Montevideo (AFP) – A plus de 10.000 km de ses origines françaises, un cépage autrefois réputé âpre a propulsé l’Uruguay sur la carte mondiale du vin. Au pays des gauchos et de la viande grillée, le Tannat a trouvé un hôte idéal avec son climat tempéré et humide.
Le Tannat, aux baies bleu-noir qui contiennent plus de pépins que les autres cépages, est riche en tanins astringents : une caractéristique dominante qui lui a conféré son nom et longtemps présidé à sa mauvaise réputation.
Mais en Uruguay, l’on a jugé que ce vin puissant et concentré était idéal pour accompagner les pièces de bœuf locales, très persillées, un gras qui fond lors de la cuisson sous les braises exacerbant arômes et parfums.
Le Tannat « se marie très bien avec la viande », dont l’Uruguay est le plus gros consommateur au monde par habitant, confirme à l’AFP l’œnologue Eduardo Boido, de la bodega Bouza, près de Montevideo, qui exporte 40% de sa production, pour moitié du Tannat.
« On mange la viande, on boit une gorgée de Tannat pour se nettoyer le palais, on remange… », explique-t-il au milieu des vignes qui viennent d’être vendangées en ce début d’automne austral.
De la rusticité à la renommée
Devenu cépage national de l’Uruguay, le Tannat serait probablement originaire du Béarn et a été mentionné pour la première fois dans le Gers en 1783.
Il a été introduit en 1870 par Pascual Harriague, émigré originaire du Pays basque français. « Pendant longtemps, le Tannat était connu sous le nom de Harriague et généralement c’était des vins un peu rustiques qu’ont bu nos parents et grands-parents », explique à l’AFP Nicolas Cappellini, propriétaire d’un bar à vin de Montevideo.
Ce n’est que vers les années 1980 que l’accent a été mis sur la recherche de plus de finesse. Aujourd’hui, l’Uruguay produit une large variété de styles dans différentes gammes de prix.
Ses Tannat rivalisent avec ceux produits notamment dans son berceau de Madiran ou de Cahors, où ce cépage a aussi longtemps été décrié pour donner des vins certes colorés mais parfois à l’acidité dure, voire agressive.
Comme en France, « les producteurs uruguayens ont appris à gérer la teneur naturellement élevée en tanins du raisin », s’enorgueillit le site officiel du vin uruguayen, estimant que le pays « a fait de ce cépage improbable un champion ».
Aujourd’hui, près d’un tiers des Tannat au monde sont produits en Uruguay (3,5 millions d’habitants), deuxième derrière la France (45%), puis viennent l’Argentine (15%) et les Etats-Unis (4%), selon Kym Anderson, qui a participé à l’élaboration d’une base de données mondiale sur les raisins à l’université d’Adélaïde (Australie).
« Monocépage »
Les quelque 1.200 vignobles uruguayens, pour la plupart de petites exploitations familiales, sont situés entre les 30e et 35e parallèles sud, à la même latitude que les grands producteurs de vin que sont le Chili, l’Argentine, l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie.
Tous se trouvent à quelques encablures du Rio de la Plata et bénéficient de la brise maritime tout au long de l’année. Selon M. Boido, c’est cette humidité qui rend les tanins du Tannat uruguayen « beaucoup plus délicats qu’ailleurs ».
Pour Julia Harding, Master of wine à Londres, « ce qui caractérise le Tannat uruguayen, c’est sa fraîcheur due au climat ».
Le Tannat est le cépage le plus répandu en Uruguay, avec quelque 1.575 hectares dédiés (2.733 ha en France), loin devant le Merlot (619), le Cabernet sauvignon (337) ou le Cabernet franc (216) avec lesquels il est rarement assemblé, contrairement dans le Madiran où le Cabernet franc apporte de la souplesse.
Car en Uruguay, question de tradition, « le Tannat est principalement utilisé pour du monocépage », explique à l’AFP Eduardo Felix, conseiller technique de l’Institut viti-vinicole national (INAVI).
Si les exportations de vin pèsent peu par rapport au bœuf, au lait ou au soja, quelque 4,8 millions de bouteilles, principalement du Tannat, pour une valeur de 18,5 millions de dollars, ont été exportées en 2022, selon l’INAVI.
Fier de son emblème qui le fait connaître au-delà des frontières, l’Uruguay dédit même une « journée » au Tannat, chaque 14 avril, jour du décès en 1894 du bienfaiteur Pascual Harriague.
© AFP
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