploi et la réutilisation des matériaux au moment de la déconstruction. La finalité étant qu’ils servent dans de nouvelles constructions. C’est ce que fait Joanne Bouchon qui dirige Mineka à Villeurbanne en créant du lien avec les professionnels du secteur pour qu’ils gardent en tête les enjeux environnementaux dans leurs choix.

[Découvrir l’interview de Joanne Bouchon de Mineka sur le site 2030 glorieuses

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Avez-vous un conseil pour celles et ceux qui désirent embrasser des métiers qui ont du sens, qui s’inscrivent dans une démarche écologique ou solidaire ?

Je leur suggère d’aller voir les personnes qui font ces métiers. Même si elles ont des emplois très chargées, ce sont des personnes heureuses et ouvertes sur les autres. Il ne faut pas hésiter à aller « taper la discut » avec une personne quand on voit qu’elle a réussi à mettre ses valeurs personnelles au cœur de sa carrière professionnelle. De plus, c’est possible de se mettre ponctuellement au service de causes ou de structures via du bénévolat, des stages, du service civique ou des missions. Il faut sortir, se confronter et vivre cette réalité-là afin de savoir ce qui nous fait vibrer et savoir où aimerait se mettre tout entier au service de quelque chose qui nous dépasse.

« C’est possible de se mettre ponctuellement au service de causes ou de structures via du bénévolat, des stages, du service civique ou des missions. »

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Quelle réflexion aimeriez-vous apporter au débat actuel sur le travail avec votre livre qui sort alors que la réforme des retraites et sa contestation devraient également servir à se questionner sur la place du travail dans nos sociétés ?

Tous les soubresauts vécus ces dernières années montrent qu’on est piégé dans une réflexion du court terme. On se pose la question du comment au détriment de la question du vers quoi. Tant qu’on ne sera pas fixé de nouveaux caps, nous ne répondrons jamais à la bonne question. Avec la retraite, comme pour la sobriété au début de l’hiver, on se demande comment faire moins mal alors qu’on devrait se demander comment faire vraiment mieux. Pour le travail, si on continue à proposer aux gens des métiers de merde, qu’on les fasse un ou deux de plus ou de moins ne changera rien. Ces travails restent quand même des métiers de merde. Le défi est donc de redonner ses lettres de noblesse au travail pour que la France tout entière soit à la hauteur des enjeux de notre siècle. Ce qui fera aussi que la question de la retraite deviendra secondaire. Quand on fait un métier qui nous plaît, qui est valorisé, qui continue à redonner sa place au vivant, on ne se pose en fait pas la question de savoir combien de temps on doit faire ce métier.

« Le défi est donc de redonner ses lettres de noblesse au travail pour que la France tout entière soit à la hauteur des enjeux de notre siècle »

Propos recueillis par Julien Leprovost

Article édité le 9 mars a 13h30 pour corriger une erreur dans les sources sur les chiffres de création d’emplois.

Julien Vidal metier aura du sens

Mon métier aura du sens, + de 30 métiers durables et solidaires au service du Vivant, par Julien Vidal, édition Vuibert

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